Irak
Saddam Hussein devant ses juges
(Photo: AFP)
Gazage de quelque 5 000 Kurdes en 1988 à Halabja, opération Anfal la même année avec des dizaines de milliers de civils exterminés ou encore répression féroce du soulèvement chiite en 1991, sans compter l’invasion du Koweït. Les crimes contre l’humanité auxquels doit répondre Saddam Hussein ne manquent pas. Mais mercredi 19 octobre, lorsqu’il comparaîtra devant le Tribunal spécial irakien (TSI), l’ancien homme fort de Bagdad n’aura à rendre compte que d’un seul crime : le massacre en 1982 de cent-quarante-trois chiites tous originaires du village de Doujaïl, situé à une soixante de kilomètres au nord de la capitale irakienne. C’était un 8 juillet. Saddam Hussein, qui venait de visiter une mosquée, se dirigeait vers le centre de la bourgade lorsque des coups de feu ont été tirés dans sa direction. A quarante-cinq ans, le raïs, qui dix-huit mois auparavant avait déclaré la guerre à l’Iran de Khomeyni, venait d’échapper à une tentative de coup d’Etat attribuée à des membres d’une formation chiite clandestine. Il le fera payer aux habitants de Doujaïl.
Plus de 600 personnes, appartenant à 80 familles, ont ainsi été arrêtées et transférées à la prison de la police secrète de Bagdad. Cent-quarante-trois hommes, pour la plupart encore des adolescents –les hommes mûrs combattant sur le front iranien– ont disparu à jamais. Les femmes et les enfants ont, eux, été embastillés à Abou Ghraïb avant d’être parqués durant quatre années dans un camp de rétention à la frontière saoudienne, en plein désert. Mais la vengeance de Saddam ne s’est pas arrêtée là. Les terres de Doujaïl, situées sur les rives du Tigres et réputées pour le rendement de leurs vergers, ont été rendues stériles. Des unités de l’armée se sont déployés le lendemain de la tentative de coup d’Etat pour abattre les palmiers et déverser du sel sur le sol. Des dizaines de maisons ont également été détruites par des bulldozers. Vingt-trois ans après, Doujaïl porte encore les stigmates de cette vengeance. Pour tous ces crimes, Saddam Hussein et ses sept coaccusés, parmi lesquels son ancien vice-président Taha Yassine Ramadan et son demi-frère Barzan Ibrahim al-Hassan, risquent la peine de mort
Justice des vainqueurs ?
Très attendu notamment par les communautés chiite et kurde, le premier procès de l’ancien homme fort de Bagdad et de ses complices s’ouvrira demain sous très haute sécurité. L’emplacement de la salle d’audience, tout comme l’identité des cinq juges devant y siéger, seront gardés secrets jusqu’au dernier moment. Et sauf décision contraire, la séance devrait être retransmise à la télévision. Mais les préparatifs même de ce procès ainsi que les conditions dans lesquelles il va se dérouler jettent d’ores et déjà le doute sur son équité.
Plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme ont récemment exprimé leurs inquiétudes, dénonçant les limites des droits de la défense. «Nous avons de grandes inquiétudes sur le fait que le tribunal ne garantisse pas un procès équitable conforme au droit international», s’est notamment inquiété dans un rapport publié dimanche Human Rights Watch. L'ONG américaine y met en avant les moyens disproportionnés dont disposent la défense d'un côté et l'accusation de l'autre qui bénéficie du plein soutien technique et financier de l’administration Bush. Le Congrès américain a ainsi alloué, en 2003, la somme de 128 millions de dollars, afin de «construire le salle s'audience, mener les exhumations (des victimes), pour l'étude des documents saisis, la préparation des preuves et la formation des membres du TSI». A l’inverse, la défense de Saddam n’a eu que de rares occasions de s’entretenir avec son client. Le laps de temps qui lui a été accordé pour étudier les éléments à charge et pour interroger les témoins était bien en-deçà des standards internationaux.
Tout aussi gênants sont les statuts du Tribunal spécial irakien chargé de juger l’ancien homme fort de Bagdad. Créée par l’ancien administrateur civil américain Paul Bremer, trois jours avant l’humiliante capture de Saddam Hussein, cette instance a été disqualifiée dès sa mise en place car considérée comme devant rendre la justice des vainqueurs. Or pour de nombreux experts, il est fondamental que le procès de Saddam Hussein et de ses coaccusés soit équitable. «Il doit pouvoir être soumis à l'examen critique de l'opinion publique, afin que les Irakiens et les Irakiennes, ainsi que la communauté internationale dans son ensemble, puissent constater que la justice est bien à l'œuvre», a ainsi estimé l’organisation Amnesty International.
par Mounia Daoudi
Article publié le 18/10/2005 Dernière mise à jour le 19/10/2005 à 09:12 TU