Guyane
Les damnés de l'or guyanais
Edmundo, chercheur d'or brésilien, revient de l'enfer. Enlevé en Guyane française, séquestré, torturé et abandonné dans la forêt amazonienne du Surinam par un groupe de gros bras, il a survécu par miracle. Son cas est loin d'être isolé mais ne semble pas émouvoir les autorités françaises de ce département d'outre-mer.
Correspondance particulière de Maripasoula
Ces dernières années, beaucoup de sites miniers du Brésil, ont été soit cédés aux multinationales, soit réquisitionnés pour protéger des communautés autochtones. Conséquence: les garimpeiros (chercheurs d'or) brésiliens débarquent en masse en Guyane, le plus souvent clandestinement, pour trouver du travail. Au Brésil on les surnomme «cabocos»: les hommes robustes de la forêt. Pourtant, leur rêve de richesse tourne régulièrement au cauchemar à Maripasoula, qui connaît une terrible fièvre de l'or depuis 1992.
Edmundo est l'un de ces cabocos. Il revient de l'enfer. Ce 29 janvier 2001, le médecin chef du service orthopédique de l'hôpital de Cayenne n'en croit pas ses yeux: «Avec ce qui lui est arrivé, quatre jours seul en forêt, avec trois balles dans le corps, n'importe lequel d'entre nous serait mort», estime-t-il. Le chercheur d'or brésilien sort d'une opération délicate, une broche de 40 cm lui martyrise la jambe gauche, son visage est tuméfié, ses draps tâchés de sang. Ses poignets et chevilles portent des traces de liens.
Fébrile, le rescapé raconte son histoire, le souffle court: «Je suis parti du Maranhao au Brésil, il y a près de dix ans et je n'ai plus de nouvelles de ma famille. Il y a un an, j'ai décidé de devenir chercheur d'or au Surinam vers Anapaïke, à la frontière guyanaise. Hélas sans succès. Pour vivre je vendais aux Amérindiens du gibier ramené de mes journées de chasse».
Edmundo apprend alors que l'on recherche de la main d'£uvre sur les chantiers d'orpaillage dans la zone de Maripasoula, en Guyane française, enclavée entre fleuve et forêt amazonienne à la frontière du Surinam. «N'y vas pas, m'ont dit les Amérindiens. Là-bas, ils vont te tuer. Moi, je n'ai pas pris leur mise en garde au sérieux». Edmundo gagne Maripasoula en pirogue avec un compatriote de 61 ans surnommé «le Vieux». Il s'arrête dans une épicerie du bourg pour manger un morceau: «Brusquement un homme m'a interpellé dans ma propre langue. Pour qui travailles-tu, m'a-t-il lancé ? Je lui ai répondu que je voulais proposer mes services à Benzdorf [NDLR un village rive surinamaise à 30 minutes de pirogue]. Il m'a rétorqué: tu ne serais pas plutôt ici pour commettre un vol?» Inquiet, Edmundo se rend dans une autre épicerie.
Rapidement le même homme revient à la charge accompagné de six individus: «Ils ont demandé à voir nos passeports, pour vérifier le visa, puis les ont confisqués». L'atmosphère tourne au cauchemar: «Ils nous ont emmenés dans une maison vide, ont dérobé notre maigre pécule pour acheter de l'alcool. Ils nous ont forcés à boire. Ils alternaient les promesses de nous amener sur la rive surinamaise et les injures nous qualifiant de voleurs».
Les deux hommes sont alors conduits de force dans une pirogue mais sans leurs bagages. «Nous sommes arrivés sur la rive d'en face, une petite île. Les six hommes nous ont ligotés et mis dans l'eau». Edmundo éclate en sanglots :«Là, ils ont commencé à nous battre, ils s'acharnaient sur le Vieux (...) Ils nous ont emmenés dans la forêt. L'un d'eux m'a dit, nous allons vous tuer. Ils nous ont attaché à un arbre pour nous tirer dessus: deux balles pour le Vieux, trois pour moi, toutes dans les jambes. Ils sont alors repartis. Leurs tirs avaient rompu une partie de mes liens; j'ai arraché le reste avec mes dents. Nous avons rampé, mais mon compagnon souffrait trop, je suis parti seul chercher de l'aide. Parvenu sur la rive j'ai vainement attendu. Le soir je suis revenu à proximité de l'endroit où était resté le Vieux. J'ai crié son nom toute la nuit: il me répondait: Oï. A l'aube, il ne me répondait plus il était mort...»
Seul, Edmundo va survivre pendant quatre jours en buvant l'eau d'une crique et mangeant de l'herbe: «Pendant des heures, j'ai glorifié Jésus pour qu'il envoie une pirogue ou alors la mort. Le quatrième jour, une pirogue est arrivée». Edmundo est alors recueilli par un piroguier. On lui offre à manger dans un petit village du fleuve, puis on le conduit au dispensaire de Maripasoula.
