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Irak

Imperturbable, Saddam plaide non-coupable

Le procès de Saddam Hussein s'est ouvert mercredi 19 octobre à Bagdad.(Photo : AFP)
Le procès de Saddam Hussein s'est ouvert mercredi 19 octobre à Bagdad.
(Photo : AFP)
Sans surprise, l’ancien homme fort de Bagdad a récusé le Tribunal spécial irakien devant lequel il comparaît pour le massacre en 1982 de 143 villageois chiites de Doujaïl. Le regard vif mais s’exprimant très calmement, Saddam Hussein a également refusé de décliner son identité devant ses juges. Et lorsque le président du tribunal lui a lu les charges qui pèsent contre lui, il a rétorqué qu’il plaidait non-coupable. Le procès a été ajourné au 28 novembre.

Costume sombre, chemise blanche sans cravate, Saddam Hussein est apparu relativement serein devant le Tribunal spécial irakien chargé de le juger. Un vieil exemplaire du Coran à la main, le président déchu a été le dernier des huit inculpés comparaissant pour le massacre de Doujaïl à s’installer dans le box des accusés, un espace délimité par des barrières blanches d’un mètre de hauteur et placé sous la surveillance de plusieurs gardes. Et si l’ancien homme fort de Bagdad est apparu vieilli, il n’a à aucun moment paru déstabilisé. Premier à comparaître à la barre des accusés, il a catégoriquement refusé de décliner son identité. «Qui êtes-vous? Que voulez-vous ?» a-t-il lancé sur un ton de défi au président du tribunal, un Kurde dont l’identité n’a été révélée que quelques minutes avant le début du procès. Puis il a ajouté : «Pour respecter le droit et le grand peuple irakien qui m'a choisi, je ne répondrai pas à ce tribunal, avec tout le respect dû aux individus qui le composent, et je me réserve le droit constitutionnel de faire valoir mes droits de chef d’Etat en refusant de répondre». Justifiant sa décision, Saddam Hussein a affirmé ne pas reconnaître l’autorité du tribunal devant lequel il comparaît.

Impassible, un léger sourire aux lèvres, le président du tribunal l’a interrompu, lui demandant à plusieurs reprises de décliner son nom. «M. Saddam, je veux pour le moment que vous décliniez votre identité, votre nom, votre prénom et ensuite, on vous entendra. Vous attendrez votre tour, on vous donnera la parole», a répété le juge Rizkar Mohammed Amine, donnant l’impression de s’adresser à un enfant récalcitrant. «Nous n’avons pas le temps d’écouter votre déclaration. Alors asseyez-vous pour le moment et donnez-nous votre identité», a-t-il insisté, sans perdre à aucun moment son sang-froid. «Je veux d'abord savoir de quel tribunal il s'agit», a rétorqué Saddam Hussein. «C'est une cour criminelle irakienne», lui a répondu le magistrat avec le sourire avant de s’entendre dire : «Je refuse de répondre».

Au début de l’audience, le président déchu et ses sept coaccusés avaient vivement dénoncé les conditions de leur transfert au tribunal, déplorant notamment avoir été conduits depuis 2h30 du matin –23h30 mardi soir– sur les lieux de leur jugement. «J'ai été obligé de m'habiller, puis de me déshabiller et ensuite de me rhabiller», a ainsi déclaré Saddam Hussein. «Ils m'ont dit de ne prendre ni crayon, ni papier, car même un crayon suscite la peur maintenant dans cette enceinte», a-t-il ironisé. L’ancien vice-président Taha Yassine Ramadan, et le demi-frère de Saddam, qui fut également son conseiller présidentiel, Barzan Ibrahim al-Hassan al-Tikriti, ont adopté la même attitude que l’ancien homme fort du régime, refusant de répondre aux question du tribunal et rejetant sa légitimé.

Ajournement au 28 novembre

Respectant son engagement, le Tribunal spécial irakien a autorisé la retransmission à la télévision, avec vingt minutes de décalage, du procès de Doujaïl, qui a ainsi pu être suivi par des millions d’Irakiens. Mais des problèmes techniques, notamment au niveau de l’émission du son enregistré dans la salle d’audience, n’ont pas permis de le suivre dans de bonnes conditions. Le président du Tribunal a même suspendu la séance durant une demi-heure sans que ces problèmes techniques aient pu être réglés. Toujours est-il que les Irakiens ont pu voir dans le box des accusés l’homme qui, pendant plus de trente années, a dirigé d’une main de fer leur destinée. Ils ont pu voir le juge Rizkar Mohammed Amine égrainer les charges qui pèsent contre lui et ses sept coaccusés. «Ils sont accusés de meurtre, d’expulsion forcée, d’emprisonnement, de tortures et de non-respect des règles internationales», a déclaré le magistrat, précisant que chacun des inculpés avait «des responsabilités personnelles» dans le massacre des 143 villageois de Doujaïl. Conformément au code pénal, ces accusations sont «passibles de la peine de mort», a-t-il conclu avant de laisser la parole aux accusés qui ont tous affirmé être innocents et plaidé non-coupable.

Dans le réquisitoire très sévère qui a suivi, le procureur, que le président du Tribunal a identifié sous le nom de M. Jaafar, a de son côté dénoncé les «crimes», l’«arbitraire», les «massacres», et les «violations des droits et de l'honneur» de la population de Doujaïl. Il a affirmé que l'ancien régime était «responsable de la mort de deux millions d'Irakiens dans des guerres et la répression de prétendus complots». Il a aussi accusé le régime déchu d'avoir «englouti des sommes énormes» dans l'achat d'armes, avant qu'un avocat de la défense ne lui lance: «ce n'est pas le sujet». Le procureur, qui tentait de poursuivre l'inventaire des crimes imputés à Saddam Hussein, a alors été rappelé à l'ordre par le président, qui lui a demandé de revenir au dossier de Doujaïl. Quant à Saddam Hussein, assis à côté de son ancien vice-président Taha Yassine Ramadane, il a semblé absent. Il tirait de temps à autre sur sa barbe poivre et sel et se réajustait sur sa chaise sans manifester le moindre intérêt pour les propos du magistrat.

Cette première journée consacrée aux aspects techniques du procès s’est conclue par un ajournement. L’audience reprendra donc le 28 novembre prochain, dans un délai bien inférieur à ce que réclamait la défense qui a cherché à obtenir un report d’au moins trois mois. 


par Mounia  Daoudi

Article publié le 19/10/2005 Dernière mise à jour le 20/10/2005 à 10:38 TU

Audio

Roland Dumas

Avocat, ancien ministre, et l'un des avocats de Saddam Hussein

«J'imagine que Saddam Hussein aura à coeur de raconter que pendant ses 25 ans à la tête de la politique irakienne, il était le chouchou et l'interlocuteur préféré de tout l'Occident.»

Patrick Baudouin

Avocat et président de la fédération internationale des droits de l'homme

«Les magistrats irakiens sont assistés d’experts internationaux…»

Farida Ayari

Journaliste à RFI

«Le tribunal est composé de juges irakiens, formés par les Etats-Unis et entraînés à éviter tous les sujets qui pourraient fâcher ces derniers ou tout autre démocratie occidentale qui aurait fermé les yeux sur les activités criminelles de Saddam Hussein.»

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