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Mali

La loi du marché au quotidien

A Koutiala, les produits importés font vitrine.(Photo: Monique Mas/RFI)
A Koutiala, les produits importés font vitrine.
(Photo: Monique Mas/RFI)

Ecoles et services de santé à la charge de collectivités locales désargentées, privatisations à marche forcée, compressions de personnels, licenciements, chômage massif: le choix économique est vite fait pour le citoyen ordinaire. Il faut d’abord manger. Cours du coton en chute libre, impôt foncier, redevances pour l’eau et prix à la consommation en hausse: sans en connaître les mécanismes et parfois même l’existence, les Maliens subissent au quotidien la loi du marché international. A défaut de capital et de transfert technologique pour se doter d’une capacité industrielle notable, le Mali s’enlise, en queue de peloton des pays les plus pauvres du monde. Quant il existe, le travail ne paie pas. Dans les champs de coton ou dans les mines d’or, la sueur des Maliens s’évapore, sans valeur ajoutée, loin de l’eldorado commercial où se marchandent leurs matières premières.


De notre envoyée spéciale

A Bamako, les cours du pétrole ont fait grimper les prix du transport.
(Photo: Monique Mas/RFI)
«Je suis pris à la gorge. Parfois, je reste quinze jours ou même un mois sans gagner un rond». Adama a 34 ans. Il a été formé sur le tas en électro-mécanique et en soudure. Il travaille depuis dix-huit ans et il a accepté de prendre en charge huit jeunes apprentis confiés par leurs familles. Il a lui-même deux jeunes enfants et, comme tous ceux qui ont pu à un moment ou un autre tirer quelque revenu monétaire de son travail, Adama soutient sa famille restée au village, à l’écart des grandes voies de communication, dans le nord-ouest malien, où les mines d’or font concurrence aux rizières. Là-bas, dit Adama, «ils ne gagnent rien, j’envoie 1 000 francs CFA par jour pour les condiments. Il faut 4 à 6 kilos de riz par jour pour nourrir tout le monde».

Après avoir appris son métier chez un garagiste bienveillant de la région de Ségou, Adama est descendu à Bamako il y a une dizaine d’années. Remise sur le marché de l’occasion, une vieille moto réparée de ses mains pouvait alors lui laisser 50 000 francs CFA de bénéfice. Le double parfois, dans ses heureuses années 1993-1996 où Adama brassait un chiffre d’affaires annuel de 6 millions de CFA. Vint la concurrence chinoise et ses increvables deux-roues, vendus entre 200 et 250 000 CFA, le prix de revente des vieilles mobylettes remises en état par Adama. Conjuguée avec celle des mécaniciens à la sauvette qui ne paient nulle patente, la concurrence chinoise a ruiné l’atelier de réparation d’Adama, installé dans le quartier de l’hippodrome, moyennant, chaque mois, 40 000 francs de frais de patente et 4 000 de gardiennage.

Les comptes sont vite faits pour Adama. Les rentrées d’argents se sont raréfiées ces dix-huit derniers mois. Mais il faut continuer à payer les 30 000 francs mensuels du galetas, «chambre anti-chambre», comme on dit à Bamako, une poignée de mètres carrés équipés d’une alcôve où Adama dort avec femme et enfants tandis que trois ou quatre frères s’entassent avec les apprentis dans une pièce voisine. Pour nourrir toutes ces bouches, il faut compter cinq kilos de riz par jour, sans oublier quelque 5 000 francs pour l’eau et dans les 20 000 CFA par mois pour l’électricité. Adama a en outre payé les intrants et l’impôt foncier pour les quatre hectares de riziculture obligée que sa famille villageoise ne parvient pas à rentabiliser.

Le bouillon Maggi fait concurrence aux graines du néré qui enrichissent les sauces locales.
(Photo: Monique Mas/RFI)
Pressé et, semble-t-il, convaincu, par les institutions de Bretton Woods, le Mali s’est lancé dans une privatisation tous azimuts en 1988, en commençant par appliquer un Programme d'ajustement sectoriel des entreprises publiques (Pasep). D’un régime l’autre, de Moussa Traoré à son tombeur Amadou Toumani Touré, l’Etat s’est désengagé, passant parfois la main au secteur privé national, cédant les meilleurs morceaux à des entreprises étrangères, dans les secteurs qui exigent une capacité d’investissement plus élevée. La privatisation s’est accélérée entre 1992 et 1995. Une quinzaine de sociétés publiques servant les domaines de l’énergie, des télécommunications ou de la recherche minière, par exemple, sont ainsi passées à la moulinette de la privatisation.

La boussole orientée vers l’économie de marché, les objectifs agricoles du gouvernement sont désormais de diversifier et d’augmenter la production tout en réduisant les coûts. Avec la privatisation de la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT), par exemple, l’Etat ne soutiendra plus ses producteurs de coton. Et s’il ne parvient plus à acheter les graines de coton pour emboucher un peu ses étiques zébus, Amadou devra renoncer à l’élevage sur les pâturages arides de l’Est malien. Déjà, les troupeaux coûtent souvent plus qu’ils ne rapportent, en viande et en lait. Amadou a même craint que son bétail disparaisse, quand le ciel est resté sec entre mai et août dernier. Aujourd’hui, les vaches bossues, «une espèce améliorée», selon lui, se bousculent autour de l’abreuvoir rempli à main d’homme à partir des quatre ou cinq puits traditionnels qui suffisaient autrefois.