Une chape de plomb
La gestion de ce drame par les autorités françaises est édifiante. Au moment des faits, les gendarmes de Maripasoula se contentent d'un procès verbal, aucune enquête n'est ouverte. L'un d'eux évoque un problème de territorialité, alors que les exactions ont débuté sur le territoire national et que la rive surinamaise d'en face est inhabitée sur des kilomètres. «Ce genre de réaction des autorités ne m'étonne pas», explique Michel Simon, gendarme à Maripasoula de 1996 à 1998, aujourd'hui à la retraite. «Déjà quand j'exerçais là-bas, le mot d'ordre était: pas de zèle, pas de vagues».
Le 16 juin, en direct sur le plateau de Télé Guyane, le Secrétaire d'Etat à l'Outre-mer (DOM-TOM), Christian Paul, est amené à réagir sur l'exécution d'Edmundo et de son compagnon: «Une enquête est en cours sur cette affaire», affirme-t-il d'abord de manière erronée tout en soutenant de curieuses certitudes: «Mais les criminels sont déjà certainement repartis au Surinam ou dans les pays voisins».
Début juillet, Edmundo a enfin porté plainte avec l'aide d'un avocat à Cayenne. Si la victime confirme avoir eu affaire à des inconnus, des Brésiliens qui ont travaillé à Maripasoula, assurent que sa description d'un des criminels est celle d'un des gros bras de l'orpaillage guyanais, officiellement «recherché» depuis des années.
Le forfait subi par Edmundo est loin d'être isolé. A Maripasoula, depuis août 1994 et l'assassinat des frères Maïs, patrons orpailleurs locaux, par deux employés brésiliens, les ressortissants de ce pays voisin sont devenus de parfaits boucs émissaires. Dans le même temps leur compétence technique est réclamée sur les sites miniers. «Qu'on ne se méprenne pas assure Carmen, Brésilienne d'origine et nouvelle conseillère municipale, qui exploite elle aussi un petit gisement aurifère, il y a des Brésiliens qui sont à Maripasoula pour braquer des sites d'orpaillage. Et des innocents payent pour les autres».
Edmundo a reçu des nouvelles des siens alertés par le récit de sa tragédie dans la presse brésilienne. Deux de ses proches ont réussi de brillantes études. L'un de ses frères est aujourd'hui médecin. L'une de ses s£urs est devenue avocate. C'est un signe de plus pour Edmundo, le pieux : «Dieu m'a vraiment donné beaucoup de force et de courage. Ceux qui m'ont fait ça n'avaient-ils donc pas de c£ur? C'est comme si je n'étais pas un être humain».
Ces dernières années, beaucoup de sites miniers du Brésil, ont été soit cédés aux multinationales, soit réquisitionnés pour protéger des communautés autochtones. Conséquence: les garimpeiros (chercheurs d'or) brésiliens débarquent en masse en Guyane, le plus souvent clandestinement, pour trouver du travail. Au Brésil on les surnomme «cabocos»: les hommes robustes de la forêt. Pourtant, leur rêve de richesse tourne régulièrement au cauchemar à Maripasoula, qui connaît une terrible fièvre de l'or depuis 1992.
Edmundo est l'un de ces cabocos. Il revient de l'enfer. Ce 29 janvier 2001, le médecin chef du service orthopédique de l'hôpital de Cayenne n'en croit pas ses yeux: «Avec ce qui lui est arrivé, quatre jours seul en forêt, avec trois balles dans le corps, n'importe lequel d'entre nous serait mort», estime-t-il. Le chercheur d'or brésilien sort d'une opération délicate, une broche de 40 cm lui martyrise la jambe gauche, son visage est tuméfié, ses draps tâchés de sang. Ses poignets et chevilles portent des traces de liens.
Fébrile, le rescapé raconte son histoire, le souffle court: «Je suis parti du Maranhao au Brésil, il y a près de dix ans et je n'ai plus de nouvelles de ma famille. Il y a un an, j'ai décidé de devenir chercheur d'or au Surinam vers Anapaïke, à la frontière guyanaise. Hélas sans succès. Pour vivre je vendais aux Amérindiens du gibier ramené de mes journées de chasse».
Edmundo apprend alors que l'on recherche de la main d'£uvre sur les chantiers d'orpaillage dans la zone de Maripasoula, en Guyane française, enclavée entre fleuve et forêt amazonienne à la frontière du Surinam. «N'y vas pas, m'ont dit les Amérindiens. Là-bas, ils vont te tuer. Moi, je n'ai pas pris leur mise en garde au sérieux». Edmundo gagne Maripasoula en pirogue avec un compatriote de 61 ans surnommé «le Vieux». Il s'arrête dans une épicerie du bourg pour manger un morceau: «Brusquement un homme m'a interpellé dans ma propre langue. Pour qui travailles-tu, m'a-t-il lancé ? Je lui ai répondu que je voulais proposer mes services à Benzdorf [NDLR un village rive surinamaise à 30 minutes de pirogue]. Il m'a rétorqué: tu ne serais pas plutôt ici pour commettre un vol?» Inquiet, Edmundo se rend dans une autre épicerie.
