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Côte d’Ivoire

Un gouvernement de mission

Le président Laurent Gbagbo (à D) et son Premier ministre, Charles Konan Banny (au C), posent avec le nouveau gouvernement.(Photo : AFP)
Le président Laurent Gbagbo (à D) et son Premier ministre, Charles Konan Banny (au C), posent avec le nouveau gouvernement.
(Photo : AFP)
Après trois semaines de tractations, le Premier ministre Charles Konan Banny a présenté mercredi la composition de son gouvernement de transition. Toutes les parties de la crise ivoirienne sont représentées. L’attribution des ministères de souveraineté (Finances, Défense et Sécurité) n’a pas suscité de réprobation immédiate. Ce «gouvernement de mission» a maintenant onze mois pour désarmer le pays et préparer la prochaine élection présidentielle.

La photo barre la une de presque tous les quotidiens ivoiriens de ce jeudi. On y voit le gouvernement de Charles Konan Banny, sur les marches du Palais de la présidence, à l’issue de ce premier Conseil des ministres de la transition. Une trentaine de personnalités plutôt détendues, costumes-cravates. Quelques femmes. Au premier plan, le chef du gouvernement, Charles Konan Banny, tout sourire. Et il peut se permettre d’afficher sa satisfaction, tant les trois dernières semaines ont été délicates, pour arriver finalement à ce 28 décembre 2005, avec la composition tant attendue de son équipe.

Ce gouvernement de transition est composé de 32 membres, contre 40 dans l’équipe que dirigeait Seydou Diarra, l’ex-Premier ministre. C’est donc un gouvernement resserré, dans lequel figurent des représentants de toutes les parties de la crise ivoirienne. Ce partage du pouvoir se traduit par l’attribution de sept postes au FPI (Front populaire ivoirien, parti présidentiel), cinq postes pour chacun des deux principaux partis d’opposition, le PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire, ex-parti au pouvoir) et le RDR (Rassemblement des Républicains (RDR). La rébellion des Forces nouvelles (FN) compte six représentants dans le nouveau gouvernement. Parmi eux, Guillaume Soro, chef des FN, au poste de ministre d’Etat, chargé de la Reconstruction, en deuxième position dans l’ordre protocolaire.

La grande innovation de ce gouvernement, c’est l’attribution des portefeuilles de l’Economie et des Finances, ainsi que de la Communication, que s’octroie directement le Premier ministre. Charles Konan Banny a choisi cette solution, alors même que ces deux postes étaient particulièrement convoités. Le puissant ministère des Finances était occupé jusque là par Antoine Bohoun Bouabré, un des caciques du FPI. Le parti présidentiel réclamait d’ailleurs que ce ministère reste sa propriété. Dans la nouvelle équipe, Antoine Bohoun Bouabré perd son poste mais il demeure ministre d’Etat, chargé du Plan et du Développement. Dans cette réorganisation orchestrée par Charles Konan Banny, on note la création de deux portefeuilles directement rattachés à la Primature, précisément pour gérer les dossiers sensibles des Finances et de la Communication.

L’attribution des ministères de la Défense et de la Sécurité faisaient également l’objet de nombreuses revendications, compte-tenu du caractère crucial de ces dossiers. Le Premier ministre a opté, à chacun de ces postes, pour des personnalités issues de la société civile. René Aphing Kouassi, magistrat, se voit confier la Défense, en remplacement de René Amani. Quant au ministère de la Sécurité, appelé dorénavant ministère de l’Intérieur, il incombe à Joseph Djablé, commissaire de police spécialiste des renseignements généraux.

«Libérer la Côte d’Ivoire de toutes les armes»

