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Portugal

Les indécis détiennent la clef du scrutin

Les deux candidats des socialistes : Mario Soares (gauche), premier président civil du pays, et Manuel Alegre, le vice-président de l’Assemblée.(Photos : AFP)
Les deux candidats des socialistes : Mario Soares (gauche), premier président civil du pays, et Manuel Alegre, le vice-président de l’Assemblée.
(Photos : AFP)

Pour la première fois, les socialistes présentent deux candidats. Mario Soares, plusieurs fois ministre et premier président civil du pays en mars 1986, est présenté par le Parti socialiste (PS), dont il est le fondateur. Mais le vice-président de l’Assemblée, le député socialiste Manuel Alegre se présente lui-aussi, en «candidat indépendant». Au total, la gauche part en ordre dispersé au premier tour de la présidentielle de dimanche, avec cinq candidats, face au candidat unique de la droite, l’ancien Premier ministre, Anibal Cavaco Silva.


De notre correspondante à Lisbonne

Le bruit assourdissant des bombos (tambours) envahit les rues étroites des centres urbains, les vendeuses de poissons se pressent, les hommes en casquettes agitent des drapeaux: les campagnes électorales au Portugal ont conservé un aspect provincial réjouissant. A cet art à l’ancienne mode de battre le rappel, Mario Soares excelle. A 81 ans, le père de la démocratie portugaise, qui a été président par deux fois (1986-1996) brigue un troisième mandat. Sa candidature a été une surprise, mais ce briscard de la politique explique que son pays a besoin de lui.

Mario Soares, qui a le soutien du parti socialiste, au pouvoir depuis février 2005, ne semble pas avoir fait le plein des voix à gauche, avec entre 15 et 16,9% des intentions de vote dans les derniers sondages. Mais, outre le candidat communiste et deux candidats d’extrême gauche, Soares doit se battre aussi dans son propre camp, contre Manuel Alegre, le «député poète», qui mène une campagne dissidente. Ce dernier apparaît comme le seul véritable candidat indépendant de l’élection. Il est crédité de 19% des voix dans les sondages. En cas de second tour, il pourrait bien damer le pion de Mario Soares et affronter le candidat unique de la droite, Anibal Cavaco Silva.

Cavaco Silva est un économiste de renom. On lui attribue le redressement spectaculaire de son pays - 4 % de croissance annuelle -, entre 1985 et 1995, où, comme Premier ministre, il avait introduit le modèle libéral dans la société portugaise. Depuis dix ans qu’il est retourné à l’enseignement de l’économie à l’université, «o professor Cavaco» a retrouvé une sorte de virginité politique, loin des contingences partisanes, même s’il a le soutien du Parti social démocrate (PSD) et du Parti populaire démocrate chrétien,(CDS). Crédité depuis presque trois mois d’une victoire écrasante (60 % des voix), une lente mais constante érosion au long de la campagne électorale l’a ramené, à la veille du scrutin, à quelque 52%-53% des intentions de vote. La gauche cependant espère encore mobiliser les 10% d’indécis qui détiennent la clef du scrutin de dimanche.

Entre discours messianique et difficultés économiques

Les Portugais sont appelés aux urnes pour la troisième fois en un an, après les législatives de février 2005 et les municipales d’octobre dernier. Ils ont aussi échappé à deux référendums, l’un sur l’avortement et l’autre sur la constitution européenne. Pour sa part, le scrutin de dimanche s’inscrit dans le contexte du régime semi-présidentiel en vigueur au Portugal. En effet, le chef de l’Etat a surtout une fonction symbolique. Il est toutefois le garant des institutions et peut dissoudre l’Assemblée. 

«Cavaco Silva n’est pas Thatcher. Il se présente comme un candidat de centre-droit et il a su composer pour séduire l’électorat de centre-gauche», explique Antonio Pinto Costa, professeur d’histoire et de science politique à l’Institut des sciences sociales de Lisbonne. Anibal cavaco Silva n’a pas hésité a reprendre à son compte les slogans de la révolution des Œillets: «c’est le peuple qui ordonne» ou «fils d’avril», allant même se faire remettre les clefs de la petite ville de Grandola, dont le nom sert de titre à la chanson de José Afonso qui a donné le coup d’envoi du mouvement des capitaines d’Avril pour restaurer la démocratie. Cavaco se présente aussi comme le redresseur de l’économie du pays.

Le Portugal traverse en effet de graves difficultés. Le déficit public atteint 6,5% du PIB, la croissance ne dépasse pas les 1%, le chômage a doublé en trois ans et touche 7,5% de la population active, la fracture sociale s’est aggravée, la misère et son corollaire, l’émigration, sont à nouveau à l’ordre du jour. L’ancien «bon élève de l’Europe» semble redevenir un cancre. Le gouvernement socialiste au pouvoir depuis moins d’un an a mis en place une politique d’austérité très ferme. Mais le mécontentement général et l’épuisement psychologique des Portugais sont tels que le vote de dimanche pourrait bien prendre la forme d’une sanction contre la gauche.

Le discours «messianique» de Cavaco Silva s’est révélé à double tranchant et il a dû le nuancer pour ne pas accréditer la thèse d’un changement de régime renforçant les pouvoirs du président. «Cavaco n’a pas l’intention de déstabiliser le pays. Du moins pas maintenant, car ce n’est pas un, mais deux mandats présidentiels qu’il vise», affirme Antonio Teixeira, directeur du journal Diario de Noticias. Au contraire de Mario Soares, qui, durant ses deux présidences successives, a représenté le Portugal à l’extérieur, Cavaco Silva est relativement peu connu hors des frontières de son pays. Il a peu abordé la question de l’Europe et évité de se prononcer sur la politique étrangère. Pourtant, fragilisé et au bord de la récession, le Portugal a besoin de soutien afin, notamment, de ne pas perdre la position d’observateur privilégié qu’il occupe face aux pays africains de langue portugaise et face au Brésil.


par Marie-Line  Darcy

Article publié le 21/01/2006 Dernière mise à jour le 21/01/2006 à 13:50 TU