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Irak

Quelle justice pour Saddam Hussein ?

Après l’arrestation de Saddam Hussein samedi soir, une question se pose aujourd’hui : celle de savoir où et par qui sera jugé l’ancien dictateur ? Les Irakiens revendiquent de le faire comparaître dans leur pays devant le tribunal spécial créé récemment pour juger les crimes perpétrés sous l’ancien régime. Les organisations de défense des droits de l’homme mettent, quant à elles, en garde contre le risque de rendre une justice «de vengeance» dans un procès particulièrement symbolique. Quant aux Américains, ils n’ont, pour le moment, pris qu’un seul engagement : Saddam Hussein sera traité comme un prisonnier de guerre et protégé par les Conventions de Genève.
Nul ne sait pour le moment où est détenu Saddam Hussein. Depuis son arrestation par les militaires américains près de sa ville natale de Tikrit, samedi soir, il a été placé en détention dans un lieu tenu secret. Le commandant en chef des forces américaines en Irak, le général Ricardo Sanchez, a expliqué à ce propos : «Il est détenu dans un lieu non précisé où nous avons pris des dispositions pour qu’il soit en bonne santé. Nous assurons sa sécurité et nous nous assurons que nous obtenons les informations qui nous sont nécessaires pour poursuivre notre mission».

L’ex-dictateur irakien devrait recevoir la visite de représentants du Comité international de la Croix-rouge, qui est chargé de s’occuper des prisonniers de guerre, mais la date de cette entrevue n’a pas été précisée. Donald Rumsfeld, le secrétaire américain à la Défense, a simplement déclaré à ce propos : «Nul n’a besoin de s’inquiéter, il [Saddam Hussein] sera traité de façon humaine et professionnelle». Ajoutant qu’il serait «protégé par les Conventions de Genève». Malgré ces précisions rassurantes, la légalité de la diffusion d’images d’un Saddam Hussein barbu en train de se faire examiner par un homme muni de gants chirurgicaux, après son arrestation, a déjà été mise en cause. Mais Donald Rumsfeld a estimé que ce que «les images montrent, c’est qu’il a été traité de manière très professionnelle et que l’on se préoccupe de sa santé et de son bien-être». Quant au CICR, il a préféré calmer la polémique naissante en déclarant qu’il ne souhaitait pas «entamer un débat public» sur cette question.

«Il n’existe pas de plus grand criminel que Saddam Hussein en Irak»

Si le statut du prisonnier Saddam Hussein a été éclairci, reste à savoir ce qu’il va advenir dans les prochains mois de l’ex-président irakien et dans quelles conditions il sera jugé. Car lors de son intervention dimanche, le président américain George W. Bush a simplement déclaré : «Maintenant, l’ancien dictateur va faire face à la justice qu’il a refusé à des millions de gens». Il a ainsi fait référence à l’ensemble des crimes commis sous la houlette de Saddam Hussein entre 1968, date de l’arrivée au pouvoir en Irak du parti Baas, et la chute du régime en avril 2003. Parmi ces crimes, certains relèvent du génocide (utilisation d’armes chimiques contre le Kurdes en 1987-88) ou du crime contre l’humanité (écrasement sanglant de la révolte chiite en 1991). Les organisations humanitaires estiment d’ailleurs qu’environ 200 000 Irakiens ont disparu durant cette période.

George W. Bush n’a, par contre, pas évoqué les modalités suivant lesquelles Saddam Hussein pourrait être traduit devant la justice. Le président du Conseil de gouvernement provisoire irakien, Abdelaziz Hakim, n’a quant à lui pas tardé pour déclarer qu’il revenait au nouveau tribunal pénal irakien créé pour juger des crimes commis sous l’ancien régime de le juger : «Saddam Hussein sera jugé par des juges irakiens, et le tribunal va travailler et statuer en Irak», ajoutant : «Les Irakiens sont capables de mener un procès selon la loi et nous allons le faire selon les critères du droit international et des droits de l’homme, c’est à dire que nous allons garantir un jugement juste».

Malgré cet engagement, un certain nombre d’observateurs mettent en doute la capacité d’une cour irakienne à assurer un procès équitable. Pour les organisations de défense des droits de l’homme, qui ont pourtant dénoncé depuis de nombreuses années les exactions commises par le régime baasiste, il existe un risque non négligeable de rendre une justice «partiale» dans un climat passionnel, marqué par l’insécurité et sous l’influence des Américains. L’insuffisance de personnel juridique disponible et d’instruments juridiques adaptés (lois, procédures pénales) dans un pays en pleine transition, sans institutions ni constitution, rend difficile l’organisation d’un tel procès.

D’autre part, si Saddam Hussein devait être traduit devant la justice irakienne, la question d’une éventuelle condamnation de l’ancien dirigeant à la peine de mort, qui existe dans la loi en vigueur dans le pays mais est récusée par la justice internationale, se poserait. De ce point de vue, Abdelaziz Hakim a déjà estimé qu’une condamnation à la peine capitale n’était pas du tout exclue puisque «pour le moment, il n’existe pas de plus grand criminel que Saddam Hussein en Irak».

Pour l’ensemble de ces raisons, les organisations de défense des droits de l’homme et certains juristes internationaux estiment qu’il serait plus prudent de renvoyer l’ex-dictateur devant une cour international du type de la Cour pénale internationale de La Haye (celle-ci n’étant pas compétente car elle ne peut statuer que sur des crimes commis après son entrée en fonction en juillet 2002). Mais cette solution semble peu à même de séduire les Américains qui se sont opposés à la création de la CPI.

Reste l’éventualité d’une collaboration du tribunal irakien avec des juges internationaux, par exemple sous l’égide de l’Onu. Les Irakiens n’ont d’ailleurs pas fermé la porte à une solution de ce type. Abdelaziz Hakim a affirmé que le tribunal travaillera «sous la supervision d’experts internationaux et prendra l’exemple de tribunaux internationaux». Les modalités d’une telle collaboration seraient bien évidemment à définir. Dans l’attente de la décision finale sur son sort, Saddam Hussein a déjà reçu le soutien du président de l’ordre des avocats jordaniens qui a appelé à la constitution d’un groupe d’avocats arabes pour défendre l’ancien dirigeant qu’il a qualifié de «président légal».

A écouter également :

Claude Jorda, ancien président du Tribunal pénal international pour l'ex-yougoslavie au micro d'Addala Benraad, 3'17

Monique Chemilly-Gendreau, professeure de Droit international, invitée de la mi-journée avec Fréderique Genot, 4'55



par Valérie  Gas

Article publié le 15/12/2003