Guyane
Les limites de la lutte contre l'orpaillage clandestin
(Photo: Jody Amiet)
A chaque visite ministérielle, s’annoncent des lendemains qui chantent: «Dans les prochaines semaines, un radar tridimensionnel pourra repérer les rotations d’hélicoptères sur les sites miniers illégaux de Guyane» vient d’assurer Brigitte Girardin. En visite, en juillet 2003, Nicolas Sarkozy avait, lui, annoncé l’arrivée imminente d’un hélicoptère bi-turbine que les gendarmes attendent toujours. «La Guyane souffre d’un grave problème d’image à cause de cet orpaillage clandestin» a aussi martelé la ministre de l’Outre-mer. Ses quatre jours dans ce département français d’Amérique du Sud, étaient censés rassurer sur le sujet. Alors, elle a d’abord paraphé vendredi dernier «la charte pour l’orpaillage», un document réalisé de concert entre les autorités et la FEDOMG (Fédération des organisations minières de Guyane), un groupement d’exploitants miniers locaux. La charte s’avère, en fait, en grande partie, un rappel à la réglementation en vigueur.
«Il s’agit de montrer patte blanche» explique Antoine Léveillé, nouveau président de la FEDOMG. Elégant et posé, cet opérateur minier bénéficie d’un certain crédit dans la profession: «Il a fait une pépinière en réhabilitant un de ses sites» glisse même un membre de la commission des mines qui décerne des permis d’exploitation. Montrer «patte blanche» c’est aussi se positionner face au fameux projet de Parc national, vieux serpent de mer de 12 ans, de nouveau à l’étude depuis mars 2003.
Envisagé sur un tiers sud de la Guyane, il achoppe toujours sur la question de l’activité aurifère puisque les 8 900 km2 de réserve d’or exploitable, selon l’inventaire minier du BRGM, coïncident avec une zone d’intérêt écologique majeur pour son endémisme. Des voix officielles: CNRS Guyane et Diren se sont déjà déclarées favorables à des activités d’orpaillage avec tables à secousses et sous contrôle strict, à l’intérieur du futur Parc. Les associations de protection de l’environnement et l’ONF sont contre.
400 militaires pour saisir 9 motopompes
Le second volet de l’opération séduction de madame la ministre a été sa participation à la 55e opération Anaconda depuis deux ans. Autorités françaises et brésiliennes s’étaient données rendez-vous sur la commune frontière de Saint-Georges de l’Oyapock samedi 18 septembre pour se féliciter d’une première action commune contre l’orpaillage illégal, avec hélicoptères en panne, toutefois, côté brésilien. Une fausse note, cependant, au départ de cette manifestation de transparence: si pas moins de 11 journalistes, nationaux ou locaux, accompagnaient Brigitte Girardin en hélicoptère sur l’Anaconda, l’auteur de cet article, lui, en était privé, malgré les protestations du Club de la presse local, en raison de ses «articles constamment déplaisants à l’encontre des services préfectoraux» dixit Daniel-Josserand Jaillet, le directeur de cabinet du préfet Ange Mancini. En tout état de cause, l’opération «secrète» annoncée de longue date par le programme de la tournée ministérielle n’a guère surpris: visés, les orpailleurs du village clandestin de Sikini au sud-est de la Guyane avaient, pour la plupart, pris la poudre d’escampette. 400 militaires ont donc été mobilisés pour un maigre butin de 10 grammes d’or, 20 000 litres de carburant, et 9 motopompes.
En 2003, sur 37 opérations Anaconda, 9 kilos d’or et 63 de mercure ont été saisis, puis un deuxième escadron d’intervention est arrivé en renfort en avril 2004 (avant un exil de plusieurs semaines en Polynésie lors des élections). Paradoxalement, les chantiers repoussent de plus belle. Il y a un an et demi, la dernière opération Anaconda sur la Sikini avait mobilisé des troupes durant deux mois avec barrage sur le fleuve. Juste avant l’opération Anaconda ministérielle, la dimension du même village était multipliée par trois et «abritait» plus de 1 500 personnes avec commerces, maisons de tolérance et même mulets, pour porter les moteurs dans la forêt. «Il faudrait pouvoir s’installer durablement pour plus d’efficacité» indique le Colonel Danède, commandant de la gendarmerie en Guyane. Avec des conséquences sanitaires en perspective: en 2003, 60 militaires avaient attrapé le paludisme sur la Sikini.
En face de Saint-Georges, rive brésilienne, la ville d’Oiapoqué est un centre nerveux de l’orpaillage illégal guyanais. Aguinaldo Rocha y est responsable d’une station-service, vendeur de matériel d’orpaillage et associé sur un site légal de la haute Mana, fleuve de l’ouest de la Guyane. «70% de l’économie d’Oiapoqué provient du travail clandestin de Guyane» dit-il. Pour l’heure, les opérations Anaconda n’agacent que les fourmis de l’orpaillage, des garimpeiros, sans le sou, venus du Nordeste. «C’est une organisation mafieuse internationale qui tire les ficelles» indique vaguement Brigitte Girardin. En fait, les commanditaires pourraient se cacher derrière ces comptoirs d’or clandestins qui fleurissent à Oiapoqué. Officiellement, cinq sont légaux, mais il y en aurait plus d’une trentaine. Il y a quatre ans, une enquête parlementaire brésilienne dénonçait Oiapoqué comme un carrefour du trafic de drogue. Certes, en deux ans, plus de 30 millions d’euros de matériel ont été estimés détruits par les autorités françaises sur les chantiers illégaux. Mais que peuvent les opérations Anaconda, si, de l’autre côté du fleuve, se dresse un cobra d’une autre dimension: l’argent de la cocaïne.par Frédéric Farine
Article publié le 23/09/2004 Dernière mise à jour le 23/09/2004 à 14:56 TU