Rapidement le même homme revient à la charge accompagné de six individus: «Ils ont demandé à voir nos passeports, pour vérifier le visa, puis les ont confisqués». L'atmosphère tourne au cauchemar: «Ils nous ont emmenés dans une maison vide, ont dérobé notre maigre pécule pour acheter de l'alcool. Ils nous ont forcés à boire. Ils alternaient les promesses de nous amener sur la rive surinamaise et les injures nous qualifiant de voleurs».
Les deux hommes sont alors conduits de force dans une pirogue mais sans leurs bagages. «Nous sommes arrivés sur la rive d'en face, une petite île. Les six hommes nous ont ligotés et mis dans l'eau». Edmundo éclate en sanglots :«Là, ils ont commencé à nous battre, ils s'acharnaient sur le Vieux (...) Ils nous ont emmenés dans la forêt. L'un d'eux m'a dit, nous allons vous tuer. Ils nous ont attaché à un arbre pour nous tirer dessus: deux balles pour le Vieux, trois pour moi, toutes dans les jambes. Ils sont alors repartis. Leurs tirs avaient rompu une partie de mes liens; j'ai arraché le reste avec mes dents. Nous avons rampé, mais mon compagnon souffrait trop, je suis parti seul chercher de l'aide. Parvenu sur la rive j'ai vainement attendu. Le soir je suis revenu à proximité de l'endroit où était resté le Vieux. J'ai crié son nom toute la nuit: il me répondait: Oï. A l'aube, il ne me répondait plus il était mort...»
Seul, Edmundo va survivre pendant quatre jours en buvant l'eau d'une crique et mangeant de l'herbe: «Pendant des heures, j'ai glorifié Jésus pour qu'il envoie une pirogue ou alors la mort. Le quatrième jour, une pirogue est arrivée». Edmundo est alors recueilli par un piroguier. On lui offre à manger dans un petit village du fleuve, puis on le conduit au dispensaire de Maripasoula.
Une chape de plomb
La gestion de ce drame par les autorités françaises est édifiante. Au moment des faits, les gendarmes de Maripasoula se contentent d'un procès verbal, aucune enquête n'est ouverte. L'un d'eux évoque un problème de territorialité, alors que les exactions ont débuté sur le territoire national et que la rive surinamaise d'en face est inhabitée sur des kilomètres. «Ce genre de réaction des autorités ne m'étonne pas», explique Michel Simon, gendarme à Maripasoula de 1996 à 1998, aujourd'hui à la retraite. «Déjà quand j'exerçais là-bas, le mot d'ordre était: pas de zèle, pas de vagues».
Le 16 juin, en direct sur le plateau de Télé Guyane, le Secrétaire d'Etat à l'Outre-mer (DOM-TOM), Christian Paul, est amené à réagir sur l'exécution d'Edmundo et de son compagnon: «Une enquête est en cours sur cette affaire», affirme-t-il d'abord de manière erronée tout en soutenant de curieuses certitudes: «Mais les criminels sont déjà certainement repartis au Surinam ou dans les pays voisins».
Début juillet, Edmundo a enfin porté plainte avec l'aide d'un avocat à Cayenne. Si la victime confirme avoir eu affaire à des inconnus, des Brésiliens qui ont travaillé à Maripasoula, assurent que sa description d'un des criminels est celle d'un des gros bras de l'orpaillage guyanais, officiellement «recherché» depuis des années.
Le forfait subi par Edmundo est loin d'être isolé. A Maripasoula, depuis août 1994 et l'assassinat des frères Maïs, patrons orpailleurs locaux, par deux employés brésiliens, les ressortissants de ce pays voisin sont devenus de parfaits boucs émissaires. Dans le même temps leur compétence technique est réclamée sur les sites miniers. «Qu'on ne se méprenne pas assure Carmen, Brésilienne d'origine et nouvelle conseillère municipale, qui exploite elle aussi un petit gisement aurifère, il y a des Brésiliens qui sont à Maripasoula pour braquer des sites d'orpaillage. Et des innocents payent pour les autres».
Edmundo a reçu des nouvelles des siens alertés par le récit de sa tragédie dans la presse brésilienne. Deux de ses proches ont réussi de brillantes études. L'un de ses frères est aujourd'hui médecin. L'une de ses s£urs est devenue avocate. C'est un signe de plus pour Edmundo, le pieux : «Dieu m'a vraiment donné beaucoup de force et de courage. Ceux qui m'ont fait ça n'avaient-ils donc pas de c£ur? C'est comme si je n'étais pas un être humain».
par Frédéric Farine
Article publié le 16/07/2001