Bolivie
Elections : Evo Morales, incontestablement
(Photo : AFP)
De notre envoyé spécial
C’est les larmes aux yeux qu’Evo Morales, depuis son fief de Cochabamba dans le centre du pays, a lancé : «La nouvelle histoire de la Bolivie commence. Ce sera celle de la paix, de l’équité, de la justice, et de l’égalité.» Au même moment, plusieurs milliers de personnes défilaient dans les rues de la ville en fêtant bruyamment le succès aux cris de «Evo président, le pays répond présent».
Aucun des candidats n’a attendu les résultats officiels pour reconnaître la victoire écrasante d’Evo Morales. «Je félicite les candidats du MAS, ils ont fait une bonne campagne», a déclaré tôt dans la soirée le candidat de la droite libérale Jorge Quiroga Ramirez, donné deuxième autour de 30%. Samuel Doria Medina, candidat du centre qui obtiendrait 10%, lui emboîte le pas peu après : «La Bolivie a un nouveau président».
Convocation d’une Assemblée constituante
Si les résultats officiels définitifs, qui peuvent tarder plusieurs jours, confirment ce que toute la Bolivie considère déjà comme acquis, cette victoire de l’ancien dirigeant syndical cocalero (producteur de coca) serait historique à plusieurs titres. Evo Morales, Indien Aymara (ethnie majoritaire), deviendrait tout d’abord le premier président amérindien d’un pays indépendant depuis 1825 et dont les deux tiers de la population sont indigènes. Aymaras, Quechuas, Guaranis, etc : en tout une quarantaine de groupes ethniques répartis sur son territoire. L’une des mesures phares promises par le MAS est d’ailleurs la convocation d’une Assemblée constituante, réclamée depuis des années par les mouvements indigènes, pour rééquilibrer en leur faveur un pouvoir depuis toujours aux mains des élites blanches : «pour la première fois, nous sommes présidents» a-t-il crié.
Ce serait également la première fois depuis le retour de la démocratie en 1982 qu’un candidat dépasse les 50% au premier tour, évitant un second tour devant le Congrès, ce qui serait propice aux pires magouilles politiques : en 1989, le candidat arrivé troisième devant les électeurs, Jaime Paz Zamora, s’était finalement fait élire par le congrès. Même élu président, Evo Morales n’aura pas la tâche facile pour gouverner. A cause d’un système électoral complexe, il devra d’abord composer avec un Sénat et des gouverneurs en majorité acquis à son rival Tuto Quiroga.
Le nouveau chef de l’Etat aura également face à lui les provinces de l’Est du pays qui ont voté largement contre lui. Avec en première ligne Santa Cruz, capitale de l’Orient et poumon économique du pays. Ce fief des grands propriétaires terriens liés aux milieux pétroliers s’est lancé dans un mouvement autonomiste, cherchant à protéger ses intérêts des mouvements sociaux qui se sont intensifiés ces dernières années dans l’Ouest du pays. C’est justement dans cet Occident bolivien, hauts plateaux quasi désertiques s’étendant à 4 000 mètres d’altitude où se concentrent Indiens et misère, qu’Evo Morales a gagné les élections. L’Orient, lui, a voté majoritairement pour Tuto Quiroga.
Hydrocarbures et coca
L’arrivée au pouvoir de cet indigène de 46 ans, se revendiquant d’un socialisme intransigeant, devrait en effet entraîner un changement radical dans ce pays gouverné depuis deux décennies par des partis traditionnels discrédités par une corruption généralisée (*) et une incapacité à développer un pays où le salaire mensuel minimum n’est que de 48 euros. Alors que la Bolivie est assise sur les deuxièmes plus grandes réserves de gaz naturel du continent, après celles du Venezuela, Evo Morales doit une grande partie de sa victoire à son combat pour la nationalisation des hydrocarbures. Les bénéfices du secteur en Bolivie représentent annuellement plus d’un milliard deux cents millions d’euros par an, desquels l’Etat bolivien ne percevrait actuellement qu’une infime part, de l’ordre d’une centaine de millions d’euros. Si Evo Morales promet qu’il ne veut en aucun cas «exproprier les multinationales ni confisquer leurs biens», il entend bien rompre les contrats passés entre les compagnies et les précédents gouvernements, des contrats qu’il juge «illégaux».
Enfin, cette victoire confirme la bonne santé de la gauche anti-américaine du continent. Déjà soutenu officiellement par le Vénézuélien Hugo Chavez et le Brésilien Lula da Silva, Evo Morales n’hésite pas à défier ouvertement Washington sur la lutte contre le narcotrafic que les Etats-Unis mènent en Bolivie pour l’éradication des cultures de coca : «Il y aura zéro narcotrafic et zéro cocaïne, mais pas zéro feuille de coca», déclare le leader bolivien.
par Reza Nourmamode
Article publié le 19/12/2005 Dernière mise à jour le 27/12/2005 à 11:47 TU