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Economie

L’Europe captive de la Russie

Le siège de Gazprom à Moscou. 

		(Photo: AFP)
Le siège de Gazprom à Moscou.
(Photo: AFP)
La Russie a mis sa menace à exécution il y a 24 heures, et aujourd’hui, plusieurs pays européens ont constaté la baisse d’approvisionnement en gaz russe. Gazprom a diminué la pression dans le gazoduc qui traverse l’Ukraine parce que celle-ci n’accepte pas une multiplication des prix par quatre. Le bras de fer continue entre Kiev et Moscou tandis que les Européens évaluent leurs stocks pour l’hiver.

Il y a un peu plus d’une journée, Gazprom a pris des mesures de rétorsion contre l’Ukraine qui refuse la fin d’accords anciens lui permettant d’avoir du gaz russe à prix préférentiels. La compagnie russe, qui détient le monopole dans son pays, a donc baissé la pression de 30% dans le gazoduc «Droujba» (amitié). Résultat, les pays d’Europe, qui dépendent de ce gazoduc pour leur approvisionnement, ont constaté lundi une diminution des quantités livrées.

Gaz de France, par exemple, indique que la baisse atteint 25 à 30% de la quantité de gaz russe arrivant en France. L’entreprise publique, qui détient le monopole de distribution du gaz en France, indique avoir «pris un ensemble de mesures pour pallier un possible défaut d’approvisionnement du gaz russe, suite au contentieux russo-ukrainien». La France peut en effet augmenter les importations en provenance d’Algérie ou de Norvège. Gaz de France espère que la baisse de l’approvisionnement en provenance de Russie sera «passagère». La société indique par ailleurs que l’approvisionnement sera garanti aux particuliers qui se chauffent au gaz.

«Nous suivons de près ce dossier et nous appelons la Russie et l’Ukraine à reprendre le plus rapidement possible leurs discussions pour parvenir à un accord acceptable par tous». C’est ainsi que le ministère français des Affaires étrangères a commenté cette situation inédite. Dimanche, la Russie a suspendu ses livraisons de gaz à l’Ukraine, qui a refusé une forte augmentation de cette énergie. «Nous nous concertons avec nos partenaires européens à ce sujet», indique encore le communiqué français. L’Union européenne, qui importe le quart de son gaz de Russie, a décidé d’organiser une réunion d’experts mercredi, à Bruxelles. Le commissaire européen à l’Energie, Andris Piebalgs a par ailleurs indiqué ne pas craindre «une pénurie de gaz en Europe à court terme». Pourtant, si les choses ne s’arrangent pas entre la Russie et l’Ukraine, Gazprom pourrait employer la manière forte et fermer complètement le robinet du «gazoduc de l’amitié». Ce tuyau, qui porte en ce moment bien mal son nom, permet à Gazprom d’exporter 80% de son gaz vers l’Europe.

Des effets en cascade

La Russie a annoncé que la pression dans le gazoduc avait été abaissée de manière à déduire la quantité de gaz destinée à l’Ukraine. Gazprom a donc réduit le débit de 120 millions de mètres cubes. La France n’est pas la seule à avoir constaté une baisse du débit dans ses terminaux. Pour la Pologne, elle est de 38,5% ; pour la Slovaquie, la diminution du volume de gaz livré est de 30%. La particularité de ce petit pays est d’avoir la Russie comme seul fournisseur. Pour la Hongrie, la baisse est de 40% ; conséquence, le groupe hongrois Mol a réduit de moitié ses livraisons à la Serbie. «L’approvisionnement à partir de nos réserves peut durer encore 48 heures», a déclaré Aleksandar Kostadinovic, porte-parole de la compagnie serbe Srbijagas.

L’Autriche a constaté une diminution d’environ un tiers de son approvisionnement en gaz. «Ces baisses nettement supérieures aux attentes ont pu être compensées grâce aux réserves et à la production interne», a indiqué la société gazière autrichienne EconGas. Werner Auli, PDG d’OMV, la société autrichienne d’hydrocarbures, a par ailleurs estimé : «Si les quantités livrées devaient baisser davantage, on ne peut exclure des pénuries limitées pour les gros utilisateurs». L’Autriche, qui préside l’Union européenne depuis dimanche, a déjà fait une démarche auprès de Kiev et Moscou pour leur demander d’assurer leurs livraisons malgré leur différend sur le prix.

