Israël
Ariel Sharon entre la vie et la mort
(Photo : AFP)
Après une opération qui a duré plus de sept heures, les neurochirurgiens ont réussi à stopper l’hémorragie cérébrale. Un porte-parole de l’hôpital a ensuite indiqué que les signes vitaux d’Ariel Sharon sont stables, même s’il est toujours dans un état critique. « Le Premier ministre a subi un scanner qui a montré que l’hémorragie avait cessé », a indiqué Shlomo Mor-Yosef, le directeur de l’hôpital Hadassah où Ariel Sharon a été conduit en urgence dans la nuit de mercredi à jeudi.
Le Premier ministre israélien a ensuite été mis en observation à l’unité d’urgence neurologique de l’hôpital. Le directeur de l’établissement, chargé de donner des nouvelles de l’état de santé du leader israélien, n’a donné aucune indication sur d’éventuelles lésions cérébrales. Il n’a pas non plus fait de pronostic sur l’évolution de l’état du malade. Il a cependant expliqué qu’Ariel Sharon a été placé « dans un coma profond sous respiration artificielle, pour au moins 24 heures, afin de maintenir une faible pression dans la boite crânienne ».
Selon d’autres sources médicales non confirmées, l’état de santé du Premier ministre israélien continuerait de se détériorer. Sur son site Internet, le quotidien israélien Haaretz affirme que Sharon est à moitié paralysé. Dans sa version électronique, le journal rapporte les propos de plusieurs experts médicaux. Ils estiment peu probable que le Premier ministre conserve toutes ses facultés à la suite d’une telle hémorragie et après une intervention chirurgicale aussi lourde. « Avec toute la prudence nécessaire, il semble que l’ère Sharon à la tête d’Israël soit parvenue à une fin tragique », écrit un spécialiste des milieux politiques israéliens.
Les pouvoirs de Sharon à Ehud Olmert
D’autres médecins interviewés par la télévision israélienne avancent une hypothèse concernant la détérioration brutale de l’état de santé de Sharon. Les anticoagulants, qui lui étaient administrés depuis deux semaines, ont probablement contribué à provoquer une hémorragie. Le Premier ministre israélien avait déjà été victime, le 18 décembre 2005, d’une attaque bénigne. Les injections servaient à éviter la formation de caillots de sang. Ce jeudi, s’il n’avait pas eu une nouvelle attaque cérébrale, le chef du gouvernement israélien devait subir une intervention cardiaque. Mercredi soir, lorsqu’il a eu cette nouvelle alerte cérébrale, Arion Sharon se trouvait dans sa ferme du Neguev, dans le sud d’Israël. Il a été aussitôt transporté à l’hôpital, à Jérusalem.
Les pouvoirs d’Ariel Sharon ont été transférés au vice-Premier ministre Ehud Olmert à l’occasion d’un conseil des ministres extraordinaire. Le ministère de la Justice a pour sa part annoncé que les élections législatives restent fixées au 28 mars prochain. Toutefois, la loi permet de reporter le scrutin si une majorité d’au moins 80 députés se prononcent pour cette solution.
Ariel Sharon avait été élu triomphalement au poste de Premier ministre le 6 février 2001. Il fut réélu haut la main le 28 janvier 2003. En novembre dernier, il quittait le Likoud pour former un nouveau parti, Kadima. Des sondages réalisés après la première hospitalisation de Sharon, mi-décembre, indiquaient que le nouveau parti de celui qui fait figue de « père de la Nation » devait remporter le scrutin.
La grave dégradation de l’état de santé de Sharon va bouleverser les pronostics qui donnaient son parti gagnant. Pour le moment, la loi israélienne est appliquée. Elle prévoit qu’en cas d’incapacité du Premier ministre, le vice-Premier ministre le remplace pendant 100 jours. Au 101ème jour, le gouvernement est dissous. Le président de la République doit alors confier à l’un des 120 députés le soin de former un nouveau gouvernement. Il doit être constitué dans les 14 jours suivants. Le délai peut être prolongé de deux semaines.
L’Autorité palestinienne se dit « inquiète » de la détérioration de l’état de santé d’Ariel Sharon. Mahmoud Abbas, le leader palestinien, a eu un entretien téléphonique avec des collaborateurs du Premier ministre israélien. Ahmad Qoreï, le Premier ministre palestinien, a de son côté déclaré que la disparition de Sharon «laissera un grand vide en Israël. C’est un grand événement qui aura des répercussions, en Israël, et dans toute la région… Les Israéliens regretteront Sharon, le leader et le décideur ».
