Sri Lanka
Lente reconstruction
(Photo: Mouhssine Ennaimi/RFI)
De notre correspondant à Colombo
Mahinda, 34 ans, torse nu et sarong retroussé, finit de mélanger le ciment avec du sable. Il est bénéficiaire de la Croix-Rouge de Belgique-Luxembourg. « Chaque semaine, on nous donne de l'argent pour construire notre maison. Je viens de recevoir 1 300 dollars pour l'élévation des murs », dit Mahinda, commerçant. « Nous faisons le travail d'estimation des coûts en amont. Ensuite, nos partenaires locaux identifient les bénéficiaires auxquels l'argent est directement versé en liquide chaque semaine. Libre à eux de faire appel à du personnel ou de faire les travaux eux-mêmes. Nous leurs imposons seulement de suivre nos consignes de sécurité », explique Patrick Dupont, directeur de programme au Sri Lanka, à la tête de ce projet innovant. Et la méthode marche. La 100e maison vient de sortir de terre.
Si la reconstruction connaît de belles réussites, elle connaît également de sérieux « couacs ». La Croix-Rouge française a construit 6 maisons, et ce malgré un budget colossal. L'organisation s'est heurtée à des problèmes apparemment insolubles. A l'inverse, l'aide publique française tire son épingle du jeu. « Nous voulions que chaque euro donné soit utilisé de la manière la plus efficace possible. Nous avons privilégié les ONG à taille humaine. Elles sont souples, rapides et efficaces », affirme Jean-Bernard de Vaivre, ambassadeur de France au Sri Lanka et aux Maldives.
Zone Tampon
La législation contradictoire des autorités a sérieusement contribué à ralentir les efforts humanitaires sur le terrain. En janvier, le gouvernement décrète une zone tampon où il est interdit de reconstruire. Officiellement, il s'agit de protéger les populations. Officieusement, cette manœuvre permet au gouvernement de chasser les habitants installés illégalement sur le rivage. Curieusement, les hôtels passent à travers ce principe de précaution. Plus grave encore, cette décision permettrait au gouvernement de scinder les communautés et donc de perturber l'équilibre électoral. « Ici, nous sommes démographiquement majoritaires. Si on nous place ailleurs, nous serons minoritaires. Qu'en sera-t-il de notre représentation électorale? », s'interroge Mohamed Rakeeb, avocat à Kalmunai, l’un des endroits parmi les plus frappés par le tsunami.
Devant le tollé et le manque de terrains constructibles, les autorités ont profité de l'élection présidentielle pour faire marche arrière. Or, tant que la situation ne sera pas clarifiée, les ONG ne prendront pas le risque de construire illégalement. Au total, Il faudrait 98 000 maisons pour reloger toutes les victimes du tsunami. Or, seules 20 000 ont été construites pour l'instant. Les cabanons en zinc tombent déjà en désuétude. Le gouvernement vient d'ailleurs d'annoncer un plan de… maintenance.
Sécurité
Paradoxalement, au nord de l'île, dans les zones contrôlées par la guérilla séparatiste tamoule, l'aide semble être plus efficace. Ici, la démarche autoritaire de la rébellion permet d'éluder les problèmes rencontrés dans le sud. La centralisation de l'information, la sélection des ONG selon leurs compétences, la répartition des bénéficiaires et des terrains sont autant de complications évitées. A l'est, c'est un autre son de cloche. La sécurité devient de plus en plus problématique. « A Batticaloa, Les tensions communautaires entre Tamouls, Cingalais et Musulmans sont exacerbées. La situation devient de plus en plus instable », explique Olivier Franchi, chef de mission chez Action contre la faim (ACF). Une tension d'autant plus grande que les récents incidents sur le terrain rendent la situation alarmante. Dans les milieux diplomatiques, on ne cache plus son pessimisme quant à la reprise du conflit armé entre les Tigres de l'Eelam tamoul et l'armée sri lankaise.
Les spécialistes prévoient que la reconstruction prendra du temps. Reste un problème de fond. Comment aider les victimes du raz-de-marée tout en ignorant celles déplacées par la guerre et vivant dans des tentes ? « Il faut faire attention à ne pas aider qu'une frange de la population. Une intervention différenciée aujourd'hui risque de créer des tensions demain », prévient Olivier Franchi.
par Mouhssine Ennaimi
Article publié le 26/12/2005 Dernière mise à jour le 26/12/2005 à 13:26 TU