Irak
Saddam joue la victime
(Photo : AFP)
Le procès du massacre de Doujaïl transformé en tribune politique par le principal accusé. L’occasion était trop belle et Saddam Hussein l’a saisie prenant ainsi de court ses juges qui depuis le début de l’affaire tentaient de ne pas répondre à ses provocations et à celles de ses sept coaccusés. Alors qu’il avait menacé lors de la cinquième audience de ne plus comparaître devant le Haut tribunal pénal –à qui il ne reconnaît aucune légitimité–, l’ancien homme fort de Bagdad s’est présenté mercredi le plus tranquillement du monde devant ses juges. Les cheveux impeccablement peignés, la barbe soigneusement taillée, vêtu d’un costume gris et d’une chemise bleue, l’ancien raïs s’est installé dans le box des accusés, en apparence indifférent à ce qui se déroulait sous ses yeux. Les déclarations du premier témoin à charge de la journée l’ont laissé de marbre. Ali Hassan al-Haidari, qui s’est présenté à visage découvert, a pourtant décrit avec précision les tortures auxquelles étaient soumis les villageois de Doujaïl. Sang coulant de blessures à la tête, décharges électriques sur tout le corps, plastique brûlant qu’on faisait couler sur les prisonniers, arraché ensuite une fois sec avec la peau… «La douleur était terrible. Je ne peux exprimer la souffrance que nous avons subie», a souligné Ali Hassan al-Haidari avant de préciser : «un homme arrivait debout et repartait en sang après avoir été jeté dans une couverture».
Indifférent à ce témoignage, Saddam Hussein l’a interrompu pour demander une suspension de séance pour aller prier. Face au refus du juge, il s’est très calmement tourné en direction de La Mecque, puis s’est recueilli pendant plusieurs minutes. A aucun moment, tout au long de cette journée de mercredi, le président déchu ne s’est départi de son calme. Son demi-frère, Barzan al-Tikriti, qui comparaît à ses côtés, a en revanche multiplié les provocations, traitant de «chiens» les témoins et s’en prenant vigoureusement aux magistrats du Haut tribunal pénal. «Si vous étiez un vrai Irakien, vous seriez avec nous sur le banc des accusés», a-t-il lancé au président de la cour avant de mettre le tribunal au défi de produire un seul document signé de sa main prouvant qu'il a ordonné des meurtres.
En fin de journée, Saddam Hussein qui a passé de longues heures à écouter en silence les récits de tortures et de meurtres, s’est soudain enflammé pour dénoncer les brutalités que lui auraient fait subir les Américains. «Oui j’ai été battu et torturé par les Américains», a-t-il lancé avant de préciser que «les signes en sont visibles sur chaque partie de (son) corps». Prenant à témoin ses coaccusés il a ajouté qu’ils avaient tous reçu des coups de crosse de fusils sur la tête. Profitant de l’effet de surprise provoqué par ses déclarations, l’ancien raïs s’est ensuite lancé dans un vibrant hommage aux insurgés, «ces hommes braves qui s’attaquent aux Américains et qui les tuent». Sur un ton de «père de la nation» il a déclaré : «c’est un honneur d’être fier d’eux».
Washington dénonce des accusations «absurdes»
L'administration Bush a immédiatement réagi mercredi soir qualifiant d’«absurdes» les déclarations du président déchu accusant les Américains de l'avoir torturé en prison. «Je pense qu'il s'agit d'une des choses les plus absurdes sorties de la bouche de Saddam Hussein récemment», a rétorqué le porte-parole de la Maison Blanche, Scott McClellan. «Saddam Hussein reçoit un traitement diamétralement opposé à celui que son régime infligeait aux gens emprisonnés et torturés pour avoir simplement exprimé leur opinion», a-t-il ajouté. Le porte-parole du département d’Etat, Sean McCormack, a pour sa part regretté que le procès en cours offre à l’ancien raïs «une tribune». «L'attention devrait plutôt se porter sur les témoignages des gens qui ont souffert de la tyrannie, de l'oppression et de la violence de Saddam Hussein. C'est ça que les gens devraient plutôt écouter», a-t-il insisté.
Ces démentis de l’administration Bush ont donné l’occasion à Saddam Hussein de lancer une nouvelle attaque jeudi contre les Américains. A la reprise de son procès, le président déchu les a accusés d’avoir «menti» en affirmant qu’il n’avait pas été torturé par ses geôliers comme ils avaient «menti sur les armes chimiques». «Le sionisme et les responsables américains haïssent Saddam. Ils ont dit que j'avais un lien avec le terrorisme pour reconnaître plus tard que je n'en avais pas», a-t-il lancé. Maintenant ses accusations de mauvais traitements, l’ancien président a en outre expliqué qu’il avait fait constater ses blessures par trois équipes médicales américaines. «A la Maison Blanche ce sont des menteurs et la Maison Blanche est le menteur numéro un au monde», a conclu l’ancien raïs.
La tournure que prend le procès de Saddam Hussein est de plus en plus critiquée en Irak où un quotidien a notamment exigé jeudi davantage de fermeté de la part des juges du Haut tribunal pénal. «Au nom de Dieu, des martyrs et de l'honneur de l'Irak, révisez la composition de la cour et mettez en avant des juges qui ne soient pas seulement patients et bien élevés», a réclamé le quotidien indépendant al-Sabah al-Jadeed. Mais au-delà de la manière dont sont menés les débats, c'est l'organisation même de ce procès qui est désormais de plus en plus remise en cause. De nombreuses voix se sont ainsi élevées ces dernières semaines pour regretter de voir le président déchu comparaître uniquement pour le massacre de 148 villageois chiites de Doujaïl, une affaire en apparence de second plan. «Il aurait fallu que le tribunal le juge aussi sur les autres dossiers pour établir la vérité sur cette période tragique» de plus de 30 ans pendant laquelle il a été le maître absolu de l'Irak, a ainsi récemment déclaré l'ancien ministre des droits de l'Homme, Bakhtiar Amine, un Kurde qui dirige aujourd'hui une ONG de défense des droits de l’Homme.
Officiellement, seul le dossier touchant au massacre de Doujaïl a été bouclé. Des recherches de preuves contre Saddam Hussein et ses lieutenants sont en cours sur le gazage des Kurdes en 1988 à Halabja qui avait fait quelque 5 000 morts et sur la répression sanglante de l'insurrection chiite en 1991. Mais la longueur de cette instruction n'est pas sans risques car plus le procès de Saddam Hussein va durer, plus celui-ci aura l'occasion de s’attaquer aux Etats-Unis et à leur politique dans la région.
par Mounia Daoudi
Article publié le 22/12/2005 Dernière mise à jour le 22/12/2005 à 18:00 TU