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Côte d'Ivoire

Bras de fer international

A Abidjan, les manifestants ont attaqué à plusieurs reprises le siège de l'Onuci.(Photo : AFP)
A Abidjan, les manifestants ont attaqué à plusieurs reprises le siège de l'Onuci.
(Photo : AFP)

En se prononçant dimanche contre la prolongation des mandats parlementaires échus le 16 décembre dernier, le Groupe de travail international (GTI) a mis le feu aux poudres présidentielles. Mardi, alors que le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, condamnait, comme une «violence orchestrée», les manifestations qui ont gagné l’Ouest du pays, le parti présidentiel, le Front populaire ivoirien (FPI) dénonçait la dissolution de l’Assemblée nationale comme un coup d’Etat international et annonçait son retrait du gouvernement Konan Banny. Réclamant «la mise en place d'un gouvernement de libération nationale», le FPI demandait aussi au président Gbagbo «d’entreprendre toutes les démarches nécessaires afin que le pays soit débarrassé de l'occupation étrangère», en l’occurrence les quelque 7 000 casques bleus et 4 000 soldats français.


Les manifestations commencées dès lundi dans la capitale économique ivoirienne se poursuivaient mercredi. Mardi, elles se sont transformées, à l’Ouest du pays, en affrontements sanglants avec les casques bleus, Abidjan restait paralysée et l’Onu dénonçait plusieurs assauts lancés contre son siège par des manifestants armés et équipés de chiffons enflammés. Dans l’Ouest du pays, plusieurs camps de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) auraient été visés, à Daloa et à Guiglo où, de source militaire gouvernementale, trois Ivoiriens seraient morts aux abords d’un camp de soldats du Bengladesh. Ces derniers étaient assiégés par une foule venue stigmatiser les ingérences onusiennes dans lesquelles une partie de l’opinion ivoirienne voit la main de Paris.

Le ton monte à l’encontre de l’Onu, depuis que le GTI a «recommandé» comme il le dit aujourd’hui –, sinon «déclaré» la dissolution de l’Assemblée nationale – comme chacun avait cru le comprendre dimanche. La ministre française de la Défense, Michèle Alliot-Marie dénonce une «désinformation» en disant que le GTI n’a rien fait d’autre que de constater la fin du mandat des députés. Toujours est-il que la rupture paraît consommée avec le parti présidentiel. En tout cas, avec le retrait de ses 7 ministres (sur 32), le FPI entend visiblement paralyser le gouvernement de Charles Konan Banny, comme l’ont fait de leur côté les ex-rebelles des Forces nouvelles(FN) à chaque fois que l’heure du désarmement semblait devoir sonner.

Le FPI se retire du gouvernement

Dans un communiqué, rendu public mardi soir et signé de son président, l’ancien Premier ministre Pascal Affi N'Guessan, le FPI dénie toute légitimité au GTI et met en doute la volonté onusienne d’aider la Côte d’Ivoire à sortir de la guerre, «à la demande des autorités ivoiriennes», rappelle-t-il. Le FPI soupçonne même le GTI et l’Onuci d’être «devenus des instruments de la France pour la déstabilisation et la recolonisation de la Côte d’Ivoire». Accusant Charles Konan Banny d’avoir suggéré l’idée de la dissolution par «connivence avec la rébellion» des Forces nouvelles et avec le Rassemblement des républicains (RDR) de l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara, le FPI «décide de mettre fin à sa collaboration et à son appui à toute entité mise en place dans ce cadre, notamment au gouvernement» de réconciliation nationale formé fin décembre.

Le FPI se propose de jouer les francs-tireurs, avec la formation d’un «gouvernement de libération nationale» et invite le président Gbagbo à «engager sur des bases «autonomes et autochtones le processus de paix et de réconciliation nationale». Enfin, il «demande au Conseil de sécurité de l'Onu et au secrétaire général de prendre acte de la volonté du peuple ivoirien de refuser la négation de sa souveraineté et de mettre en conséquence fin à la mission de l'Onuci et de la force Licorne».  

Déclarant la décision du GTI nulle et non avenue, le FPI «invite le Parlement ivoirien à se réunir de plein droit conformément à l'avis du Conseil constitutionnel» rendu le 16 décembre dernier. Dans cette affaire, le FPI n’est pas le seul à estimer que la dissolution n’est «pas conforme à la résolution 1633 du Conseil de sécurité de l'ONU» qui demandait, en octobre dernier, au GTI de «faire en sorte que les institutions de Côte d’Ivoire fonctionnent normalement jusqu’aux élections» d’octobre 2006. Le principal parti de l'opposition parlementaire, le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), partage pleinement cette opinion même s’il s’inquiète de la manière présidentielle de la défendre dans la rue.

