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Guyane

La fièvre de l’or tue sans distinction

Le fleuve Mana, où le gendarme Claverie a trouvé la mort.(Photo : Frédéric Farine/RFI)
Le fleuve Mana, où le gendarme Claverie a trouvé la mort.
(Photo : Frédéric Farine/RFI)
Le corps sans vie de l’adjudant Alain Claverie, 39 ans, a été retrouvé dimanche matin au fond du fleuve Mana dans l’ouest guyanais. Ce décès par noyade fait suite à plusieurs meurtres liés à la lutte contre l’orpaillage clandestin.

De notre correspondant à Cayenne

A 200 kilomètres à l’ouest de Cayenne, Mana, et son paysage de rizières, abritent 6 000 âmes. Un fleuve éponyme y rejoint l’Atlantique. Samedi 7 janvier, en milieu de matinée, des gendarmes de la brigade y voient passer une pirogue qu’ils jugent suspecte. La décision est prise de l’intercepter par la route, 70 km plus loin, au pont « Saut Sabbat » de la nationale 1 qui relie Saint-Laurent du Maroni à Cayenne. « L’embarcation est alors arrêtée sans difficulté », explique le colonel Patrice Bergot, commandant de la gendarmerie en Guyane. Selon les gendarmes, la pirogue était vraisemblablement destinée à ravitailler en fûts d’essence des sites d’orpaillage clandestins en amont. Décision est prise de ramener la pirogue et son piroguier à Mana pour des vérifications. Deux gendarmes embarquent à bord, l’adjudant Alain Claverie, commandant de la gendarmerie de Mana et son collègue de la brigade de Saint-Laurent, l’adjudant Costa.

Curieusement, les commandes de la pirogue sont malgré tout laissées au piroguier interpellé, un homme originaire du Surinam selon les autorités. Au cours de la descente du fleuve Mana vers la commune, le piroguier aurait brusquement, selon le récit de l’adjudant Costa, mis l’embarcation en travers du courant, la faisant chavirer avec ses occupants, dont les deux gendarmes, avant de tenter de prendre la fuite à la nage. Selon les explications du colonel Bergot à la presse locale : « Après avoir essayé de secourir l’adjudant Claverie, le gendarme de Saint-Laurent a vu son collègue de Mana finir par lâcher prise, être emporté par le courant, faire le bouchon, puis disparaître sous les eaux ». L’adjudant Costa, lui, finira par être recueilli par une pirogue. « Les recherches n’ont pu s’organiser qu’une heure et demie après l’accident, ce qui est très tardif », souligne le Colonel Bergot.

Le gendarme Claverie a été retrouvé sans vie, dimanche matin, coincé par des racines au fond de l’eau à 700 mètres du lieu du chavirage. Père de deux enfants, il était arrivé en Guyane en juillet dernier. Dimanche, les autorités étaient toujours sans nouvelles du piroguier. Selon une source proche de l’enquête, il aurait été aperçu en vie par des riverains après l’accident. Suite à ce drame, le ministre de l’Outre-mer, François Baroin, a décidé de s’envoler pour la Guyane mardi afin de rencontrer la famille du gendarme et ses collègues de la brigade de Mana.

Deux exécutions ces derniers mois

La mort tragique du gendarme Claverie fait suite à deux crimes récents intimement liés à la lutte contre l’orpaillage clandestin. En novembre, Philippe Gros, avait été retrouvé avec une balle dans la nuque. Riverain du fleuve Approuague, haut-lieu de passage des pirogues de ravitaillement des sites d’orpaillage clandestin de l’est guyanais, «Philippe qui connaissait tous les méandres du fleuve, avait commencé par donner des informations sur les positions des campement d'orpailleurs à la gendarmerie de Régina (…). Très rapidement, il a été intégré dans des opérations d'assaut contre des camps qu'il avait repéré. Il participait physiquement, civil, parmi les gendarmes », a écrit récemment un de ses proches au ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy.

« Le jour de son assassinat, il avait signalé aux autorités un stock de carburant destiné aux sites illégaux » confie un gendarme. Le 6 août 2005, c’est Divino de Castro, un important patron orpailleur de la place qui, en rentrant à son domicile vers 22 heures, avait été abattu par balles par plusieurs hommes armés qui l’attendaient dans son jardin. M. De Castro, ressortissant brésilien, était le patron de deux sociétés minières exploitant des sites aurifères de l’est et de l’ouest guyanais. Il possédait, en outre, un atelier d’affinage de l’or à Cayenne. Selon ses proches, il avait reçu des menaces de mort suite à des opérations Anaconda en 2003 et 2004, contre des chantiers illégaux, jouxtant ses sites légaux. Suite à son décès, la Chambre de Commerce de Cayenne et la Fédération des opérateurs miniers de Guyane (Fedomg) avaient organisé une marche silencieuse avec ce slogan : « Plus jamais ça ! ».

Nicolas Sarkozy, les gendarmes et le Père Noël

Il y a près d’un an, le colonel Jean-Philippe Danède, prédécesseur du colonel Bergot à la tête de la gendarmerie de Guyane, avait déjà dressé un triste bilan : « En 2004, il y a eu 30 homicides constatés, liés au milieu de l’orpaillage. Pour un litre d’alcool, un peu d’or, une gonzesse. Les gars se massacrent ». Le colonel Danède notait aussi que « la gendarmerie de Guyane fonctionne toujours avec des radio BLU que la métropole utilisait il y a trente ans », tout en déplorant « manquer de moyen de projection contre l’orpaillage illégal en forêt ». De passage en Guyane, en juillet 2003, Nicolas Sarkozy, déjà ministre de l’Intérieur, avait pourtant annoncé l’arrivée pour la gendarmerie d’un hélicoptère Eurocopter EC145 bi-turbine pour Noël de la même année. Près de 3 ans plus tard, le Père Noël se fait attendre. Pour ses interventions en forêt, la gendarmerie de Guyane ne trouve toujours à sa disposition qu’un hélicoptère Ecureuil limité à 3 passagers contre huit pour l’EC145. Lequel, fin 2005, n’était même plus annoncé « avant 2007 ».


par Frédéric  Farine

Article publié le 09/01/2006 Dernière mise à jour le 09/01/2006 à 12:53 TU