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Bolivie

«La fête est finie»

Le nouveau président bolivien, Evo Morales (droite) et son vice-président Alvaro Garcia Linera (gauche), le 21 décembre 2005.(Photo : AFP)
Le nouveau président bolivien, Evo Morales (droite) et son vice-président Alvaro Garcia Linera (gauche), le 21 décembre 2005.
(Photo : AFP)
Le dépouillement de 80% des bureaux de vote confirme l’élection de Evo Morales a la présidence. Selon les derniers résultats, il obtient 54% des voix. La passation de pouvoir officielle aura lieu le 22 janvier prochain.

De notre envoyé spécial

Evo Morales sait au moins manier les symboles. Avant d’annoncer la formation de son premier gouvernement, qui doit prendre ses fonctions jeudi, il a choisi de se réunir, accompagné de ses futurs députés et sénateurs, avec les représentants des différents secteurs sociaux qui comptent pour une grande part dans sa victoire. C’est dans son fief de Cochabamba, dans le centre du pays, que le leader indigène a convoqué les dirigeants des paysans, des mineurs, des chômeurs ou encore des micro entrepreneurs. Il ne s’agit pas de distribuer les ministères, a-t-il assuré, mais de «définir les critères de nomination».

«La fête est finie, nous avons désormais une responsabilité à assumer», a-t-il fait savoir en marge du rassemblement. En attendant de se mettre au travail, Evo Morales a déjà clarifié ses positions sur les deux sujets qui fâchent : la coca et les hydrocarbures. Après avoir pendant la campagne promis de devenir «le cauchemar de Washington» en cas de victoire, Evo Morales a adopté hier un ton plus mesuré pour évoquer le principal sujet de discorde avec les Etats-Unis, celui de la production de feuilles de coca, plante utilisée ici par les Indiens à des fins médicinales mais également détournée pour fabriquer de la cocaïne, dont la Bolivie est le troisième plus gros producteur de la région après la Colombie et le Pérou.

Inquiétude internationale

«Je proposerai aux Etats-Unis un véritable plan de lutte contre le narcotrafic», a lancé Evo Morales, ajoutant que «la cocaïne, le narcotrafic, ce n’est pas dans la culture des Indigènes». Concernant la nationalisation des hydrocarbures, le futur président est en revanche resté beaucoup plus ferme : «Ce sera fait par décret, non par loi», a-t-il fait savoir mercredi soir par la voix de son vice-président, l’intellectuel et ancien guérillero Alvaro Garcia Linera. Evo Morales lui-même avait affirmé dans la journée que «les contrats que possèdent les compagnies pétrolières en Bolivie sont illégaux et ils seront tous révisés».

Actuellement en Bolivie, 26 compagnies pétrolières exploitent les hydrocarbures, dont l’espagnol Repsol et la française Total. Face à cette fermeté réaffirmée de faire mieux bénéficier l’Etat bolivien de ses réserves de gaz naturel, les deuxièmes plus grandes du continent, l’inquiétude internationale a commencé hier à se faire sentir. Ainsi la France, dans un communiqué du ministère des Affaires étrangères, a demandé à Evo Morales de permettre «aux entreprises étrangères de pouvoir travailler dans un climat juridique stable».

Premier conflit social

Dans le bras de fer qui s’annonce, l’ancien dirigeant syndical pourra en tout cas compter sur de nombreux appuis dans la région. Après les chaudes félicitations déjà adressées par le Brésil et l’Argentine, la victoire d’Evo Morales a reçu hier un hommage appuyé de la part d’Hugo Chavez : «Ces nouveaux leaderships sont le produit du réveil de ces peuples qui étaient trompés et manipulés». Le président vénézuelien a ajouté : «nous exigeons du gouvernement impérialiste, du gouvernement immoral des Etats-Unis qu’il respecte la sainte souveraineté du peuple bolivien». Mardi, en effet, Washington avait froidement félicité Evo Morales pour son «apparente victoire» et avait souligné : «la qualité de nos relations avec le futur gouvernement bolivien dépend, entre autres, du respect qu’il témoignera à la démocratie».

A l’intérieur du pays, la situation apparaît tout autant agitée. Selon toute vraisemblance, Evo Morales va se retrouver en minorité au Sénat, ce qui risque de lui poser de sérieux problèmes pour légiférer. Sur le terrain social, la COB, la puissante centrale ouvrière bolivienne, a préféré rester à l’écart de la grand-messe de Cochabamba et a averti qu’elle donnait un délai de 90 jours au futur gouvernement pour répondre aux principales attentes sociales, concernant notamment la nationalisation des hydrocarbures et la convocation d’une Assemblée constituante.

Evo Morales connaît déjà son premier conflit social, avant même d’être officiellement président : l’actuel président intérimaire Eduardo Rodriguez vient en effet de repousser de 60 jours la conclusion de l’appel d’offre international pour l’exploitation d’une mine sidérurgique située dans le département de Santa Cruz. Une décision justifiée par le souhait de laisser au prochain gouvernement ce genre de décisions importantes. Les comités civiques de la région ont dénoncé une «pression du MAS» (le parti présidentiel) et ont annoncé le blocage des routes dès jeudi matin à la frontière brésilienne.


par Reza  Nourmamode

Article publié le 22/12/2005 Dernière mise à jour le 22/12/2005 à 16:41 TU