Bolivie
Un nouveau président pour sortir de la crise
(Photo : AFP)
Ce n’est pas sans peine que les 157 membres du Congrès bolivien se sont finalement réunis à Sucre, la capitale administrative de ce petit pays andin, le plus pauvre d’Amérique latine malgré un sous-sol qui recèle d’importantes réserves de gaz naturel. Prévue pour se tenir jeudi matin, la session extraordinaire des sénateurs et des députés boliviens a en effet dû être repoussée de plus de dix heures en raison notamment des violentes manifestations qui ont ébranlé plusieurs villes du pays. Un mineur a ainsi été tué par balle lors de ces affrontements faisant craindre une nouvelle aggravation de la situation dans un pays paralysé depuis près de trois semaines et que le président démissionnaire, Carlos Mesa, a estimé être «au bord de la guerre civile».
Au point où l’armée, plutôt discrète depuis le début de la crise, est sortie de sa réserve pour appeler au calme et «éviter un suicide» de la Bolivie. «Les forces armées suivent avec attention le développement des événements et dans le cadre de leurs attributions agiront si nécessaire pour préserver la stabilité et la souveraineté nationale, le règne de la loi et la défense de la démocratie», a ainsi prévenu l’amiral Luis Aranda, commandant en chef des Forces armées boliviennes lors d’une conférence de presse à La Paz. «Nous sommes le dernier bastion de la patrie», a-t-il également ajouté mettant en garde «ceux qui veulent la détruire».
Conscients de la gravité de la situation qui menace l’unité même du pays –certaines régions ont d’ores et déjà annoncé l’organisation d’un référendum sur leur autonomie–, les sénateurs et les députés boliviens ont donc décidé à l’unanimité, après avoir entériné la démission de Carlos Mesa, de désigner chef de l’Etat Eduardo Rodriguez dont ils espèrent que l’investiture apaisera les tensions. Le président de la Cour suprême n’arrivait pourtant qu’en troisième position dans l’ordre constitutionnel de succession. La loi fondamentale bolivienne prévoit en effet que c’est le président du Sénat, Hormando Vaca Diez, qui doit théoriquement succéder au président démissionnaire ou, à défaut, le président de la chambre des députés Mario Cossio. Mais la personnalité de ces deux hommes politiques est fortement contestée par les leaders de l’opposition qui les considèrent comme des tenants de la «mafia politique» qui dirigent le pays depuis le retour de la démocratie en 1982.
Des élections anticipées avant la fin de l’année
Le président bolivien par intérim jouit au contraire d’une réputation beaucoup moins controversée. L’homme a en effet effectué toute sa carrière dans le domaine juridique, loin du monde politique, et occupait la présidence de la Cour suprême, la plus haute instance judiciaire du pays, depuis mars 2004. «Un devoir constitutionnel m’a porté à la tête du pays, en tant que juge de la république qui a la charge d’accomplir un mandat, convaincu que les Boliviens ont besoin de démocratie, d’union et de paix», a déclaré Eduardo Rodriguez après avoir prêté serment. «Je suis convaincu que mon mandat a à voir avec une rénovation du système», a-t-il ajouté, affirmant que l’une de ses attributions sera de «convoquer un processus électoral pour rénover la représentation citoyenne». Si aucune date n’a pour l’instant été fixée pour la tenue d’élections générales anticipées, le nouveau chef de l’Etat est toutefois tenu par la Constitution d’organiser dans un délai de trois mois à partir de sa désignation un tel scrutin.
L’investiture d’Eduardo Rodriguez devrait apaiser, du moins dans un premier temps, les tensions que connaît depuis plusieurs semaines le pays. Sa désignation était en effet l’une des principales exigences des manifestants. Une grande partie de la société bolivienne s’était également prononcée depuis plusieurs jours en faveur de ce scénario, à leurs yeux seul susceptible de sortir le pays de la grave crise politique et sociale dans laquelle il s’est enfoncé ces dernières semaines. Mais le répit pourrait être de courte durée pour le nouveau chef de l’Etat. L’opposition semble en effet plus que jamais déterminée à obtenir la satisfaction de sa principale revendication, à savoir la nationalisation des ressources énergétiques qu’elle qualifie de «cruciale et non négociable». Conscient des difficultés qui l’attendent, Eduardo Rodriguez, a d’ailleurs tenu à réaffirmer, dans son discours d’investiture, le principe constitutionnel de la propriété de l’Etat sur les hydrocarbures. «Rien n’a changé, ce qui a changé c’est la forme de les administrer. C’est le Congrès qui doit être capable de rendre effectif ce processus constitutionnel pour récupérer cette ressource», a-t-il déclaré renvoyant les élus à leurs responsabilités.
par Mounia Daoudi
Article publié le 10/06/2005 Dernière mise à jour le 10/06/2005 à 17:46 TU