Le PDCI s'inquiète, le RDR et les FN applaudissent

Le jeu des obédiences affichées, occultées ou sujettes à retournement étant ce qu’il est de tradition qu’elles soient dans un Parlement, le PDCI (96 sièges de députés sur 223) et le FPI (98) font quand même à peu près jeu égal dans l’Assemblée nationale issue des élections de décembre 2000, à côté de l’UDPCI de feu le général Robert Gueï (14) et d’une poignée de micro-partis. A défaut de territoire parlementaire à défendre, il resterait un espace ministériel au PDCI d’Henri Konan Bédié. Mais si Charles Konan Banny est issu de ses rangs, son avènement comme Premier ministre de la transition a provoqué moult remous dans l’ancien parti unique, déjà affaibli par la scission du RDR à la fin des années quatre-vingt-dix et l’éloignement de ténors depuis 2002. Après avoir présidé aux destinées du pays pendant des décennies avec Félix Houphouet-Boigny, le PDCI entend réfléchir à deux fois avant d’accepter de ramener ses positions au niveau des nouveaux-venus du RDR et des Forces nouvelles.

Le RDR était opposé à la reconduction d’une Assemblée dans laquelle il n’avait pas sa place et, sur leur site internet, les Forces nouvelles applaudissent la décision du GTI et «apportent leur soutien total au Premier ministre Charles Konan Banny». Elles demandent aussi «à l’Onu, à l’Union africaine et à la Cedeao de faire montre de la plus grande fermeté à l’endroit des auteurs et commanditaires, militants du FPI, et de s’opposer par tous les moyens à cette nouvelle déstabilisation projetée par la frange partisane de l’armée». Suspectant un «projet de prise du pouvoir à Abidjan» et justifiant par avance une éventuelle intervention militaire de leur part, les FN assurent que les Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) sont «fortement» divisées. «A Bouaké», explique l’ancienne rébellion, «les Forces nouvelles attendent les ordres pour traverser la zone de confiance et venir prêter mains-fortes à leurs frères d’armes» qui se refuseraient à «aider le parti de Laurent Gbagbo».

L'Onu, la Cedeao et la France condamnent

Au vu de la dégradation rapide de la situation, le Conseil de sécurité a tenu mardi soir des consultations impromptues sur la Côte d'Ivoire. Ses experts doivent se revoir. Mais, d’ores et déjà, l’Onu fustige le régime Gbagbo accusé de manipuler les manifestants et de «créer une atmosphère de menace pour tous les personnels internationaux qui sont venus en Côte d'Ivoire pour aider, ce qui est inacceptable». Dépêché mardi auprès de Laurent Gbagbo, le représentant spécial en Côte d'Ivoire du secrétaire général, Pierre Schori, a semblé sortir de l’entrevue plutôt échaudé. Il va en référer à Kofi Annan qui «condamne la passivité de certaines autorités nationales… et demande la cessation immédiate de ces attaques qui enfreignent la loi ivoirienne [interdisant les manifestations] et mettent sérieusement en péril le processus de paix tel qu’établi par l’Union africaine et le Conseil de sécurité». 

Au passage, Kofi Annan ressort des tiroirs onusiens la menace de sanctions personnalisées lancée en novembre 2004. Il «rappelle, à tous les dirigeants ivoiriens, qu’ils sont individuellement responsables des actes de violences commis par leurs partisans et de la bonne marche du processus de paix». De son côté, le chef d'état-major des armées françaises, le général Henri Bentegeat, «pense qu'aujourd'hui, le moment est venu» d’appliquer ces sanctions. En attendant, la ministre française de la Défense, Michèle Alliot-Marie, juge «indispensable que tout ceci se calme et que les décisions internationales soient mises en œuvre». Mercredi, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) leur a apporté son renfort.

Pendant qu’Abidjan poursuivait son bras de fer international, à Londres, la spéculation sur les cours du cacao – à la hausse – bat son plein. Charles Konan Banny est à l’épreuve. Le décompte des victimes civiles a commencé.

  


par Monique  Mas

Article publié le 18/01/2006 Dernière mise à jour le 18/01/2006 à 17:59 TU

Audio

Jean-Marie Guehenno

Chargé des opérations de maintien de la paix à l'ONU. Il revient sur la crise politique ivoirienne.

«Je crois qu’en ce moment, on est un peu au bord du gouffre en Côte d’Ivoire; on est dans une situation très dangereuse. (…) L’avenir de ce pays ne peut se faire dans la violence ni dans la rue»

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Ali Coulibaly

Porte-Parole du RDR

«Rien ne justifie la prolongation...»

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Alphonse Djedje Mady

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«Nous avons demandé la prorogation du mandat des députés mais avec des attributions spécifiques.»

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Michèle Alliot-Marie

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«C'est de la désinformation : le GTI n'a fait que constater une réalité juridique.»

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