Liban
Crise de confiance, malgré l'apaisement
(Photo: AFP)
De notre correspondant à Beyrouth
La crise latente entre la majorité parlementaire, composée de l'alliance entre le Courant du futur –dirigé par Saad Rafic Hariri- et le chef druze Walid Joumblatt d'un côté, et le tandem chiite Amal-Hezbollah de l'autre, a éclaté au grand jour après l'assassinat du député et journaliste anti-syrien Gebrane Tuéni, le 12 décembre. Réuni ce jour-là en séance extraordinaire, le Conseil des ministres a voté une demande de formation d'un tribunal international pour juger l'affaire de l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri. Il a également réclamé l'élargissement des compétences de la Commission d'enquête internationale, créée par le Conseil de sécurité pour faire la lumière sur ce meurtre, à tous les crimes commis au Liban depuis octobre 2004. Protestant contre le recours au vote pour des questions nationales devant faire, selon eux, l'objet d'un consensus, les cinq ministres chiites –le gouvernement compte 24 membres- se sont immédiatement retirés et ont annoncé la « suspension » de leur participation au gouvernement. Ils ont expliqué leur décision par la « violation de l'accord conclu avec la majorité parlementaire lors de la formation du cabinet (il y a six mois) stipulant que les questions d'importance nationale devraient être prises d'une manière consensuelle ».
Cette crise gouvernementale s'est accompagnée d'une violente polémique entre Walid Joumblatt et le Hezbollah et d'une reprise des campagnes médiatiques entre des hommes politiques proches de la famille Hariri et les médias syriens. Même le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, n'a pas été épargné par les critiques. Un député proche de Joumblatt, Waël Abou Faour, a mis en garde contre une mission de bons offices de M. Moussa « qui se déroulerait sur fond d'un compromis : arrêt des assassinats politiques contre un arrêt des campagnes (anti-syriennes) dans les médias » libanais. Le député a ajouté que le responsable arabe ne serait pas le bienvenu à Beyrouth s'il cherchait à blanchir Damas de l'assassinat de l'ancien Premier ministre. Compromis dont l'existence a été démentie par un communiqué publié par M. Moussa dimanche.
Double problème
Dans un autre pays que le Liban, le départ de cinq ministres n'aurait pas donné lieu à un drame de cette ampleur. Mais dans un système politique confessionnel, basé sur une stricte répartition des charges entre les différentes communautés religieuses, l'affaire prend une toute autre tournure. Surtout si la communauté en question représente plus du tiers des Libanais et que 80% de ses membres sont regroupés autour d'Amal et du Hezbollah depuis le retrait des troupes syriennes, en avril dernier. Le fait que les chiites soient armés jusqu'aux dents au nom de la lutte contre l'occupation israélienne, et qu'un éminent imam chiite ait émis une fatwa (décret religieux) interdisant à tout chiite d'accepter un poste au gouvernement pour remplacer les ministres des deux formations, n'ont fait que compliquer la donne. De plus, quand on sait que le principal représentant des chrétiens, le général Michel Aoun –qui dirige un bloc de 21 députés sur les 128 que compte le Parlement- est dans l'opposition, on comprend que le pays ait été confronté à une profonde crise nationale. Un gouvernement sans chiites et, de surcroît, amputé d'une représentation chrétienne authentique, a peu de chance de pouvoir rester en place. Aussi bizarre que cela puisse paraître, l'équation politique au Liban se résume comme suit : bien que disposant d'une majorité au Parlement et au Conseil des ministres, l'alliance Saad Hariri-Walid Joumblatt ne peut pas gouverner véritablement.
Profondes divergences
Les principales divergences entre les chiites et la majorité portent sur un certain nombre de points. Tout d'abord, voulue par l'alliance Hariri-Joumblatt, l'implication de la France et des Etats-Unis au Liban est perçue par le tandem chiite comme une nouvelle forme de « tutelle » sur le pays. D'autre part, sur la question du tracé des frontières avec la Syrie, il s'agit d'une priorité pour la majorité, alors que les chiites estiment qu'une telle initiative ne peut pas avoir lieu alors que les relations entre les deux pays sont extrêmement tendues. A propos du désarmement des organisations palestiniennes : le gouvernement a tenté d'aborder cette question en octobre en essayant de désarmer les Palestiniens installés à l'extérieur des camps de réfugiés. Le Hezbollah s'y est opposé, y voyant une volonté de satisfaire les exigences américaines. Par ailleurs, le tandem chiite soupçonne la majorité de tenir un double langage. Le premier adressé aux Libanais dans lequel il affirme son refus de mettre en œuvre la clause de la résolution 1559 des Nations unies réclamant le désarmement du Hezbollah, et un deuxième adressé à l'Occident dans lequel il s'engage à répondre aux exigence internationales.
Conscient des réalités politiques internes et profitant d'une baisse de l'engagement américano-français au Liban et en Syrie pour de multiples raisons, le tandem chiite a fait monter les enchères. Refusant de faire de la « figuration » au gouvernement, Amal et le Hezbollah ont déclaré qu'ils souhaitaient être des partenaires à part entière dans les prises de décisions importantes. Ils ont exigé un retour à « l'esprit consensuel » et ont demandé au gouvernement d'écrire au Conseil de sécurité pour l'informer que le Liban considérait avoir mis en œuvre la résolution 1559 et que les clauses restantes font l'objet d'un dialogue interne.
Certes, la crise était grave mais les contacts n'ont jamais été interrompus entre les différentes parties. Après deux semaines d'intenses discussions, un compromis a été atteint : le retour à l'esprit consensuel est consacré, et le gouvernement doit publier un communiqué réaffirmant sont attachement à la résistance armée jusqu'à la libération des fermes de Chebaa situées à la frontière entre le Liban, Israël et la Syrie, et revendiquées par le Liban. C'est pour libérer ces hameaux que le Hezbollah justifie son refus de désarmer. La crise actuelle semble désamorcée, mais la crise de confiance est loin d'être réglée. Les Libanais sont soulagés, en attendant le prochain round.
par Paul Khalifeh
Article publié le 26/12/2005 Dernière mise à jour le 26/12/2005 à 11:57 TU