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Inde

Un déficit de 10 millions de femmes

Les préjugés contre les femmes et la préférence pour les enfants de sexe masculin, sont la cause en Inde d'avortements sélectifs.(Photo : AFP)
Les préjugés contre les femmes et la préférence pour les enfants de sexe masculin, sont la cause en Inde d'avortements sélectifs.
(Photo : AFP)
Un déficit de naissances féminines est repérable dans toutes les familles de toutes les religions et presque tous les Etats indiens : la revue médicale britannique Lancet publie un rapport fondé sur une enquête auprès de 1,1 million de foyers en 1998. L’amniocentèse, davantage pratiquée pour déterminer les sexe du fœtus que pour déceler des pathologies du bébé, favoriserait les avortements sélectifs : les estimations portent à 10 millions le nombre de filles qui ne sont pas nées dans ce pays.

L'Inde manquera-t-elle de filles ? Des chercheurs de l'université de Toronto et de Shandigahr ont publié dans le journal Lancet du 9 janvier, une étude qui met en évidence un sex-ratio défavorable au genre féminin. Ils ont  étudié les déclarations de 133 738 naissances en 1997, et analysé les données d’une enquête nationale menée auprès d’1,1 million de foyers en 1998. Alors que le ratio « normal » établi par les démographes est de l’ordre de 105 garçons pour 100 filles, l’écart serait, dans le sous-contient indien, de 759 filles pour 1 000 garçons pour la deuxième naissance, et de 710 filles pour 1 000 garçons pour la troisième naissance. Un des auteurs de l’étude - Prabhat Jha, de l’hôpital Saint-Michael de l’université de Toronto (Canada)- explique ce dernier écart par la diffusion des diagnostics pré-nataux, permettant le recours à l’avortement sélectif quand une fille est annoncée.

En octobre 2004, un rapport de l’OCDE situait l’Inde, avec une population supérieure à un milliard, seconde derrière la Chine, et affirmait que la situation de la femme y était « de loin moins satisfaisante qu’en Chine, avec 500 millions de femmes qui souffrent de discriminations dans de nombreux domaines (…) soumises à un statut très inégalitaire par rapport aux hommes ». En octobre dernier, un rapport de l’ONU annonçait que l’Inde serait « le pays le plus peuplé du monde en 2030 », et soulignait que l’explosion démographique (la population du sous-continent augmente de 18 millions par an), autrefois considérée comme une chance -notamment pour les paysans- était aujourd’hui considérée comme un handicap par les autorités indiennes, dans un pays qui s’urbanise. A ce déséquilibre de répartition villes/campagnes s’ajoute, selon l’étude parue dans The Lancet, le déséquilibre du ratio garçons/ filles.

Un rapport de l’OCDE affirmait déjà en octobre 2004 que si « l’infanticide a été interdit en 1870, [mais] celui-ci est toujours pratiqué ; il est même possible que le nombre de filles ainsi tuées augmente, et les couples pratiquent de plus en plus l’amniocentèse pour supprimer le fœtus s’il s’agit d’une fille. » Shirish S. Sheth, chercheur au Breach Candy Hospital de Bombay, commente : « L'infanticide féminin du passé s'est affiné ; il est devenu une technique aiguisée sous ces nouveaux atours » : certes l’interruption de grossesse (IVG) discriminatoire est reconnue « crime contre l’humanité » par l’ensemble des sociétés d’obstétrique et de gynécologie mais la loi de 1994, qui interdit la pratique de l’amniocentèse en vue d’une IVG, est largement « ignorée ».

La religion ne serait pas le facteur discriminant

Selon le rapport 2004 de l’OCDE: « si l’Inde est un des pays qui a fait le plus de lois pour les femmes, c’est celui où l’écart entre la loi et la réalité est le plus grand. (…). Cette résistance s’explique par la religion : nulle part ailleurs au monde la religion domine et détermine la vie d’une femme autant que l’hindouisme en Inde ». Pour les chercheurs canadiens, la religion ne serait pourtant pas le facteur discriminant : le déficit de naissances féminines est repérable dans les familles de toutes les religions et de presque tous les Etats indiens. En revanche, il apparaît qu’il augmente avec le niveau socioculturel de la mère : le ratio est deux fois plus élevé en zone urbaine, où l'échographie est davantage pratiquée, et le nombre de deuxième enfant de sexe masculin est deux fois plus élevé dans les milieux « éduqués » plutôt que chez les illettrés.Les coutumes sont encore plus fortes que les lois : dans la culture indienne, le garçon est préféré parce qu'il transmet le nom, peut gagner de l'argent et s'occuper de ses parents âgés tandis que la fille est destinée à quitter sa famille et doit être dotée pour le mariage, ce qui représente un coût important. « Pourquoi es-tu venue au monde, ma fille, quand un garçon je voulais ? Vas donc à la mer remplir ton seau : puisses-tu y tomber et t'y noyer », dit une chanson populaire de l'Inde, où la venue au monde d’une petite fille est encore considérée comme une malédiction.  


par Dominique  Raizon

Article publié le 09/01/2006 Dernière mise à jour le 09/01/2006 à 18:37 TU