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Institut du monde arabe

Panorama de la photographie arabe contemporaine

Untitled II, 1996 © Jananne Al-Ani
Untitled II, 1996 © Jananne Al-Ani
L’Institut du monde arabe (Paris) invite quelque 21 photographes arabes à exposer leurs regards sur le monde arabe contemporain. Certains appartiennent à la diaspora, d’autres vivent dans leur pays d’attache, et « tous sont indéfectiblement liés à leurs origines », comme le souligne la commissaire de l’exposition, Mona Khazindar. Selon qu’il s’agit de photographies de reportage, ou de photographies élaborée en studio, les types de travaux diffèrent : certaines photos sont graves, d’autres traduisent davantage une exploration technique, et une créativité joyeuse et fantaisiste.
Silent Words © Karima Shomali. Ahmed in Djellabah, New York, 2004 © Youssef Nabil.
Silent Words © Karima Shomali. Ahmed in Djellabah, New York, 2004 © Youssef Nabil.

Rien, a priori, ne relie telle ou telle photo en noir et blanc de Karima Shomali (des Emirats arabes unis) qui privilégie les portraits -des hommes, des femmes ou leurs ombres- largement bâillonnés d’un trait blanc, et les photos de Youssef Nabil (Egypte) qui utilise la technique de colorisation à partir du noir et blanc pour mettre en scène, à la manière des romans-photos, de jeunes hommes tendrement enlacés. Dans les deux univers cependant, la photographie supplée les mots et dénonce tout interdit, interdit de dire et interdit de faire. Si dans Silent words Karima Shomali s’arrête sur les souffrances et les non-dits qu’abritent des visages muets comme des masques, Youssef Nabil colore en rose les tissus dans lesquels se nouent des histoires intimes qui restent tabous.

(De G à D) Lina le jour de son mariage, Hôtel Intercontinental, Le Caire, 2000 © Jihan Ammar. Présence, 2005 © Nadim Asfar.
(De G à D) Lina le jour de son mariage, Hôtel Intercontinental, Le Caire, 2000 © Jihan Ammar. Présence, 2005 © Nadim Asfar. "Untitled #4" A.K.A "The War Photo No One Wanted To See" © Yasmina Bouziane.

Du Maghreb à l’Irak, en passant par l’Egypte, le Liban, les Emirats arabes unis, tout le monde arabe est représenté dans l’exposition -à l’intitulé très généraliste : Regards des photographes arabes contemporains. De facto, les travaux exposés à l’Institut du monde arabe sont extrêmement variés, ne serait-ce qu’à travers les techniques utilisées par les 21 photographes : argentique ou numérique, vidéo ou diaporama, ou bien encore collages ou projection du cliché sur toile. Il s’agissait, pour le commissaire de l’exposition, d’offrir un regard dégagé de la tradition ethnocentriste remontant au XIXe siècle. « La plupart des photographies que nous voyons sur le monde arabe sont le fait de photographes occidentaux qui travaillent dans le cadre de reportages pour des magazines d’actualité ou de tourisme. Nous voulions offrir au public le regard de photographes arabes contemporains sur leur propre société », explique Mona Khazindar, chargée d’expositions et de collections à l’IMA.

Loin des clichés exotiques et orientalistes

Plus attirée par l’imaginaire que par la narration documentaire, Lara Baladi (Née à Beyrouth, et vivant au Caire) pratique la photocomposition à partir de collages gais, vifs et colorés. Elle nous livre son Paradis arabe : au centre d’une grande fresque kitsch, elle mélange avec fantaisie, sur fond de tapisserie à fleurettes et de gazon vert pomme, des bribes de souvenirs liés à ses innombrables voyages à travers le monde. Une commode Louis XV voisine une console chinoise, un tigre du Bengale semble sorti d’une toile du Douanier Rousseau pour aller se percher dans un arbre, tandis que, dans un coin, deux petits chérubins représentant Adam et Eve se regardent, narquois, reliés entre eux par une prise électrique. Exploitant, à l’opposé, les contrastes bruts du noir et blanc, Susan Hefuna (Egypte) prend appui sur le thème des moucharabiehs pour explorer, quant à elle, les notions de clivage intérieur/extérieur afin de traduire, avec plus de gravité, « la communication et l’isolement, le débat et le rejet », comme l’explique l’auteur dans le catalogue qui accompagne l'exposition (éditions Institut du monde arabe).

Paradis (détail d’un collage), Dubaï, 2005 © Lara Baladi (G). Cairo 1421, 2000 © Susan Hefuna.
Paradis (détail d’un collage), Dubaï, 2005 © Lara Baladi (G). Cairo 1421, 2000 © Susan Hefuna.

Dans Memory of memories de Anas Al-Shaikh (Barheïn), une photo de chars -qui évoque aussi bien l’invasion de l’Irak par le Koweit que la première guerre du Golfe- est encadrée par une autre photo, celle d'un groupe d’enfants aux larges sourires. Avec Domestic tourism (2005), Maha Maamoun (Egypte) pose un regard chargé d’humour sur la manière dont les agences de voyage vendent les destinations touristiques : derrière un felouque, symbole des croisières sur le Nil, le président égyptien Moubarak, auréolé d’un grand soleil salue comme s’il souhaitait la « bienvenue » : l’ensemble confère à la composition un air de bande dessinée, un rien amusé et moqueur. Egalement ironique, tour à tour nue-pieds, en baskets ou en escarpins, Yasmina Bouziane (Maroc) se met quant à elle en scène dans ses propres photos, et s’amuse à  tourner en dérision les stéréotypes coloniaux sur la représentation de la femme arabe et les clichés orientalistes. Une chose est certaine, les regards de tous ces photographes contemporains prennent des distances par rapport au folklore, et nous éloignent des traditionnels chameaux, dunes et palmeraies.


par Dominique  Raizon

Article publié le 13/01/2006 Dernière mise à jour le 14/01/2006 à 15:06 TU

Pour en savoir plus:

http://www.imarabe.org/.