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Irak

La résistance sans visage

La capture de Saddam Hussein va-t-elle porter un coup fatal à la résistance irakienne ? En tout cas l’hypothèse est loin de se vérifier au lendemain de l’annonce de son arrestation : deux voitures piégées ont encore explosé lundi matin à Bagdad et dans la banlieue de la capitale, et un troisième véhicule piégé a été désamorcé. Bilan : 9 morts et au moins 7 blessés. Certes, l’arrestation de l’ancien président irakien est un rude coup porté aux opposants à l’occupation, mais leurs réseaux logistiques sont désormais bien en place. Ils pourraient aussi être tentés de venger l’arrestation de leur chef suprême. Après la liquidation d’Oudaï et Qoussaï, les deux fils de Saddam Hussein, en juillet dernier, l’état-major américain avait espéré une diminution des attaques contre les forces de la coalition. Il n’en a rien été, bien au contraire. Le même scénario pourrait se reproduire après l’arrestation de l’ex-président irakien. D’autant plus, que les groupes armés irakiens s’enhardissent chaque jour davantage.

Walid Charara, politologue libanais interviewé sur l'avenir de la résistance par Raphaël Rennes (15/12/2003, 3'05)
De notre envoyé spécial en Irak.

Face à la première armée du monde, les résistants irakiens ont choisi de s’inspirer de la tactique de guérilla du Viêt-minh, le mouvement de libération du Vietnam créé par Ho Chi Minh en 1941. «Frappe et disparaît !», telle est leur mode d’action. Fondus au sein de la population, les assaillants harcèlent les troupes de la Coalition en petits groupes insaisissables. Dans sa ferme, située à moins de trois kilomètres de l’aéroport de Bagdad, Abou Farès, un ancien responsable de la direction du parti Baas à Abou Ghraib, explique le mode opératoire des commandos : «la plupart des attaques se déroulent la nuit. Des informateurs renseignent les résistants sur les allers et venues des soldats américains. En général, le commando se compose de trois ou quatre combattants : un ou deux chargés de déclencher le feu sur l’ennemi, un troisième caché en soutien et un quatrième qui assure la fuite du groupe».

«Pour nous, ce type de guérilla est nouveau», poursuit Abou Farès. «Nous apprenons tous les jours, chaque opération est une leçon pour perfectionner les suivantes. Dans les trois à quatre prochains mois, les attaques vont se multiplier». L’armement de la résistance provient des entrepôts de l’armée pillés après la chute du régime de Saddam Hussein, certaines sont aussi fabriquées localement. Les résistants disposent en abondance d’armes légères comme des kalachnikov, des grenades à main et des lance-roquettes RPG. «Nous possédons aussi des stocks de mines, notamment de fabrication italienne et chinoise», affirme Abou Farès. «Nous utilisons deux techniques de mise à feu, soit par un câble de détonation camouflé dans les fossés dont la longueur peut atteindre un kilomètre, soit par télécommande à distance». Pour faire le maximum de dégâts, la mine est parfois couplée à un obus.

«Notre principale faiblesse provient d’un manque d’armes sophistiquées», reconnaît Abou Farès. Les combattants irakiens disposent bien de missiles sol-air SAM-7, mais d’anciennes générations. Depuis la chute de plusieurs hélicoptères, l’état-major américain a décidé par mesure de sécurité de faire voler ses appareils à très basse altitude. «Plus un aéronef vole haut et plus il est facile de suivre sa trace thermique et sa trajectoire pour le détruire», explique un expert militaire occidental. «A basse altitude, pour faire mouche, il faut des missiles sol-air capables d’atteindre un objectif à une cinquantaine de mètres, comme les missiles Lau de technologie occidentale, or à ma connaissance, la résistance irakienne n’en dispose pas. Un SAM-7 peut abattre un hélicoptère mais encore faut-il avoir de la chance et être un tireur qualifié» .

Les opérations impliquant le maniement de missiles sol-air sont exécutées par d’anciens militaires de l’armée irakienne. «Utiliser ce type d’armement ne s’improvise pas», précise Abou Mahmoud, un ancien officier résidant à Abou Ghraib. En revanche, les attaques au RPG ou à la grenade ne nécessitent pas un grand professionnalisme et peuvent être menées par des hommes peu aguerris. Pour mener leur guérilla, les groupes de résistants sont organisés au plan local de manière autonomes et décident eux-mêmes de leurs cibles. A Abou Ghraib, il est arrivé que deux groupes frappent simultanément un même objectif américain sans se connaître.

Qui dirige la résistance ?

Anciens partisans de Saddam Hussein, nationalistes ou islamistes, tous ont leurs motivations idéologiques ou religieuse pour combattre les Américains : certains souhaitent le retour au pouvoir du président irakien, d’autres veulent libérer leur pays de l’occupation étrangère et les troisièmes enfin, mènent la guerre sainte contre les infidèles occidentaux. Il n’y auraient pas de passerelles entre les trois groupes. «Les islamistes détestent les baassistes, également haïs par les nationalistes», explique le colonel Hachem, un ancien membres des services de renseignement. «Par peur des infiltrations, les premiers agissent de manière autonomes et gèrent leurs propres réseaux clandestins pour collecter des fonds et des armes».

Reste un mystère : qui dirige la résistance ? «Les Américains seraient ravis de pouvoir négocier secrètement avec ses représentants, mais il n’existe pas de direction connue en tant que telle», explique un responsable de la puissante tribu des Dleimis à Ramadi, l’un des bastions de la guérilla. L’ombre de Saddam planant toujours sur le pays, personne n’ose encore s’imposer comme nouveau leader. Le souci du secret dicte aussi l’absence d’émergence de responsables prenant la tête de cette résistance sans visage. Apparaître au grand jour, c’est en effet risquer d’être liquidé par les forces de la Coalition.

Cet éclatement de la résistance en plusieurs pôles autonomes ne facilite pas la tâche des Américains pour la démanteler, d’autant plus qu’elle s’appuie sur des bases tribales transcendant les clivages politico-confessionnels. «Une tribu entière peut soutenir la résistance, mais seuls quelques-uns de ses membres participent aux opérations armées», explique Saad Nazzal, vice-gouverneur de Beiji, une ville sur le Tigre à mi-chemin entre Bagdad et Mossoul, et d’ajouter : «dans ma circonscription, la population affiche sa sympathie vis-à-vis des résistants car depuis le renversement du régime, la vie quotidienne n’a fait qu’empirer. L’insécurité règne partout, le chômage s’est généralisé et l’ordre public a disparu».

«Dans la phase actuelle, la résistance n’a pas besoin de programme politique», confie à Bagdad un ancien responsable baasiste proche des réseaux de Saddam Hussein, «notre objectif est de mener des attaques sur tout le territoire irakien et d’embraser le pays». Ce n’est pas encore le cas et les opérations armées se concentrent principalement dans le «pays sunnite». Pour le moment, la majorité des chiites refusent d’entrer dans ce jeu de la fuite en avant et joue encore la carte de la coopération avec les Américains. Jusqu’à quand ?



par Christian  Chesnot

Article publié le 15/12/2003