Joie et inquiétude
Longtemps champion de la colonisation, Ariel Sharon porte la responsabilité des massacres dans les camps de Sabra et Chatila, au Liban. C’était en 1982. Il était alors ministre de la Défense. Chebli Mallat, avocat d’une trentaine de familles de victimes, a déploré que le Premier ministre israélien « n’ait pas goûté à la prison…les victimes resteront frustrées de ne pas le voir payer sa dette à la société par une peine de prison ». L’avocat libanais a par ailleurs tempéré ses propres paroles : « Il est certain que Sharon s’est rendu compte, ces derniers mois, de l’échec de sa philosophie de violence et l’Histoire se souviendra également de sa décision de retrait de Gaza ».
Les Palestiniens reprochent à Sharon d’avoir provoqué l’Intifada de 2000 en se rendant sur l’Esplanade des mosquées à Jérusalem à un moment de forte tension entre les deux camps. Il était alors chef de l’opposition. En privé, certains responsables palestiniens estiment cependant que Sharon, avec son nouveau parti Kadima, était bien parti pour faire la paix avec les Palestiniens. Le retrait de la bande de Gaza, en septembre 2005, avait montré le pragmatisme du Premier ministre israélien.
Ces marques de sympathie énoncées par l’Autorité palestinienne tranchent avec les réactions de plusieurs groupes radicaux. « La région sera un meilleur endroit sans Sharon. Le monde est sur le point de se débarrasser d’un des principaux leaders du mal dans le monde », a déclaré, depuis Gaza, le porte-parole du Hamas, Sami Abou Zouhri.
De son côté, Khaled Al-Batsh, l’un des chefs du Jihad Islamique, a affirmé que son groupe « ne regrettera pas Sharon. Dieu en a eu assez de Sharon, le bourreau de Sabra et Chatila, et en a débarrassé le monde ». Dans la rue, dans le sud de la bande de Gaza, de jeunes Palestiniens, encadrés par un membre du Fatah, ont distribué des douceurs aux automobilistes et aux passants, à Rafah pour fêter la maladie du leader israélien. « Nous sommes heureux parce que Sharon se meurt et nous espérons qu’il va disparaître le plus vite possible car il a tué nos enfants, détruit nos maisons et jeté des Palestiniens dans la rue », a déclaré Abdelraouf Barbakh, membre du Fatah. Le représentant de cette organisation au Liban, Sultan Aboul Aïnayn, qui vit dans le camp de Rachidiyé, a eu des propos plus nuancés. Il a estimé que le décès du Premier ministre israélien entraînerait « des conséquences politiques en Israël, notamment au sein du nouveau parti créé par Sharon ». Le responsable du Fatah redoute de voir « davantage d’extrémisme et d’hostilité de la part de la société israélienne à l’égard des Palestiniens ». Les habitants des camps palestiniens du Liban sud ont carrément manifesté leur joie en apprenant l’hospitalisation du leader israélien.
Deux organisations palestiniennes de gauche, basées à Damas, ont critiqué la politique menée par Sharon. « Sharon n’a pas cru un seul jour à une solution politique basée sur les résolutions de l’Onu. Il a tout fait pour imposer la défaite au peuple palestinien », a déclaré Maher Taher, représentant du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Dans un communiqué publié jeudi, le Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP de Nayef Hawatmeh) affirme que « l’histoire de Sharon ne montre guère qu’il est un homme de paix. Sharon a apporté les catastrophes et le sang aux Palestiniens et aux Israéliens. Il est l’homme des guerres et des destructions contre l’Egypte, le Liban et la Syrie ».
Le président américain George W. Bush et le secrétaire général des Nations unies Kofi Annan, « ont tous les deux exprimé leur inquiétude pour la santé du Premier ministre Sharon », a indiqué le porte-parole de la Maison blanche, Scott McClellan. Interrogé sur les conséquences de la dégradation de l’état de santé de Sharon sur les relations entre Israël et les Etats-Unis, le porte-parole américain a refusé de répondre. Il n’a pas non plus fait de commentaire sur les relations entre Bush et Ehud Olmert, qui assure l’intérim.
par Colette Thomas
Article publié le 05/01/2006 Dernière mise à jour le 06/01/2006 à 16:15 TU