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Guyane

Cinq ans ferme pour tortures et actes de barbarie en Guyane

Quatre orpailleurs français ont été condamnés à cinq ans de prison ferme pour des faits de tortures et de barbarie sur un Brésilien qu’ils soupçonnaient de complicité de braquage sur une exploitation aurifère de la commune de Maripasoula.
De notre correspondant à Cayenne

«Ce sont des pratiques dignes de la guerre d’Algérie», s’indigne l’avocat de la partie civile, Maître Robo. Nous sommes le mardi 18 juin au tribunal de Cayenne. La salle est pétrifiée. Claudivan Souza de Araujo, la victime, un chercheur d’or brésilien installé en Guyane, revient sur son calvaire : «Ils m’ont massacré. J’ai d’abord reçu des coups de bâton à la tête. Ils m’ont versé de l’essence sur le corps. Puis ils ont mis le feu (...)Durant trois jours, j’ai été enchaîné et nourri à l’eau savonneuse. J’ai eu des épines plantées sous les ongles et un doigt écrasé entre deux morceaux de fer». L’expertise médicale souligne : «un acharnement». Les juges écarquillent les yeux en découvrant la photo de la victime prise par les gendarme le 27 novembre 2000. «Nous avions la haine des Brésiliens qui attaquaient les sites», a reconnu Armand Moussa l’un des quatre prévenus. «Claudivan Araujo était-il un braqueur selon vous ?» interroge la juge. «Je ne sais pas», répond Moussa.

Nous sommes en Guyane, à Maripasoula, une commune française à la frontière du Surinam. Et pourtant on y passe à tabac, on y torture, on y tue depuis 10 ans. Depuis que cette région isolée entre fleuve et forêt est en proie à la fièvre de l’or. Là-bas, des garimpeiros, ces chercheurs d’or qui fuient la misère du Brésil, mais aussi des Surinamais, sont employés, le plus souvent clandestinement, par des patrons orpailleurs locaux, des Alukus, citoyens français descendants directs de noirs marrons (esclaves évadés des plantations de l’ex-Guyane Néerlandaise au XVIIIe siècle). Corvéables à merci, certains employés se seraient mis à braquer des sites aurifères afin de récupérer leurs salaires non réglés. En novembre 2000, trois sites sont attaqués en l’espace de douze jours. Le 23 novembre, à la suite d’échanges de coups de feu, un assaillant, un Brésilien, est tué ainsi qu’une cuisinière du site. Aidés de leur milice, certains exploitants mènent une enquête musclée. «Je travaillais sur mon site. Un homme est venu me dire qu’un patron souhaitait me voir pour un travail», se souvient Claudivan «à mon arrivée deux hommes m’attendaient avec une mitraillette et une carabine de 12 mm à répétition». Quatre Brésiliens auraient été torturés à l’époque selon le consulat du Brésil à Cayenne. Seul Claudivan a porté plainte. Quatre orpailleurs guyanais sont alors mis en examen pour séquestration, tortures et actes de barbarie. En avril 2001, Armand Moussa est arrêté et placé en détention provisoire. En mars 2002, après onze mois de fuite au village Malobi au Surinam, Michel Poïté, se constitue prisonnier. Les deux autres prévenus Roy Assansson et Soupé Poïté courent toujours. Soupé Poïté a déjà été condamné par contumace en 1999 pour viol aggravé sur une ressortissante Brésilienne. L’affaire Claudivan est requalifiée en correctionnelle fin mai 2002: «un moyen de juger plus rapidement car les assises sont rares», indique-t-on au Parquet de Cayenne.

Une bande de shérifs autoproclamés

Ce 18 juin 2002, le réquisitoire du ministère public n’en est pas moins implacable: «nous avons affaire à une bande de shérifs autoproclamés gardiens de la loi sur leur exploitation aurifère illégale», s’indigne Thierry Montfort qui souligne le paradoxe de l’exploitation sans autorisation de Michel Poïté. L’avocat général requiert huit ans ferme pour chacun des prévenus. Maître Marcault-Dérouard, l’avocat de la défense, bondit: «à Maripasoula plus grande commune de France, avec cinq gendarmes à l’époque, les patrons orpailleurs sont encouragés par les autorités à lutter contre l’immigration clandestine». L’avocat de la défense exhibe un procès verbal de gendarmerie daté de juin 2000 qui détaille l’arrestation par Michel Poïté de 45 étrangers en situation irrégulière. A l’identique, le 27 novembre 2000, les tortionnaires ont eux même livré l’infortuné Claudivan à la gendarmerie. Maître Marcault-Dérouard tente de minimiser le rôle de Moussa: «il a juste donné quelques coups de pieds». Il nie la participation de Michel Poïté aux violences: «il a fait évacuer la victime en hélicoptère du site aurifère isolé jusqu’au bourg de Maripasoula». Or Claudivan est héliporté «enchaîné» selon le témoignage du pilote et de plus à destination de la propriété de Michel Poïté. S’ensuit une journée supplémentaire de supplice confirmée par des témoins: «cigarettes écrasée sur le corps, injonction de se déplacer enchaîné, menaces de mort avec canon d’un pistolet chargé planté dans la bouche...». L’audience se déroule sous les yeux de Carlos Reis, consul du Brésil à Cayenne «le gouvernement Brésilien est très attentif à la situation de ses garimpeiros en Guyane». Orlando Fantazzini le président de la Commission nationale des droits de l’homme au Parlement de Brasilia, député PT (Parti des travailleurs) de l’Etat de Sao Paulo, n’exclut pas qu’«une commission parlementaire puisse être envoyée pour inspection d’exploitations en Guyane si la situation des employés Brésiliens ne s’y améliore pas».

La première réponse de la justice mardi 18 juin va-t-elle rassurer le Brésil ? A l’issue de cinq heures de plaidoiries, les quatre orpailleurs de Maripasoula, ont été condamnés à cinq ans de prison ferme. Ils devront aussi verser 41 000 euros de dommages et intérêts à leur victime.



par Frédéric  Farine

Article publié le 22/06/2002