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Ukraine – Russie

Pressions autour du gaz russe

Un employé de la société Gazprom ferme les vannes du gazoduc qui approvisionne l'Ukraine.(Photo : AFP)
Un employé de la société Gazprom ferme les vannes du gazoduc qui approvisionne l'Ukraine.
(Photo : AFP)
Comme annoncé, le distributeur russe de gaz Gazprom a commencé à fermer les vannes du gazoduc à destination de l’Ukraine. Motif : ce pays n’accepte pas la forte hausse des prix décrétée par Moscou. En guise de rétorsion, Gazprom ne fournit donc plus de gaz à Kiev, depuis dimanche matin. Les pays européens pourraient subir des conséquences de ce bras de fer commercial aux dessous politiques, puisque le gazoduc qui les approvisionne passe par l’Ukraine.

Le volume de gaz dans le gazoduc qui va de la Russie vers l’Europe en passant par l’Ukraine a commencé à baisser depuis ce dimanche. Les techniciens russes de la société Gazprom ont fermé les vannes. Mais si la pression diminue dans le tuyau, elle continue d’être élevée sur le plan commercial et politique, entre Moscou et Kiev. La décision de la société Gazprom est en fait l’application d’un ultimatum de la Russie adressé aux autorités ukrainiennes. Les deux voisins n’ont pas réussi à trouver un compromis autour de l’approvisionnement en gaz. L’ultimatum russe expirait ce matin. La menace a été mise à exécution.

C’est là l’aboutissement d’un conflit qui trouve ses origines en juin dernier. Gazprom décide alors de remettre à plat l’accord commercial qui unit Russes et Ukrainiens depuis des années. Jusque là, l’Ukraine se fournissait en gaz russe à un prix préférentiel, quatre fois moins élevé que le prix sur le marché. Sur la base de cet accord, Kiev recevait près de 25 milliards de m³ de gaz russe par an en paiement "en nature" de son transit. En effet, le gazoduc qui part de la Russie à destination des pays européens, passe par l’Ukraine. Par ailleurs, Gazprom réclame à Kiev le paiement au prix fort de 7,8 milliards de mètres cubes de gaz stockés dans des réservoirs souterrains en Ukraine.

Toutes ces exigences se sont heurtées à une ferme opposition des autorités ukrainiennes. Aucune des discussions pour trouver un nouvel accord n’a abouti. Pourtant, l’enjeu est de taille pour Kiev qui s’approvisionne en gaz à hauteur de 33% en Russie. Quand les Ukrainiens se sont dits prêts à accepter une hausse graduelle des prix du gaz, les responsables de Gazprom ont répondu par la négative : le prix sera multiplié par quatre, faute de quoi, les livraisons de gaz seront bloquées à compter du 1er janvier. C’est ce qui vient de se produire.

A Kiev, les autorités ont mis sur pied une cellule de crise pour gérer la situation. La compagnie d'Etat Naftogaz a confirmé ressentir les premiers effets de la coupure. Le ministère de l'Energie a émis des avertissements à l'adresse de trois centrales thermiques, les informant d'une probable réduction de leur approvisionnement. Le Premier ministre lui-même est intervenu à la télévision pour rassurer la population, en affirmant que les logements continueraient d'être chauffés normalement. Au moins dans l’immédiat…

Ce conflit commercial est suivi de près par plusieurs pays européens qui s’approvisionnent avec du gaz en provenance de Russie. Si aucune pénurie n’est envisageable, cela n’a pas empêché quatre pays de l'Union européenne (l’Allemagne, l’Autriche, la France et l’Italie) à demander à Kiev et à Moscou le maintien des livraisons de gaz russe, indépendamment du différend entre les deux voisins.

Des dessous politiques

Les autorités ukrainiennes accusent leurs homologues russes de faire «deux poids, deux mesures» en fixant des prix différents selon les clients : 120 dollars/1000m³ pour les pays baltes, 110 pour les pays du Caucase et 47 dollars pour la Biélorussie. Le prix proposé par Moscou à Kiev serait de 230 dollars/1000m³.

Au-delà de l’aspect commercial de ce litige, tous les observateurs soulignent sa dimension politique et diplomatique. Et pour bien comprendre, il faut remonter à l’année dernière, à la même période. La révolution orange portait Victor Iouchtchenko au pouvoir à Kiev. Et cela, au grand dam de Moscou. Depuis, le nouveau dirigeant ukrainien a cherché à émanciper son pays de la tutelle russe en le tournant vers l’Europe occidentale. Ce qui a pu être de nature à exaspérer le régime du président Vladimir Poutine. Le conflit gazier de ces derniers mois pourrait donc être une sorte de revanche russe sur la révolution orange.

D’ailleurs à Moscou, de nombreux experts, dont l'ex-conseiller économique du président Vladimir Poutine, voient dans cette bataille entre Moscou et son ex-république soviétique, une tentative russe d'affaiblir l'administration pro-occidentale du président Iouchtchenko, et ce, à l'approche d’élections législatives prévues en mars 2006.

De son côté, le président Iouchtchenko, dans son allocution télévisée ce samedi soir, a invité ses compatriotes à travailler à l'«indépendance économique» de l'Ukraine. Une nouvelle déclaration visant à s’émanciper de la tutelle russe.

Réaction du Kremlin, par la voix du ministre des Affaires étrangères : «le pouvoir ukrainien actuel, peu sûr de lui, a décidé en toute conscience de rompre le processus de négociations avec la partie russe et d'utiliser le problème gazier pour pratiquement créer une image de l'ennemi», incarné par Moscou.

Côté européen, une réunion d’experts est prévue ce mercredi à Bruxelles pour discuter des conséquences éventuelles de cette crise russo-ukrainienne.


par Olivier  Péguy

Article publié le 01/01/2006 Dernière mise à jour le 02/01/2006 à 11:21 TU