Amadou l'éleveur rêve d'herbe grasse et d'irrigations.
(Photo: Monique Mas/RFI)
Amadou rêve d’irrigation et d’herbe grasse. En réalité, les lois du marché ont déjà sonné le glas de l’élevage extensif et de l’agriculture traditionnelle. La récente disette a vu arriver les premiers sacs de riz importés d’Asie. Depuis, la brisure achetée à bas prix en Thaïlande se retrouve souvent dans les assiettes et le riz étranger, parfois mélangé au local par des commerçants véreux, casse les prix payés aux riziculteurs maliens. Pour tenir le coup dans son garage sans remplir le réservoir de sa mobylette pour aller manger à la maison – l’essence coûte 500 franc le litre (près d’un euro) –, Adama paie à Bamako 250 ou 300 CFA la ration de riz cuit. Pendant ce temps, au village, ses deux frères et leurs deux manœuvres ne tirent rien de la terre dévolue à la riziculture par l’Office du Niger.

A défaut de camions, les ânes transportent en ville villageois et récoltes.
(Photo: Monique Mas/RFI)
Avec cent sacs de paddy, la dernière récolte de riz a été lamentable. Pour s’en sortir, Adama a tenté une fois de vendre le riz du village à Bamako. Payé au producteur entre 150 et 175 CFA le kilo, il se vend entre 275 et 300 CFA dans les magasins de la capitale. Mais l’expérience a été un fiasco, une fois le coût du transport (15 CFA le kilo) réglé et les sacs vendus à la louche. Les gagne-petits n’ont pas leur place dans ce genre de négoce. Le monde d’Adama est en train de s’effondrer. Il ne peut plus régler la facture des engrais, 15 ou 20 000 francs le sac, selon les exigences du négociant de la place, en situation de monopole. Adama ne sait plus non plus où trouver l’argent pour l’impôt foncier qui vient de passer de 54 500 francs à 135 000, par hectare et par an. A défaut de paiement, sa famille villageoise devra quitter des terres sur lesquelles elle n’a qu’un droit d’usage. Le propriétaire, c’est l’Etat, l’office du Niger.

Il y a quelques semaines, quand il a compris qu’il allait être chassé des terres travaillées de ses mains, depuis soixante-dix ans, le vieux Coulibaly est mort de chagrin, dans son hameau perdu de l’est du Mali. Dans les confins nord-ouest, s’ils ne savent pas faire pousser le riz, les frères d’Adama n’ont pas non plus le droit de prendre l’initiative d’une autre culture. L’Office du Niger veille. Au sud de Bamako, dans une région mieux arrosée, les femmes s’échinent dans des champs plutôt fertiles qui n’attirent plus les jeunes hommes. Ils préfèrent tenter leur chance et risquer leur vie dans l’orpaillage traditionnel. Au nord, du côté de chez Adama, plusieurs dizaines de femmes en colère ont manifesté aux portes de la nouvelle mine d’or de Tabakoto dont les barbelés enserrent désormais les points d’eau.

Pour éviter la clochardisation, les jeunes paysans prennent la route des mines, des villes ou de l’émigration. La guerre en Côte d’Ivoire a ramené des cohortes d’exilés au pays. Elle a aussi enrayé les circuits économiques légaux au profit de trafics qui n’enrichissent qu’une poignée d’aigrefins. La hausse des cours du pétrole a déjà éliminé les entrepreneurs les plus modestes. Essentiellement en provenance du Nigéria, le pétrole émarge pour 17% dans les importations nationales. Le Mali dépendait à 67% de la Côte d’Ivoire, à 18% du Sénégal et à 15% du Togo et du Bénin pour l’essence et les sous-produits raffinés du pétrole. La réorientation des flux pétroliers a péniblement commencé. Les distributeurs Total, Shell ou Exxon répercutent leurs coûts. Sur le bord des routes, l’essence de contrebande, vendue au litre, alimente une compétition, plus âpre que jamais.

L’aurore pose des doigts de rose sur Bamako. Il est 6heures 30, les fourneaux de charbon ou de bois crachent leurs épaisses fumées matinales. Les embouteillages achèvent d’empuantir l’air bientôt chauffé à blanc par le soleil du Sahel. La capitale fourmille déjà. Nohoun n’a pas le premier sou pour épouser la belle qui l’attend au village. A 29 ans, il est temps. Mais ce qu’il gagne en distrayant les dîneurs avec sa musique traditionnelle, il l’envoie à sa vieille mère. Elle ne veut pas qu’il émigre. Bon fils, Nohoun se contentera donc de chercher fortune à Bamako.

La brique de banco faite main, se paie 5 francs CFA pièce (0,007 centime d'euro).
(Photo: Monique Mas/RFI)
A plusieurs centaines de kilomètres de la capitale où il n’a jamais mis les pieds, Mohamet façonne les briques de terre rouge qui permettront de construire une case supplémentaire dans la concession familiale. A 700 kilomètres de toute fenêtre maritime, le Mali est bien loin des yeux du monde. De désert en savanes broussailleuses et forêts claires, ses 11 000 villages de banco rouge ou gris bruissent pourtant d’un même souci : sortir les jeunes du chômage et obtenir une juste rémunération pour ceux qui travaillent.

«Je nourris 24 personnes, j’ai formé 4 apprentis qui ont ouvert leur propre garage, j’éduque mes enfants et ceux des autres», dit Adama, l’électro-mécanicien. «J’apporte quelque chose à la société, mais personne ne m’encourage», conclut-il. Aujourd’hui, Adama a envie de laisser tomber son fardeau de charges, envie de fuir, envie de partir à la conquête d’un nouveau monde, par-delà les sables et les océans.


par Monique  Mas

Article publié le 14/12/2005 Dernière mise à jour le 14/12/2005 à 08:56 TU

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