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Irak

Saddam ne sera pas jugé avant plusieurs mois

L'ancien dictateur est apparu combatif devant ses juges. 

		(photo : AFP)
L'ancien dictateur est apparu combatif devant ses juges.
(photo : AFP)
Considérant que la meilleure défense était l’attaque, Saddam Hussein, qui comparaissait pour la première fois jeudi devant ses juges, a rejeté la légitimité de la cour qui l’a inculpé. L’ancien dictateur a refusé de signer l’acte d’accusation, qualifiant le Tribunal spécial irakien -mis en place par l’administrateur américain Paul Bremer- de «théâtre pour la campagne électorale de Bush». L’ancien homme fort de Bagdad qui se considère toujours comme «le président de la République d’Irak» est apparu tantôt abattu, tantôt combatif. Il n’a en tout cas rien perdu de sa morgue et ne semble avoir aucun remord concernant les crimes et violations des droits de l’homme commis sous son règne.

L’homme que les télévisions du monde entier ont montré en boucle jeudi n’est plus que l’ombre de celui qui a dirigé d’une main de fer l’Irak pendant plus de trois décennies. Amaigri, la barbe poivre et sel, le regard sombre, l’ancien dictateur sanguinaire est certes apparu vieilli. Il a perdu sa prestance, sa stature de dirigeant qui a osé défier l’Amérique. Mais ce n’est pas non plus cet homme aux abois, hirsute, traqué puis arrêté de façon bien peu glorieuse le 13 décembre dernier dans un trou à rat de la région de Tikrit. Durant les six mois qu’il vient de passer en détention sous la garde des Américains, Saddam Hussein a en effet eu le temps de méditer sur son sort et de préparer sa défense. Et c’est donc un homme sûr de lui qui a affronté le juge du Tribunal spécial irakien chargé de l’inculper. «Je suis Saddam Hussein, le président de la République d’Irak», a-t-il répliqué au magistrat qui lui demandait de décliner son identité. Et à la question concernant sa domiciliation, l’ancien dictateur a répondu du tac au tac: «je vis dans toutes les maisons irakiennes».

L’ancien homme fort de Bagdad a donc d’entrée de jeu montré un visage combatif. Impassible devant le juge qui lui présentait les sept chef d’accusation pour lesquels il est poursuivi –il lui est reproché les opérations Anfal contre la population kurde (de février à septembre 1988), le gazage des Kurdes à Halabja (mars 1988), le massacre en 1983 des membre de la tribu du chef kurde Massoud Barzani, l’écrasement de la rébellion chiite en 1991, la guerre contre l’Iran, l’invasion du Koweït et l’intention de tuer les responsables politiques irakiens– Saddam Hussein n’a réagi qu’à trois reprises. Minimisant l’utilisation d’armes chimiques contre les populations kurdes dont les images ont pourtant marqué le monde entier, il s’est contenté de déclarer: «J’en ai entendu parler mais je n’étais pas au courant». Concernant les huit années de guerre qui ont opposé son pays au régime de Téhéran, il a affirmé que c’était «un événement normal». Il s’est en revanche montré beaucoup plus offensif concernant l’invasion du Koweït qui a mis en 1990 son pays au ban de la communauté internationale. «Le Koweït est un territoire irakien. Je ne l’ai pas envahi. Comment pouvez-vous défendre ces chiens qui allaient faire des Irakiennes des prostituées pour dix dinars», a-t-il lancé au tribunal avant d’être interrompu par le juge qui lui a signifié que «tout mot impoli n’était pas permis dans cette cour».

Reprenant la gestuelle qui était la sienne du temps où il terrorisait les Irakiens, Saddam Hussein ne s’est pas démonté pour autant, s’en prenant à la légitimité du tribunal chargé de le juger. «Sous quelle loi vais-je comparaître ?», a-t-il lancé au juge. «Avez-vous les diplômes nécessaires pour le faire et depuis quand avez-vous été désigné juge ? Avant ou après l’occupation ?», a-t-il ajouté, visiblement peu impressionné par le magistrat qui lui faisait face. Et lorsque ce dernier lui a expliqué que l’administration de la coalition dirigée par les Etats-Unis l’avait chargé de ce procès, Saddam Hussein a esquissé un rire: «Vous me jugez donc sous l’ordre des forces d’invasion !»

