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Guyane

Expulsions sans délai pour les sans-papiers

Attirés par la Guyane, nombre de candidats à l’immigration déposent des demandes d’asile dans ce département français d’Amérique. Plusieurs d’entre eux ont été expulsés sans véritable examen de leur situation et sans possibilité de recours.
De notre correspondant à Cayenne

En l’espace d’un mois, du 9 janvier au 4 février 2002, cinq ressortissants étrangers ont été arrêtés par des policiers dans les locaux de la préfecture à Cayenne. Parmi eux, quatre demandeurs d’asile. Le même scénario s’est répété à plusieurs reprises : les étrangers sont d’abord convoqués au bureau du Service des étrangers de la Préfecture pour des formalités. Peu après leur arrivée, ils se retrouvent menottés par des policiers puis placés au centre de rétention de Cayenne-Rochambeau. Ce que le procès-verbal rédigé par les policiers traduit à sa manière: «Notre patrouille a été avisée par radio de se rendre au Service des étrangers de la Préfecture, où l’on a été mis en présence de deux personnes ayant fait une demande de réfugié(…) Des déclarations du responsable du Service des étrangers, il ressort que ces personnes ne peuvent prétendre au titre de réfugié et sont donc en situation irrégulière». Or, seul l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) est habilité à accorder ou refuser le statut de réfugié politique.

Pour l’avocat d’un couple de Péruviens victime de cette situation, c’est une sorte de guet-apens qui a été tendu à ses clients. «Il y a eu préméditation», affirme Maître Kerhousse qui a alerté la Ligue des droits de l’Homme le 8 février. Un magistrat de Cayenne, trois fois saisi, vient d’épingler à trois reprises ces pratiques illégales de l’administration. Concernant le couple de Péruviens, le juge Anne-Françoise Tissier a considéré que «tenter de reconduire à la frontière des demandeurs d’asile est gravement contraire à la Convention de Genève à laquelle la France est tenue». Dans un autre cas, les attendus du jugement font état «qu’il résulte de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’Homme que toute personne doit bénéficier d’un recours effectif et efficace devant un juge». Le magistrat a ordonné à chaque fois la remise en liberté des étrangers placés au centre de rétention. En revanche, les deux autres personnes interpellées dans les locaux de la préfecture, un demandeur d’asile haïtien et un candidat à une carte de séjour de plein droit (arrivé légalement en Guyane au titre du regroupement familial à l’âge de 15 ans) ont été expulsées par avion, le lendemain de leur arrestation sans avoir eu la possibilité d’introduire le moindre recours.

Une attitude contraire à la Convention de Genève

Les dérives de l’administration ne se limitent pas aux demandeurs d’asile. Le 5 février dernier, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a en effet annulé un arrêté préfectoral ainsi qu’un jugement du tribunal administratif de Cayenne ayant habillé d’apparente légalité, la reconduite à la frontière, le 30 juillet 1998, d’Omar Atherly, un ressortissant du Guyana scolarisé en Guyane et de mère française. Selon le jugement «M. Atherly est arrivé en France (NDLR en Guyane) en 1983 à 12 ans pour rejoindre sa mère qui a été naturalisée française en 1994. Il y a été scolarisé jusqu’en 1988 et y a suivi un stage de formation professionnelle(…) Le préfet a porté au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée». La Cour a enjoint l’administration de lui délivrer sa carte de séjour de plein droit. Enfin, presque 4 ans après l’expulsion, le jugement a été envoyé à la mère de M.Atherly en Guyane où ce dernier était revenu clandestinement par ses propres moyens.

Ces pratiques condamnables de l’administration sont encouragées par les lois d’exception qui régissent la Guyane en matière de droit des étrangers. Dans ce département d’outre-mer, une fois interpellé, un sans-papier ne peut déposer un recours «suspensif» contre l’arrêté de reconduite à la frontière comme c’est le cas dans l’Hexagone. «S’il y a un doute, on se penche sur les dossiers», assure cependant Patrick Espagnol, le directeur de cabinet du préfet. «Si on trouve un avion dans les 48 heures, on les embarque», affirme au contraire un policier de Cayenne. «Moins de 10% des étrangers arrêtés en situation irrégulière nous sont présentés», estime le juge Stéphane Rémy. «Des familles établies depuis plus de 10 ans en Guyane ont été séparées» explique Joseph Fritznel Toussaint, responsable d’une association d’Haïtiens de Guyane. Maître Kerhousse a, lui, répertorié «25 dossiers anormaux du type de celui d’Omar Atherly».

En matière de titre de séjour, la législation «guyanaise» a aussi l’effet d’un couperet. Ailleurs qu’en Guyane et à Saint-Martin, lorsque le préfet envisage de refuser l’octroi d’un titre, il doit saisir une commission composée du président du Tribunal administratif, d’un magistrat et d’une personnalité qualifiée en matière sociale. En Guyane cette loi n’est pas applicable, ce qui confère au préfet, un pouvoir absolu en matière de refus des titres.

Face à cette situation, le 20 février, un collectif de 6 avocats intervenant en matière de droit des étrangers a sollicité une audience du préfet Henri Masse. Un mois après, leur demande n’a toujours pas abouti. Toutefois, la préfecture commence à réagir à la médiatisation locale des arrestations arbitraires. Lundi 25 mars, un Haïtien, marié, père de 2 enfants dont un né en Guyane a été libéré du centre de rétention sur une décision du préfet. «On lui a même promis une carte de séjour vie privée et familiale. Ce serait une première, avant l’administration occultait ce droit», remarque maître Kerhousse.

Pour 2001, la préfecture comptabilise 961 régularisations sur une population estimée entre «30 et 50 000 étrangers en situation irrégulière». D’une trentaine en 1999, les demandes d’asile sont passées à plus de 600 en 2001. En 2001, sur 339 dossiers de demandeurs d’asiles instruits par l’Ofpra, 338 ont été rejetés.

Finalement, si souvent victimes de leurs démarches administratives, à l’intérieur d’une Guyane aux frontières fluviales très perméables, les sans-papiers en sont réduits à nourrir le juteux marché du travail clandestin. Paulinho Da Rocha, Brésilien, irrégulier depuis 20 ans, a conservé des photos qui l’immortalisent bâtissant les écoles et la douane de Saint-Georges de l’Oyapock, à la frontière du Brésil. Jean-Pierre Alaux du Gisti (Groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés), lui, se souvient d’une mission fin 1995 : «Le préfet de l’époque rigolait en nous disant que les premiers incarcérés au centre pénitentiaire de Rémire étaient ceux qui l’avaient construit: c’étaient des étrangers en situation irrégulière.»



par Frédéric  Farine

Article publié le 28/03/2002