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Guyane

Aventure scientifique en forêt amazonienne

Jamais répertorié par l’Institut géographique national (IGN), pas davantage perturbé par l’homme, le lac Toponowini récemment découvert au sud-est de la Guyane par l’association Alabama, devrait provoquer une importante avancée scientifique. C’est du moins l’avis d’une équipe de scientifiques du programme Ecofit qui étudie les paléoclimats des forêts tropicales et revient d’une mission sur les lieux. Avec en filigrane, l’étude du passé du climat guyanais et la compréhension du cycle du mercure.
De notre correspondant à Cayenne

Tout commence en 1996. Appelé pour une évacuation sanitaire au village amérindien de Trois-Sauts, enclavé au sud-est de la Guyane, un hélicoptère du Samu de retour vers le centre hospitalier de Cayenne est dévié de son parcours à cause d’un orage tropical. A bord, le docteur Gerald Egmann, membre de l’association d’explorateurs Alabama: «On a vu une sorte de montagne avec, autour du dôme, une couronne de nuages et en bas de l’eau. C’était comme dans un film de King-Kong». Trois ans plus tard, le médecin repasse au même endroit. Il aperçoit de nouveau l’étendue d’eau. Cette fois là, il n’omet plus de noter les coordonnées qui s’inscrivent sur le GPS.

Le 18 décembre 2001, cinq membres d’Alabama sautent d’un hélicoptère dans le lac avec des canoës gonflables pour rentrer vers Cayenne à la pagaie. Le lac de forme ovale mesure 120 mètres de diamètre sur sa longueur, un peu moins de 100 mètres de large. Cette reconnaissance confirme l’intérêt du site. En juillet 2002, Gérald Egmann et Eric Pellet, président d’Alabama, déposent leur découverte à la préfecture de Guyane, à l’IGN et à la Société des explorateurs à Paris. Arrêtée pour octobre, l’expédition, d’un coût de 50 000 euros, est présentée aux pouvoirs publics dans un dossier où figure un faux itinéraire, afin de préserver l’endroit des curieux.

Le 5 octobre, quinze personnes bardées chacune de trente kilos sur le dos, quittent Cayenne pour remonter le fleuve Oyapock à la frontière du Brésil, puis la rivière Camopi avant d’ouvrir un layon de cinq kilomètre en forêt jusqu’au lac baptisé Toponowini. En remontant la rivière Camopi, le groupe croise un anaconda de sept mètres de long. Pour Aïmawalé Opoya, un amérindien de l’ethnie Wayana participant à l’expédition, c’est un signe «selon les légendes de son peuple, l’anaconda est le gardien du lac», raconte Nicolas Brehm, ichtyologiste, délégué en Guyane pour Nancie, le Centre international de l’eau et membre de l’expédition.

Jean-Philippe Champenois, entomologiste pour Entomed, (un laboratoire de recherche de médicaments à partir d’insectes) les rejoint alors par hélicoptère. Il collecte 300 spécimens d’insectes toujours en cours d’identification. Mi-décembre, il estimait avoir «peut-être trouvé une nouvelle espèce de coléoptère longicorne». Enfin, en douze jours de présence, l’expédition ne repère ni trace d’un passage de l’homme, ni vestiges de la ville de Manoa, une cité amérindienne de légende recouverte de feuilles d’or que le mythe situe en Amazonie au bord d’un lac. «Retrouver l’Eldorado, c’était aussi notre espoir» confie Eric Pellet. Mais, selon les géographes en pointe sur le sujet, l’Eldorado, s’il existe, se situerait bien plus au nord dans une région comprise entre le sud du Guyana et l’Etat brésilien du Roraima.

Une possible découverte du passé de l’Amazonie

En revanche, le Toponowini suscite l’espoir d’une avancée scientifique: «C’est une découverte exceptionnelle. Les lacs sont rares en forêt tropicale» souligne Marie-Antoinette Mélière, membre de l’équipe Ecofit (Ecosystèmes et paléosystèmes des forêts intertropicales). Cette enseignante, chercheur en géophysique de l’environnement à l’Université de Grenoble a d’ores et déjà acquis «la certitude que le lac remonte au moins à plusieurs centaines d’années, voire même à plus du millénaire si l’on se fie à l’épaisseur des sédiments lacustres recueillis, un mètre ce qui est considérable pour un lac d’altitude en Amazonie». Une estimation corroborée, selon Philippe Gaucher, de la mission pour la création du Parc du sud de Guyane par «la hauteur des arbres autour du lac».

Les carottes d’un mètre, analysées au carbone 14, livreront leur verdict dans plusieurs mois. Les scientifiques espèrent alors pouvoir commencer à remonter le passé climatique de la Guyane sur des milliers d’années. «Si le lac a 5000 ans, on pourra peut-être prouver qu’autour, à l’époque, s’y trouvait de la forêt sèche ou de la savane», escompte Philippe Gaucher.

Concernant la faune, seules trois espèces de poissons ont été répertoriées, ce qui s’explique par la position originale du lac, en tête de bassin versant et ajoute d’ailleurs à sa rareté. Deux caïmans à lunettes et quelques hérons égayent aussi les lieux. Enfin, concernant la flore, «une fougère du littoral guyanais pousse sur les rives du lac, ce qui est étonnant» confie Nicolas Brehm.

En 2000, un autre lac avait été «redécouvert» au centre de la Guyane par Scott Mori du New-York Botanical Garden après avoir été repéré en 1972 par un botaniste, Jean-Jacques de Granville avant d’être perdu de vue. Ce lac, le Matechou, situé au nord-ouest de la petite commune de Saül, serait «moins intéressant» selon Philippe Gaucher «car les arbres sur la rive tombent au fond du lac et le perturbent ce qui ne semble pas le cas pour le Toponowini, beaucoup plus large».
Les explorateurs d’Alabama, pour leur part, ne semblent pas prêts à s’arrêter en chemin. Il y a plusieurs années, ils s’étaient lancés sur les traces de l’explorateur Jules Crevaux rejoignant le fleuve Amazone à pied depuis la Guyane. Aujourd’hui, ils viennent de repérer leur deuxième lac «toujours au sud-est de la Guyane et a priori tout aussi inconnu» assure Eric Pellet.



par Frédéric  Farine

Article publié le 30/12/2002