Israël
A Jérusalem, la population sous le choc
(Photo: AFP)
De notre correspondant à Jérusalem
Jeudi soir, Jérusalem. Une troupe de jeunes parachutistes bravaches obstrue le passage couvert qui mène au parvis du mur des Lamentations. Bras dessus bras dessous, le poitrail gonflé, ils beuglent des chants à la gloire de leur unité. Dans quelques minutes, ils feront leur entrée devant le saint des saints du judaïsme pour la cérémonie qui serre la gorge de tout « para » qui se respecte, la prestation de serment. En souvenir de leurs glorieux aînés qui s’emparèrent de la vieille ville en juin 1967, durant la guerre des Six Jours, ils jureront de défendre Jérusalem et la patrie. « C’est un moment que j’attends depuis des mois », dit Ran, une jeune recrue, le sourire rayonnant de fierté. Et Sharon dans tout ça ? « Il y aura sûrement un officier qui dira quelques mots pour lui. De toute façon, c’est un guerrier, il va se battre ».
Sur l’esplanade, une foule immense se presse autour de la scène aménagée pour l’occasion. Des étendards frémissent sous les projecteurs. Un écran vidéo a été dressé. Un soldat accoure, les bras chargés de M16 puis les range dans des râteliers disposés près de la tribune. Agglutinés contre des barrières métalliques, les parents et les amis des nouveaux « paras » s’impatientent. Les plus prévoyants ont amené les pliants et le pique-nique. Comme Johanna, une américaine de 45 ans, qui est venue depuis le Wisconsin, pour voir son fils en uniforme devant le mur. L’appareil photo en main, elle se dresse sur ses pieds pour tenter de le distinguer dans la marée kaki qui envahit doucement le parvis. « Je ne crois pas que je vais passer beaucoup de temps à penser à Ariel Sharon », ce soir, confesse-t-elle sur le ton de la gamine surprise les mains dans le pot de confiture.
Pourtant, le combat du Premier ministre israélien contre la mort assombrit la prestation de serment. Après une sonnerie de clairon, un long silence se fait au terme duquel le maître de cérémonie souhaite à « Arik », le surnom de Sharon, un prompt rétablissement. Dans l’assistance, le désarroi ressenti devant les images de l’hôpital Hadassah se mêle à la ferveur nationaliste qui émane du rituel d’intégration des « paras ». « Qu’on l’aime ou non, tout le monde prie pour lui, dit Marie-Paule, une israélienne d’origine française, qui dit voter en général pour les Travaillistes ou les séfarades du Shas (centre). Il nous a donné l’espoir d’une paix et cet espoir s’est envolé. Car il ne faut pas se faire d’illusions. Après deux attaques cérébrales comme celles là, Sharon ne reviendra pas. La seule chose que l’on puisse lui souhaiter c’est de ne pas finir sur une chaise roulante. Ca ne lui ressemblerait pas. Maintenant il faut que la jeune garde émerge et cela prendra du temps. Des leaders de la trempe de Sharon, comme Begin ou Rabin (Menahem Begin et Ytzhak Rabin, deux précédents Premiers ministres d’Israël, ndr), cela n’arrive pas à chaque élection ».
Le désarroi des militants de gauche
Avi, un quinquagénaire électeur du Meretz (gauche sioniste), partage cette analyse. Le bras autour des épaules de son parachutiste de fils, il déplore que « Sharon parte au moment où l’on a le plus besoin de lui ». Bien qu’il projette de voter lors des élections du 28 mars pour Yossi Beïlin, l’architecte israélien des accords d’Oslo, la colombe par excellence de la scène politique israélienne, il confesse une grande admiration pour l’ancien faucon, converti, sur le tard, aux vertus du pragmatisme. « Il était le seul capable de faire la paix et surtout le seul qui a commencé à la faire, dit-il en allusion au retrait de Gaza. Ce n’est pas nous qui avons changé, c’est lui. Toute la gauche maintenant le soutient ».
Un peu en retrait, accoudé à une barrière, Shmuel, un trentenaire coiffé d’un béret, a l’air morose. A l’énoncé du nom de Sharon, il réprime une grimace, maugrée quelques mots inaudibles, refuse de dire où il habite puis finit par lâcher sur un ton sardonique. « Oui, j’espère qu’il s’en sortira. Mais uniquement pour qu’il paie aux juifs qu’il a expulsés de leurs villages les compensations qu’il leur doit », dit-il en référence aux anciens colons de la bande de Gaza, évacués au mois de septembre dernier. Roni, un chauffeur de taxi de Jérusalem, n’est pas plus tendre avec le malade de Hadassah. « Il fait bien de partir maintenant car je n’aurais pas voté pour lui cette fois ci. Il nous a trahis en affirmant que Netzarim (une ex-colonie de la bande de Gaza, ndr) équivaut à Tel-Aviv puis en l’évacuant quelques mois plus tard. Les Arabes ici ne respectent que la force. Maintenant, ça va être le balagan (« chaos »). Les proches de Sharon vont s’étriper pour rafler le pouvoir et les Palestiniens vont en profiter pour nous attaquer ».
Les clameurs qui avaient retenti sur le parvis retombent doucement. La cérémonie est finie. Les soldats s’éloignent avec leurs familles. Yonathan, un jeune conscrit avec le M16 en bandoulière, désapprouve le catastrophisme ambiant, celui de droite comme de gauche. « Il a fait son temps. La vie doit continuer. Israël est suffisamment fort pour avancer sans lui ». Une ardeur patriote qui n’aurait pas déplu à Ariel Sharon.
par Benjamin Barthe
Article publié le 06/01/2006 Dernière mise à jour le 06/01/2006 à 11:04 TU