Le ministre allemand de l’Economie s’est montré rassurant concernant l’approvisionnement de son pays. «Les 17 millions de foyers qui se chauffent au gaz en Allemagne ne doivent pas encore directement s’inquiéter. Ils ne sont pas concernés par ce qui s’est passé jusqu’ici», a déclaré Michael Glos. L’Allemagne est très dépendante de l’étranger pour son gaz qu’elle importe à 84% de sa consommation. A elle seule, la Russie lui en fournit 35%. Les réserves allemandes sont estimées suffisantes pour 75 jours. Des contrats en cours avec la Norvège pourraient fournir plus de gaz en provenance de la mer du Nord.

Est-ce que la Russie prendra la décision de fermer totalement le robinet du gaz aux Ukrainiens et aux Européens ? Pour le moment, Moscou accuse Kiev d’avoir prélevé, dimanche, 100 millions de mètres cube de gaz. «Le volume du gaz volé par l’Ukraine dans le gazoduc à destination de l’Europe, le 1er janvier, est de près de 100 millions de mètres cube, pour une valeur de plus de 25 millions de dollars au prix du marché», a déclaré Alexandre Medvedev, le vice-président de Gazprom. Le responsable a par ailleurs lancé une mise en garde : «Si le vol se poursuit à un tel rythme, le volume et le coût du gaz volé vont prendre des dimensions considérables».    

Le vrai prix du gaz en question

L’Ukraine a démenti tout en menaçant d’effectuer des prélèvements sur le gazoduc si les températures passent en dessous de zéro. «Si les températures passent à moins trois ou moins cinq degrés, nous allons consommer du gaz russe que nous recevons en paiement de son transit, conformément aux règles contractuelles existantes avec Gazprom», a indiqué le ministre ukrainien de l’Energie Ivan Platchkov. L’Ukraine, à travers une déclaration de son ministre des Affaires étrangères, a par ailleurs accusé la Russie de chantage, estimant que l’interruption des livraisons de gaz vise « au final à destabiliser l’économie de l’Ukraine et à perturber les livraisons de gaz russe aux consommateurs européens».

L’Italie a demandé à ses importateurs d’énergie d’en acheter autant qu’ils en ont le droit. La Russie est le premier importateur de gaz en Italie, suivie de l’Algérie et de la Libye. Les réserves stratégiques du pays sont de dix milliards de mètres cube, et leur niveau est «rassurant».

La Roumanie, qui importe un quart du gaz qu’elle consomme de Russie, «n’est pour l’instant pas touchée» par la baisse de pression. Le gazoduc alimentant ce pays est une branche du tuyau principal qui dessert l’Europe.

Le directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, Pascal Lamy, a renvoyé dos à dos la Russie et l’Ukraine, estimant que ces deux pays devaient payer leur énergie au prix du marché «pour améliorer l’efficacité de leur économie. La Russie et l’Ukraine sont candidates à entrer à l’OMC et sans doute leur différend serait-il plus aisé à comprendre et à régler s’ils étaient tous les deux membres de cette organisation», a-t-il encore ajouté.

L’Europe est directement concernée par le conflit entre l’Ukraine et la Russie car 80% du gaz russe qu’elle consomme transite par l’Ukraine. Les 25 pays membres de l’Union européenne importent 24% de leur gaz de Russie. C’est une part non négligeable de l’approvisionnement énergétique de l’Union.  Le gaz provenant de la mer du Nord est beaucoup plus présent. Il représente 61% des besoins de l’UE. L’Algérie, avec 11% des importations, et d’autres pays (4%) assurent la diversification des fournisseurs.



par Colette  Thomas

Article publié le 02/01/2006 Dernière mise à jour le 02/01/2006 à 17:35 TU