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France-Bolivie

Evo Morales, le président des «pauvres» à Paris

Le nouveau président bolivien Evo Morales estime qu’«&nbsp;<i>il faut laisser de côté le modèle néo-libéral&nbsp;</i>».(Photo : AFP)
Le nouveau président bolivien Evo Morales estime qu’« il faut laisser de côté le modèle néo-libéral ».
(Photo : AFP)
Le président bolivien Evo Morales, premier indien à accéder à la magistrature suprême dans son pays, est arrivé à Paris pour une visite officielle de deux jours. Au cours d'une conférence de presse, celui qu'on présente volontiers comme le porte-flambeau de la cause indienne a appelé à la révision des contrats d'exploitation «illégaux» des ressources naturelles de son pays. Il a, en outre, plaidé « pour la culture de la feuille de coca », tout en fustigeant le modèle « néo-libéral » cause « de la misère et de la faim » dans son pays.

Encadré de deux de ses conseillers lors de sa rencontre avec la presse, le nouveau président de la Bolivie, élu en décembre avec 54% des suffrages, s’est présenté comme un homme politique ouvert au dialogue: « nous ne sommes pas là pour nous venger, pour des représailles, pour l’exclusion ». Admettant toutefois que son « peuple » a été marginalisé, il a quand même assuré être à la tête de l’Etat pour « gouverner tous les Boliviens » parce qu’il est favorable à « la diversité ». Leader du Mouvement vers le socialisme (MAS), Evo Morales, est le premier amérindien à accéder à la magistrature suprême d'un Etat américain. Il prendra ses fonctions le 22 janvier.

Son programme politique, il le décline sur deux axes, combattre la discrimination instaurée par le « système colonial » et améliorer la situation socio-économique de la Bolivie. Pour ce faire, l’ancien syndicaliste, chef des planteurs de coca, estime qu’ « il faut laisser de côté le modèle néo-libéral » pour en créer un autre dans lequel « nous voulons que tout le monde vive mieux ».

70% des contrats passés avec les multinationales sont « illégaux »

Réputé pour son anti-libéralisme, il a une nouvelle fois appelé à une refonte du système économique de son pays en laissant entendre que « nous voulons 'renverser' les privatisations menées dans notre pays ». Morales propose alors la prise en main des ressources naturelles du pays, parce que « nous sommes prêts à garantir l’exploitation et l’industrialisation de nos ressources naturelles avec des partenaires ». La Bolivie détient les secondes réserves de gaz naturel d'Amérique du Sud (1 375 mètres cubes), derrière le Venezuela.

L’Etat bolivien, a précisé Evo Morales, exercera son droit de propriété sur les ressources naturelles, ce qui ne signifie nullement « expulser, exproprier », car La Paz, entend respecter « la propriété privée ». Selon le président Morales, 70% des contrats passés avec les multinationales sont « illégaux » car non ratifiés par le parlement. « Nous voulons que ces contrats soient révisés à la lumière de la nouvelle loi » votée en 2005, a déclaré le président. Il a tout de même assuré que les entreprises bénéficieront d’une sécurité juridique dans son pays et qu’elles peuvent avoir « un retour sur leurs investissements et faire des profits ». Mais le chef de l’Etat à toutefois martelé qu’il sera impitoyable et « intraitable avec les entreprises qui font des fraudes fiscales ou de la contrebande », ainsi que celles qui se livrent à la corruption. Vingt-six compagnies gazières ou pétrolières multinationales sont présentes en Bolivie, entre autres l'espagnole Repsol YPF, la française Total, la britannique British Gas et l'anglo-néerlandais Royal Dutch Shell.

Plaidoyer en faveur de la feuille de coca

Le président des « pauvres », comme il aime à se faire appeler, a invité également les Nations unies à retirer la feuille de coca de leur liste des substances nocives et illégales, car elle « n’est pas dommageable pour la santé humaine » dans son état naturel, et elle a des vertus médicinales. Il a en outre dénoncé la politique de deux poids-deux mesures arguant que « la coca est légale pour la fabrication du Coca-Cola et pas légale pour la région Andine, c’est injuste ! ». En tout état de cause, La Paz n’appliquera pas, a-t-il dit, « la politique de zéro culture de coca », mais s’orientera vers la « politique de  zéro culture de drogue ».