La défense s’organise

Prenant exemple sur l’ancien dictateur serbe Slobodan Milosevic –qui avait dénoncé l’illégalité du Tribunal pénal international chargé de le juger et transformé la cour en tribune– Saddam Hussein a contesté la légitimité du Tribunal spécial irakien. Il a donc refusé de signer les chefs d’accusation qui lui ont été présentés. «Permettez-moi de ne pas signer sans la présence d’un avocat. Je ne veux pas commettre un acte qui puisse être considéré comme un acte précipité», a-t-il justifié. Depuis qu’il a été placé mercredi sous contrôle juridique du gouvernement intérimaire irakien, l’ancien dictateur a perdu son statut de prisonnier de guerre. Il est désormais un détenu de droit commun accusé des pires crimes contre la population irakienne. Comme tout accusé, il a droit à un avocat mais jusqu’à présent il n’a rencontré aucun de la vingtaine de conseils recrutés par son épouse Sajida Khairallah pour le défendre. Plusieurs de ces avocats, parmi lesquels des occidentaux, ont d’ailleurs saisi jeudi l’occasion pour dénoncer le fonctionnement du Tribunal spécial irakien où leur client a comparu sans conseil devant des magistrats soupçonnés de partialité. «Cette cour est illégale car elle a été désignée par une autorité illégale temporaire, créée par l’occupation», a en outre déclaré l’un d’eux, esquissant la ligne de défense qui semble privilégiée.

Mis en place trois jours avant la capture de Saddam Hussein par l’ancien administrateur américain Paul Bremer, ce tribunal a juridiction pour les génocides, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les violations de la loi irakienne. Il est composé d’une juridiction de première instance et d’une cour d’appel. Son président Salem Chalabi –neveu du très controversé Ahmed Chalabi, l’homme du Pentagone tombé aujourd’hui en disgrâce– a souligné que maintenant que l’ancien dictateur était formellement inculpé, «la prochaine étape verrait les juges démarrer l’instruction à proprement parler, en commençant par rassembler les preuves». Une mission de longue haleine –elle pourrait durer plusieurs mois, voire plusieurs années, les enquêteurs devant expertiser des centaines de sites de charniers, analyser des dizaines de milliers de pages de documents et surtout obtenir des témoignages de ceux qui ont contribué à installer ce régime de terreur– qui avant même de débuter est confrontée à des difficultés d’ordre pratique. Le Tribunal n’a notamment pas assez de juges pour mener les investigations, nombre d’entre eux refusant d’y siéger par peur de représailles. Cinq candidats potentiels ont déjà été tués par les partisans du dictateur déchu.

Mais au-delà de ces problèmes de fonctionnement, c’est l’indépendance de cette cour qui est aujourd’hui au cœur des interrogations. Des organisations de défense des droits de l’homme ont estimé qu’un tribunal mêlant juges irakiens et internationaux auraient été la meilleure formule. «Après trente-six ans de dictature, il est difficile de compter sur le système judiciaire irakien», a notamment souligné Richard Goldstone, procureur du premier tribunal mis en place par les Nations unies pour juger les crimes de l’ex-Yougoslavie. Insistant pour que la justice soit rendue conformément aux droits fondamentaux, la nouvelle commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, la Canadienne Louise Arbour, a quant à elle appelé la communauté internationale à la vigilance. «Il est important d’avoir une procédure crédible et équitable», a-t-elle affirmé.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 02/07/2004 Dernière mise à jour le 02/07/2004 à 15:49 TU

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Journaliste, envoyée spéciale de RFI à Bagdad

«En assumant la garde juridique de Saddam Hussein, l’Irak tourne une page symbolique de l’occupation.»

[30/06/2004]

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