Bolivie
Une élection historique
(Photo : Alain Devalpo)
De notre correspondant en Bolivie
Une image traduit le chaos qui règne aujourd'hui en Bolivie : celle des files d'attente dans les rues de la ville-champignon El Alto, cité de 800 000 ex-paysans ou mineurs, majoritairement indigènes, qui surplombe La Paz. Les habitants y patientent toute la journée pour une bombonne de gaz, alors que ce pays possède les plus importantes réserves d'Amérique latine après le Venezuela.
Depuis 5 ans, la Bolivie est prise dans un tourbillon de mouvements sociaux qui ont provoqué la démission de deux présidents (Gonzalo Sanchez de Losada et Carlos Mesa) et la multiplication de barrages routiers ayant un fort impact négatif sur l'économie. Un engrenage où il est devenu difficile de distinguer la cause de la conséquence ; la crise est complexe et les revendications multiformes. Se mélangent une remise en question de la politique de privatisations des vingt dernières années, la volonté de contrôler les hydrocarbures, mais aussi le projet d'une nouvelle constitution et un référendum sur les autonomies régionales.
Santa Cruz : capitale économique
L'ingouvernabilité actuelle est due en partie au glissement progressif du pouvoir économique, des hauts plateaux vers l'Est de la Bolivie. Ces dernières décennies, alors que les mines d'étain licenciaient sur l'Altiplano, on découvrait des hydrocarbures dans l'Est. S'en est suivi un important exode vers la région de Santa Cruz, village qui comptait 50 000 habitants, il y a 50 ans, et qui est devenu aujourd'hui la capitale économique du pays avec 1,3 million d’habitants.
Santa Cruz, c'est l'élevage, le soja, le pétrole et l'argent de la coca. Point de femmes emmitouflées dans leurs ponchos et de lamas -images d'Epinal de l'Altiplano- mais des vaches comme en Inde, car la race Zébu est celle qui résiste le mieux aux conditions tropicales de cette région frontalière du Brésil. On mesure la difficulté de trouver un terrain d'entente politique avec El Alto, 1 000 kilomètres plus à l'Ouest.
Profitant d'un pouvoir déstabilisé et arguant un centralisme trop fort, Santa Cruz est devenu le fer de lance des revendications d'autonomie : une des questions qui a été au coeur de la campagne électorale. La première victoire a été d'obtenir l'élection des gouverneurs. Mais, déjà dans la seule région de l'Est, la revendication d’autonomie ne recouvre pas les mêmes réalités, ni les mêmes attentes. Aux côtés de Santa Cruz et de ses élites qui convoitent les royalties versées par les compagnies pétrolières, il y a les habitants de la région du Chaco, dans le Sud-Est, zone oubliée qui veut sortir de la misère, ou encore les indigènes Guaranis qui se battent pour l'autogestion de leurs territoires.
Nationaliser les hydrocarbures
Dans ce contexte agité, le mouvement social qui porte Evo Morales et qui s'oppose au néolibéralisme, réclame, par exemple, la nationalisation des hydrocarbures. Ces acteurs sociaux militent pour la convocation d'une assemblée constituante dans la foulée des élections, seule habilitée à leurs yeux à modifier le mode d'administration des départements. Mais si le mouvement qui soutient le dirigeant indigène est puissant, il est loin d'être unifié. Il est formé d’une constellation d'organisations qui ont montré, par le passé, leur capacité à s'unir dans l'adversité, mais aussi à se déchirer ensuite.
Tout pronostic est donc hasardeux. Evo Morales ne semble pas en mesure de remporter les 50% de suffrages nécessaires pour être élu au premier tour. Les derniers sondages le créditent de 35% face aux 29% de son principal adversaire, Jorge Quiroga, représentant de la droite libérale. Que va-t-il se passer ? La préparation des élections a canalisé les énergies et un calme relatif a régné, ces derniers mois, dans le pays. Mais sur le fond, aucune question n'est réglée et ce calme n'annonce-t-il pas une nouvelle tempête ?
par Alain Devalpo
Article publié le 18/12/2005 Dernière mise à jour le 18/12/2005 à 09:22 TU