Des aides multilatérales et un bilan déjà flatteur

L’Espagne et les Pays-Bas, de leur côté, vont soutenir le nouveau régime dans le cadre de la mécanisation de la paysannerie, et le gouvernement bolivien s’est lui aussi engagé à octroyer une subvention aux paysans comme cela se fait dans les pays de l’Union européenne (UE). Des promesses « de milliers de dollars » ont été faites à Morales. Cet argent permettra « à la paysannerie de rentrer dans (l’ère de) la mécanisation ». A elle seule, l’aide espagnole à la Bolivie, nation la plus pauvre d'Amérique du Sud avec ses 9 millions d’habitants, est pratiquement doublée passant de 8 millions d’euros à 15 millions d’euros. De plus, le Premier ministre espagnol, José Luis Rodríguez Zapatero, a annulé la dette bolivienne, à hauteur de 100 millions de dollars sur 120 millions de dollars. Les Pays-Bas ne sont pas en reste de cette bienveillance de la communauté internationale. Ils ont décidé de débloquer une aide de 30 millions d’euros en faveur de La Paz.

Le volet social n’est pas oublié. La nouvelle équipe dirigeante a mis l’accent sur une réduction à terme du taux d’analphabétisme qui est de 15% aujourd’hui. Pour mener à bien cet effort d’alphabétisation, une campagne nationale d’équipement des écoles est déjà envisagée. Elle est appuyée par des pays comme Cuba et le Venezuela prêts à apporter une aide conséquente. Le président Fidel Castro a même débloqué 5 000 bourses d’étude pour inciter les Boliviens à entreprendre des études de médecine. Et pour donner plus d’espoir aux populations, Evo Morales et les députés ne percevront que la moitié de leur salaire, et l’autre moitié sera versée dans un « fonds social » qui doit permettre « de payer des maîtres d’écoles ». La santé, l’électrification, l’accès des zones rurales à l’eau potable, la lutte contre l’esclavage dans les latifundias (grands domaines agricoles où les conditions de travail ne respectent aucune norme) sont également des priorités du pays.

Selon, Morales, à mi-parcours de son périple qui, après la France, doit le mener en Chine, en Afrique du Sud (où il doit notamment rencontrer Nelson Mandela) et au Brésil, la Bolivie est assurée de voir « son aide officielle multipliée par deux ».

Une diplomatie plurielle

Sur le plan diplomatique, le président Morales s’est déclaré disposé à « à dialoguer avec tous les gouvernements qu’ils soient néo-libéraux, de gauche ou de droite », avec le Mexique et surtout le Chili qu’un conflit frontalier « vieux de 100 ans » oppose à son pays. A la France il vient lui « dire merci » pour sa lutte contre la xénophobie et non pas « demander réparation de ce qui s’est passé il y a 500 ans », a-t-il dit.

Enfin, Evo Morales a de nouveau revendiqué ses amitiés avec les présidents Fidel Castro (Cuba), Hugo Chavez (Venezuela) et Luiz Inácio Lula da Silva (Brésil).

par Muhamed Junior  Ouattara

Article publié le 06/01/2006 Dernière mise à jour le 07/01/2006 à 15:43 TU

Audio

Mauricio Latorre

Journaliste à la rédaction Amérique latine de RFI

«Les investisseurs espagnols sont très inquiets depuis la victoire de Morales en Bolivie.»

Olivier Languepin

Journaliste à Arte, créateur du site internet Cubantrip

«Morales veut rendre hommage à la dimension mythique de Castro plutôt que de s'aligner sur le modèle cubain.»

Reza Nourmamode

Correspondant de RFI en Bolivie

«Cette victoire est avant tout la victoire du mouvement indigène.»

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