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Côte d'Ivoire

Spéculations autour d’Akouédo

Selon le président Gbagbo, «certains assaillants étaient déguisés en civils, d'autres étaient en treillis avec leurs habits en dessous».(Photo : AFP)
Selon le président Gbagbo, «certains assaillants étaient déguisés en civils, d'autres étaient en treillis avec leurs habits en dessous».
(Photo : AFP)

En quelques heures, lundi, l'armée ivoirienne a repris le contrôle des camps d’Akouédo attaqués à l’aube par des hommes dont «certains étaient déguisés» en civils, tandis que «d'autres étaient en treillis, mais ayant leurs habits en dessous», selon le président ivoirien, Laurent Gbagbo. Les autorités ivoiriennes rejettent en effet la thèse de la mutinerie soulevée à l’étranger par des revendications évoquant le mécontentement des jeunes gens enrôlés par Abidjan après la tentative de coup d’Etat de septembre 2002. En mal de primes et d’intégration dans la future armée nationale, ces derniers auraient voulu «faire un peu de bruit sans tuer». «Il ne s'agit nullement d'une mutinerie, mais d’une agression dont la justice déterminera les caractéristiques», affirme au contraire Laurent Gbagbo, tandis que le nouveau Premier ministre, Charles Konan Banny, promet des «décisions», les premières de son mandat.


Selon le porte-parole de l'armée, le lieutenant-colonel Hilaire Babri Gohourou, «il ressort de ces attaques des casernes d'Akouédo, 7 assaillants tués, 32 éléments faits prisonniers, tandis que du côté des Forces de défense et de sécurité (FDS), trois pertes en vie humaine sont malheureusement à déplorer». Reste un bilan infiniment plus difficile à tirer, un état des lieux politique et militaire qui concerne autant la situation de l’armée nationale ivoirienne que celle des forces en présence au lendemain de la nomination de Charles Konan Banny. Le nouveau chef du gouvernement de réconciliation nationale formé le 28 décembre dernier doit, en effet, tenir son premier conseil des ministres jeudi prochain. En attendant, il a été surpris à Dakar par les événements d’Akouedo, pour lesquels il a promis de prendre des décisions, dès qu’il serait plus amplement informé.

Nommé par une médiation africaine le 4 décembre dernier, dans la foulée du sommet franco-africain de Bamako, Charles Konan Banny a mission de conduire la Côte d’Ivoire aux urnes d’ici le 31 octobre 2006. Au préalable, la perspective présidentielle lui impose de parvenir au désarmement et à la réunification du pays, un chemin semé d’obstacle que son prédécesseur, Seydou Diarra, n’a pas pu franchir à temps pour organiser le scrutin initialement prévu en octobre dernier. Dans ce contexte, l’affaire d’Akouédo sonne comme un rappel à la pénible réalité que l’ancien patron de la Banque centrale d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), Charles Konan Banny va devoir affronter. Dès son retour à Abidjan, lundi soir, dans un communiqué radio-télévisé, il s’est déclaré consterné «que des personnes utilisent la violence et des armes pour exprimer des revendications» au moment où la Côte d'Ivoire «s'est engagée résolument sur la voie de la paix». Reste à identifier ces «personnes» et à savoir si elles ont été l’instrument de l’un ou l’autre des protagonistes de la crise ivoirienne.

En Côte d’Ivoire, où mutineries et tentatives de coups d’Etat ont ressemblé cette dernière décennie à des poupées gigognes, le chef d’état-major de l’armée nationale, le général Philippe Mangou a très rapidement dénoncé la main d’infiltrés dans l’attaque des deux camps d’Akouédo (infanterie et parachutiste), lundi matin. Dans le même temps, les radios internationales britannique et française enregistraient des revendications faisant état du mécontentement des quelque 4 000 jeunes recrues enrôlées par Abidjan après la tentative de coup d’Etat de septembre 2002. «Les mercenaires libériens à la solde du parti au pouvoir sont mieux traités que nous», disait l’un, en réclamant le versement des arriérés des primes d’encouragement dites «haut les cœurs», mais aussi en s’inquiétant d’une réinsertion guère prometteuse dans la vie civile.

Abidjan avait «l’information»

Problème de DDR (désarmement-démobilisation-réintégration) plus ou moins savamment envenimé par quelque Machiavel ou attaque fomentée hors les rangs loyalistes, le président Gbagbo affirme aujourd’hui qu’Abidjan avait «l'information que les gens voulaient attaquer depuis le 1er janvier, profitant du fait que nous sommes en fête», mais surtout qu’ils avaient décidé de s’en prendre non seulement aux deux camps d'Akouédo, mais aussi au «camp du 3ème bataillon qui est délocalisé à Anyama», dans la banlieue nord de la capitale économique, depuis que les Forces nouvelles ont pris Bouaké, sa garnison d’avant-guerre. Saluant les «braves» qui ont déjoué les plans adverses, Laurent Gbagbo s’est employé à rassurer la population, expliquant qu’il avait tu ces informations pour ne pas semer la panique et qu’il ne fallait pas craindre ces «soubresauts», au moment où «la paix est pratiquement gagnée».

Repoussant énergiquement l’idée affolante d’une nouvelle «mutinerie», le général Mangou couvre ses hommes qui, dit-il, «ont toujours fait preuve d'esprit de compréhension et se sont toujours bien comportés face au retard connu dans les primes». En attendant de communiquer l’identité des prisonniers, le colonel porte-parole, Gohourou Gabri a fourni, dès lundi, un bilan dans lequel, outre l’état des pertes humaines, il indique que les deux camps d’Akouédo «ont été simultanément attaqués aux armes de guerre légères et lourdes par des assaillants venus de l’extérieur». Selon les journalistes qui sont entrés à Akouédo, le corps chef du poste du 1er bataillon d’infanterie gisait en effet près de l’entrée du camp. Une dizaine de cadavres d’assaillants porteurs d’amulettes étaient encore sur place. Des obus de mortier avaient également laissé leurs marques sur un toit et dans les broussailles. En termes de prises, le bilan du porte-parole évoque la saisie de treillis neufs, d’une roquette et d’une douzaine de fusils d’assaut de type Kalachnikov.

Tirer l’affaire au clair (contrairement aux événements comparables et jamais élucidés intervenus en décembre dernier à la caserne de gendarmerie d'Agban) serait faire un grand pas pour la justice ivoirienne sinon pour le Premier ministre Konan Banny auquel l’ancienne rébellion des Forces nouvelles (FN) a immédiatement proposé de créer un «état-major intégré» avec l'armée nationale loyaliste, pour «sécuriser la Côte d'Ivoire». Bien sûr, les FN «condamnent avec vigueur ces agissements» d’Akouédo. En même temps, «devant la récurrence de tels événements, qui restent à chaque fois sans suite, les Forces armées des Forces nouvelles (FAFN) s'interrogent sur les réels mobiles qui sous-tendent de tels actes». Et l’ancienne rébellion qui contrôle la moitié nord du pays ne manque pas non plus de demander «avec insistance au Premier ministre de pacifier le sud de la Côte d'Ivoire en procédant au démantèlement immédiat des milices et autres forces parallèles qui sèment la mort et la désolation dans la population».


par Monique  Mas

Article publié le 03/01/2006 Dernière mise à jour le 03/01/2006 à 16:45 TU