Irak
Le procès de Saddam Hussein s’ouvrira le 19 octobre
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RFI : Parmi les nombreux crimes que l’on peut reprocher à Saddam Hussein, la justice irakienne n’a retenu que la répression contre les chiites dans une ville du centre de l’Irak en 1982. Pourquoi s’être limitée à ces charges ?
Chris Kutschera : Je pense que ceux qui ont organisé ce procès veulent faire au plus simple. Dans ce cas, les preuves sont évidentes, les témoignages sont là, le dossier est bouclé. Ils ont préféré éviter d’organiser un procès pour crime de guerre ou crime contre l’Humanité ou génocide, beaucoup plus complexe à manier.
RFI : Mais le porte-parole du gouvernement, Laith Koubba, a laissé entendre que la sentence pourrait être rapidement exécutée après le verdict de ce procès. Est-ce que ça ne risque pas de frustrer les autres victimes de Saddam Hussein ?
CK : Il faut souligner que le président Jalal Talabani a déclaré qu’il était opposé à la peine de mort et qu’il ne signerait pas cette sentence. Rien n’est donc bouclé.
RFI : Mais voici quelques jours, le même Talabani a laissé son adjoint signer trois sentences de mort qui ont aussitôt été exécutées…
CK : Il s’agissait de condamnés de droit commun, je pense que le cas est très différent.
RFI : Vous pensez donc qu’après ce premier procès, il pourrait y avoir un procès général abordant les crimes contre l’Humanité, le génocide, etc. ?
CK : Je l’espère, car il est évident que si l’Irak veut redémarrer sur des bases solides, comme l’Afrique du Sud ou l’ex-Yougoslavie, il faut qu’il y ait un procès qui traite de tous les crimes de Saddam Hussein : génocide, crimes de guerre et crimes contre l’Humanité. Il faut qu’il y ait procès, il faut qu’il y ait châtiment et surtout, il faut qu’il y ait réparation. Ce n’est qu’à ce prix que l’on pourra sortir de l’impasse actuelle en Irak.
RFI : Mais à la différence de l’ex-Yougoslavie, ce procès-ci n’est pas jugé par un tribunal international : c’est le Tribunal spécial irakien qui jugera Saddam Hussein. A-t-il à la fois l’indépendance et la compétence nécessaires ?
CK : Dans le dernier chapitre du Livre noir de Saddam Hussein, André Poupart, qui est professeur de droit à l’université de Montréal, expose bien les deux possibilités. Soit un procès fait à l’intérieur de l’Irak par les Irakiens, soit un procès international à l’extérieur. Sa conclusion –et personnellement, je suis d’accord avec lui– est que c’est un procès organisé, géré et mis en œuvre par les Irakiens eux-mêmes qui remettra les pendules à l’heure, car c’est de cela qu’il s’agit, finalement…
RFI : On dit aussi que beaucoup, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Irak, ont intérêt à un procès tronqué suivi d’une exécution, ce qui éviterait des révélations sur l’énorme réseau de complicités dont a bénéficié le régime pendant une trentaine d’années en Irak même, et dans les pays occidentaux qui lui sont aujourd’hui hostiles…
CK : Ces complicités, nous, les 23 auteurs du Livre noir, les avons traitées dans notre livre. Il y a des chapitres sur les «Amitiés franco-irakiennes», sur le soutien des États-Unis qui a été très importants (ils sont allés jusqu’à fournir des photos-satellite sur les positions de l’armée iranienne pendant la guerre Iran-Irak, sur le soutien inébranlable de l’Union soviétique. Il y a un chapitre sur les « marchands de mort », par exemple des Hollandais qui ont fourni des tonnes de produits chimiques qui ont permis à Saddam Hussein de fabriquer ses armes de destruction massive. On a mis aussi en évidence l’aide de l’Égypte, qui a été déterminante. Par conséquent, je pense qu’il n’y a plus de scoop, de révélations majeures à faire. Par contre, ce qu’il faut faire, c’est un bilan et c’est traduire les responsables en justice.
RFI : Pensez-vous que derrière le procès de Saddam Hussein et de ses proches collaborateurs, on va assister à une vague de procès dans tout le pays ou, assez rapidement, la machine va s’arrêter pour permettre à l’Irak de tourner la page ?
CK : Sur ce point très important, il y a deux points de vue. Certains voudraient en effet tourner la page très vite, et d’autres soulignent avec raison, à mon avis, qu’on ne peut pas tourner la page sans faire rendre justice à tous les responsables. Pas seulement les 55 du fameux jeu de cartes établi par les Américains, mais à tous ces cadres intermédiaires, à tous ces généraux, ces colonels, responsables des services de renseignement qui ont arrêté, torturé, déporté et exécuté en masse des centaines de milliers d’Irakiens, kurdes, chiites, ou sunnites pendant trente-cinq ans de dictature.
par Propos recueillis par Olivier Da Lage
Article publié le 05/09/2005 Dernière mise à jour le 05/09/2005 à 17:41 TU