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Bolivie

Tournée internationale pour Evo Morales

Le président cubain Fidel Castro reçoit son homologue, le Bolivien Evo Morales, le 30 décembre à La Havane.(Photo: AFP)
Le président cubain Fidel Castro reçoit son homologue, le Bolivien Evo Morales, le 30 décembre à La Havane.
(Photo: AFP)

En attendant la passation des pouvoirs, annoncée pour le 22 janvier, Evo Morales a commencé vendredi, à Cuba, une tournée internationale qui le conduira en Europe, en Asie et en Afrique, du 3 au 13 janvier prochain. Après son rendez-vous avec Fidel Castro, qui célèbre le 1er janvier le 47e anniversaire de la révolution cubaine, le nouveau président indien et socialiste de la Bolivie s’est annoncé en Espagne, en France, aux Pays-Bas, en Belgique, en Chine, en Afrique du Sud et au Brésil.


«Admirateur» des présidents vénézuélien et cubain, dont il a «rêvé de soutenir la lutte contre l’impérialisme» économique, Evo Morales estime que «l'heure est arrivée de nous délivrer non seulement en Bolivie mais aussi en Amérique latine». Sa visite à Cuba n’en sera pas moins essentiellement symbolique. Et, s’il fait un pied-de-nez supplémentaire à Washington en soutenant le culture de la coca et en étoffant la «nouvelle gauche» latino-américaine, le chef du Mouvement vers le socialisme (Mas) inquiète surtout les opérateurs et les clients traditionnels du gaz bolivien.

Enjeu politique, économique et social, le gaz a servi de principal argument de campagne présidentielle, Evo Morales promettant la nationalisation de la principale ressource du pays. La victoire venue, le président bolivien paraît déterminé à tirer un profit plus diplomatique des quelque 1 375 milliards de mètres cubes de gaz du pays, la deuxième réserve gazière après celle du Venezuela. Conformément à ses habitudes, il met en tout cas un bémol à ses discours de politique intérieure lorsqu’il s’adresse aux compagnies étrangères qui exploitent le gaz bolivien.

Réviser les contrats gaziers

Evo Morales a ainsi promis qu’il «n'exproprierait, ni ne confisquerait les biens» des sociétés étrangères, tout en déclarant que «les hydrocarbures appartiennent à l'Etat» et que les compagnies «peuvent être partenaires mais non pas propriétaires». Selon lui, en vertu de «clauses qui leur octroient un droit de propriété à la sortie des puits, les contrats sont illégaux et anticonstitutionnels, il faut les réviser car ils sont nuls en droit». Ces déclarations faites au quotidien espagnol El Pais sonnent comme un coup de semonce, en particulier pour la société espagnole Repsol, le deuxième investisseur dans les hydrocarbures boliviens après la Brésilienne Petrobras.

Au lendemain de l’élection présidentielle bolivienne, Repsol avait accusé une baisse boursière, tandis que Petrobras laissait dire par la presse qu’elle gelait tout nouvel investissement en Bolivie. Aujourd’hui, dans l’attente de la passation des pouvoirs et de la formation du nouveau gouvernement, les 26 compagnies étrangères implantées dans les hydrocarbures boliviens retiennent leur souffle. Elles avaient déjà reçu avec consternation la mise en œuvre, le 17 mai dernier, d’une nouvelle loi organisant un prélèvement par l'Etat de 50% des recettes du gaz et du pétrole. La plupart ont demandé un arbitrage international, en dénonçant une modification unilatérale des contrats.

Dans le mouvement de réprobation international des pétroliers, la société nationale Petrobras s’est distinguée en choisissant de temporiser, au moins jusqu’à la visite d’Evo Morales. Dans le dossier gaz, le président bolivien paraît en effet décidé à jouer la carte des négociations bilatérales entre Etats. Cela vaudra en particulier pour le Brésil, mais aussi sans doute pour la France, dont le groupe Total participe, depuis 1995, à l'exploitation de deux gisements de gaz bolivien, à hauteur de 15%, sous la houlette de l’opérateur Petrobras. La question constituera aussi le plat de résistance du menu espagnol d’Evo Morales, le socialiste fraîchement élu, qui entend «refonder la Bolivie» et mettre fin à «l’état colonial» en faisant payer la facture aux multinationales.

«Les contrats ont été signés lorsque le baril de brut coûtait 18 ou 19 dollars, alors qu'il est aujourd'hui à plus de 60 dollars», martèle Morales, après avoir agité l’épouvantail des nationalisations et en mettant la Chine à son programme international. Le président bolivien entend réviser à la hausse les prix «extrêmement bas» auxquels son pays cède son gaz, en particulier à ses deux principaux clients actuels, le Brésil et l’Argentine. Bien qu’il se soit lui-même qualifié de «petit frère» du président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, qui s’était d’ailleurs félicité par avance de sa victoire, Evo Morales ne peut guère faire l’impasse sur leur conflit d’intérêt gazier. Ce dernier pourrait toutefois trouver des solutions moins nationalistes, avec, par exemple, l’entrée de la Bolivie dans le Mercosur (Argentine, Brésil, Urugay et Paragay) qui s’efforce, avec le Venezuela, de contrer le projet de Zone de libre-échange des Amériques prôné par Washington.

Légaliser la culture de la coca

Outre le dossier des hydrocarbures, Evo Morales évoquera peut-être en Europe, et notamment à Bruxelles, le dossier agricole des dizaines de milliers de cocaleros, les planteurs de coca boliviens, auxquels il a promis de trouver de nouveaux débouchés commerciaux légaux, dans les secteurs pharmaceutiques et alimentaires, ce qui ne contribue pas du tout à rassurer les Etats-Unis. Evo Morales leur fait miroiter en échange une «alliance dans la lutte contre la drogue». Il est vrai que, dans son entreprise de restauration de la souveraineté nationale, le président bolivien manifeste un tropisme plutôt hostile.

Outre sa première visite d’élu du peuple à Cuba, où il insiste à peu de frais sur la «lutte légitime contre l’embargo des Etats-Unis», Evo Morales a choisi de se rapprocher du moloch chinois des matières premières. En Afrique du Sud, une rencontre est prévue avec le symbole vivant de la combativité du Sud, Nelson Mandela, l’ancien président d’une locomotive régionale membre du G20,qui rassemble les pays riches du G8 et les grandes économies émergentes (Afrique du Sud, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Chine, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Mexique, Turquie) qui ont su rallier à leur combat économique les pays les plus pauvres du monde (dans le G90).

Evo Morales a été élu par les très pauvres électeurs des régions andines, qui réclament l’usufruit de leur patrimoine de gaz et de coca. La pression intérieure est très forte. Les spéculations extérieures vont bon train sur le type de gestion économique que le président bolivien décidera d’instaurer. A défaut de certitudes sur son discours, c’est à l’aune de son futur gouvernement et de ses premiers actes que ses hôtes étrangers évalueront Evo Morales.


par Monique  Mas

Article publié le 30/12/2005 Dernière mise à jour le 30/12/2005 à 18:05 TU

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Olivier Languepin

Journaliste à Arte, créateur du site internet Cubantrip

«Morales veut rendre hommage à la dimension mythique de Castro plutôt que de s'aligner sur le modèle cubain.»

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