Les observateurs présents ce mercredi au pied des marches du Palais de la présidence ont noté l’absence de trois personnalités, dont Guillaume Soro, en déplacement à Paris. Les 29 présents ont formulé quelques déclarations convenues. Seul le Premier ministre s’est plus largement exprimé, d’abord pour commenter la composition de son équipe, «un gouvernement de mission», qu’il a établi sur la base d’«un dialogue constructif, dynamique, fait de compromis et non de compromission». Et puis, Charles Konan Banny a présenté sa ligne de conduite pour les mois à venir. Il invoque une «trêve d’affrontement». Il en appelle à la «fraternité», à l’«unité dans la diversité». Mais surtout, il se donne une mission : faire en sorte, «à la fin du mandat de ce gouvernement, que notre territoire soit libéré de toutes les armes, que la réunification ait effectivement lieu, que la libre circulation de toutes les personnes soit totale, qu’il n’y ait aucune entrave aux libertés, et qu’ainsi le peuple ivoirien puisse s’exprimer en toute liberté pour choisir ses dirigeants». Le Premier ministre s’engage donc à procéder au désarmement toujours réclamé et jamais réalisé. Et il promet d’œuvrer pour la préparation de l’élection présidentielle prévue au plus tard le 31 octobre 2006. «Nous n’avons pas le droit d’échouer», a-t-il conclu.

Evidemment, la composition du nouveau gouvernement, ainsi que les perspectives de travail ont donné lieu à de nombreux commentaires dans la presse ivoirienne de ce jeudi. Ainsi Soir Info considère que dans le partage du pouvoir au sein de la nouvelle équipe, Charles Konan Banny «se taille la part du lion (…) il a réussi à s’offrir une certaine marge de manœuvre pour mener sa mission. Une mission tout de même difficile et complexe». Selon Notre Voie, «Banny a tout eu, place au désarmement». Quant au Patriote, il indique que «le plus dur commence pour Banny». Enfin, Fraternité Matin considère que «l'équipe qui vient d'être mise en place (...) constitue pour les Ivoiriens la dernière chance de sortie de crise».

Dans les rangs des partisans du président Laurent Gbagbo, les réactions ont été plus vives, pour remettre en question le nouveau gouvernement. Le Courrier d’Abidjan parle d’un «coup d’Etat», perpétré, selon ce quotidien, par Charles Konan Banny. Ce mouvement de défiance à l’égard de la nouvelle équipe s’est traduit par des manifestations dans les rues, immédiatement après l’annonce du gouvernement. Des centaines de jeunes ont ainsi bloqué l’artère principale du quartier populaire de Yopougon, à Abidjan, en faisant brûler des pneus.

Enfin, sur le plan international, parmi les premières réactions, celle des Nations unies. Le porte-parole de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire explique que «l’Onuci se réjouit de la formation du nouveau gouvernement. C’est la preuve que les Ivoiriens s’entendent entre eux». «Cet esprit de compromis, il faut le garder», a insisté Alpha Oumar Konaré, le président de la Commission de l’Union africaine, interrogé par RFI. A Paris, le porte-parole adjoint du ministère français des Affaires étrangères «réaffirme le plein soutien (de la France) au Premier ministre de la période de transition qui doit pouvoir exercer pleinement toutes ses prérogatives». Par ailleurs, Paris «appelle à nouveau les parties ivoiriennes à tout mettre en œuvre pour faciliter la tâche du nouveau gouvernement». Sous couvert d’anonymat, un diplomate en poste à Abidjan a déclaré à l’AFP être « agréablement surpris (par la composition du gouvernement, où) aucune force ne semble pouvoir l’emporter sur une autre». Et d’indiquer que Charles Konan Banny allait «devoir maintenant s’attaquer à la réalité du terrain». Il doit exécuter en dix mois maximum ce que le gouvernement de réconciliation nationale, issu de l’accord de Marcoussis, dirigé par Seydou Diarra, n'a pu réaliser en trois ans.


par Olivier  Péguy

Article publié le 29/12/2005 Dernière mise à jour le 29/12/2005 à 15:19 TU

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Alpha Oumar Konaré

Président de la commission de l'Union africaine

«Cet esprit de compromis, il faut le garder.»

Pascal Afi N'Guessan

Président du Front Populaire Ivoirien

«Le programme prioritaire c'est le désarmement et la réunification.»

Alphonse Djedje Mady

Secrétaire général du PDCI

«Essayons de tirer le meilleur parti du gouvernement pour aller à la paix, à la réconciliation, et aux élections.»

Sidiki Konate

Porte-parole des Forces nouvelles

«Le gouvernement a un programme. Si ce programme est bien mené, il sera accompagné par les Forces nouvelles.»

Thomas Hofnung

Journaliste

«Côte d'Ivoire: toute la question est de savoir si Charles Konan Banny pourra gouverner si il est pris en étau entre Laurent Gbagbo et les partis du G7.»

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