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Guyane

Les sans-papiers du Maroni

Des centaines de personnes sans nationalité vivent sur la rive française du fleuve Maroni en Guyane, région restée longtemps sous statut particulier, à l'écart des effets de la départementalisation. Une opération de recensement n'a pas pris en compte leur mode de vie particulier.
Guyane, correspondance particulière

Ils vivent depuis toujours à Apatou, Grand Santi, Papaïchton, Maripasoula, communes de Guyane enclavées entre le fleuve Maroni et la forêt amazonienne à la frontière du Surinam. Ils sont Amérindiens, leurs ancêtres étaient les premiers habitants de cette région, ou descendants des esclaves marrons enfuis des plantations de Guyane néerlandaise au XVIIIe siècle. Aujourd'hui, pour certains d'entre eux, se rendre dans la sous-préfecture de Guyane est un délit. Et pour cause: ils sont sans état-civil.

Jusqu'en 1969, année de la création des premières communes du fleuve, il n'y avait pas de véritable service d'état civil dans cette région de la Guyane. A cause de l'étendue de la vallée du Maroni (500 km de fleuve) et de son isolement, en amont de Saint-Laurent il n'y a pas de voie terrestre, ses habitants, éloignés des sièges administratifs n'ont pas toujours été déclarés à la naissance. Une opération «recensement des Français sans état civil» a débuté en juin 1998 avec cette précision: «Ce recensement ne concerne que les personnes nées sur le territoire français d'un parent né en France».

Des commissions formées d'autorités coutumières et administratives ont d'abord étudié les dossiers, basés sur des témoignages, de candidats se déclarant nés du côté de la rive guyanaise et non du côté du Surinam. Fin 2000, le couperet est tombé: sur 2015 candidats, 774 ont obtenu un jugement déclaratif constatant une naissance en France ou JDN.

Le fleuve n'est pas une frontière

Léon Bertrand député-maire RPR de Saint-Laurent du Maroni s'insurge: «Il aurait fallu aussi traiter les gens nés au Surinam et établis en Guyane depuis des années. Le fleuve Maroni n'a jamais été une frontière». Pour ces populations, le fleuve est, par tradition, le centre d'un univers qui se décline de part et d'autre des deux rives. Selon Jean-François Martini, du Gisti (Groupe d'information et de soutien aux travailleurs immigrés): «En matière d'état-civil, alors que le doute devrait profiter aux personnes, celles-ci sont subitement confrontées à l'administration française, obsédée par la fraude».

Martin Jaeger, sous-préfet de Saint-Laurent, estime en revanche «qu’il faut se garder de tout angélisme, la France recèle des attraits et des fraudeurs ont profité du recensement». Parmi les «fraudeurs», dont le JDN a été annulé, figurent des natifs de la rive surinamaise. Gilbert, lycéen sans-papiers, né au Surinam alors que sa grand-mère, ses oncles et tantes sont citoyens français, explique: «Au temps de la Guyane néerlandaise, les femmes de Grand Santi, village dépourvu d'infrastructures médicales, allaient accoucher à l'hôpital de Stoelmanseiland. Ma mère est née là-bas. Même le maire».

Anne Kayanakis, procureure de la République concède une «erreur stratégique»: «Des candidats ont fait l'amalgame entre JDN et nationalité et se sont indûment déclarés nés sur le territoire national par crainte de ne jamais être régularisé. Il aurait fallu donner à ces personnes des cartes de séjour». C'était prévu. La directive de 1998 aux maires du Maroni indiquait: «Les étrangers sans titre de séjour feront l'objet d'un autre examen». Cet «examen» n'a jamais commencé.

En avril 1996, des populations amérindiennes sans état-civil des rives guyanaise et surinamaise avaient déjà été recensées en amont de Maripasoula et avaient obtenu un JDN ou, à défaut, un jugement supplétif constatant une naissance sur un territoire étranger. En 1998 on a considéré que le recensement des Amérindiens était achevé, ne prenant en compte que les descendants des noirs marrons. Cette situation entretient des contentieux communautaires. D’autant qu’on n’a pas recensé les Bushinengués natifs des rives des deux pays comme cela a été le cas pour les Amérindiens. Des associations humanitaires dénoncent «une politique d'apartheid». Et, au Parquet de Cayenne, on admet qu’il faudrait une mesure législative mieux adaptée.



par Frédéric  Farine

Article publié le 01/01/2002