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Union africaine

Le sommet des occasions manquées

Le président congolais Denis Sassou Nguesso a prononcé son premier discours en tant que président de l'Union africaine, lors de la cloture du sommet à Khartoum le 24 janvier 2006.(Photo : AFP)
Le président congolais Denis Sassou Nguesso a prononcé son premier discours en tant que président de l'Union africaine, lors de la cloture du sommet à Khartoum le 24 janvier 2006.
(Photo : AFP)
La 6e rencontre des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine (UA) a été officiellement refermée hier par le nouveau président en exercice de l’organisation, Denis Sassou Nguesso. Le président congolais obtient cette présidence grâce à un accord difficilement élaboré et qui ne mécontente personne. L’esprit de consensus qui régnait déjà du temps de l’OUA a, une nouvelle fois, prévalu. L’organisation a peut-être raté l’occasion de prendre un tournant historique, de même qu’elle a choisi de se donner du temps avant de trancher le cas Hissène Habré.

De notre envoyé spécial à Khartoum

C’est le scénario type d’un accouchement difficile, à la nuit tombée, avec des diplomates qui continuent à aller et venir, des ministres inquiets ou énervés. Le choix de Denis Sassou Nguesso à la présidence de l’UA a demandé un long travail. Une naissance dans la douleur. En plus des consultations qui avaient précédé le sommet, il aura fallu une journée complète de huis clos, puis le travail d’un petit groupe de chefs d’Etat, jusque tard dans la nuit du 23 au 24 janvier. Et puis finalement, un marché a convaincu le Soudan de retirer sa candidature. Khartoum n’obtient pas la présidence de l’UA dès cette année, mais le Soudan devrait la prendre en 2007.

La candidature d’al-Bachir renvoyée à 2007

A deux reprises, les décisions et déclarations de la conférence le disent en toutes lettres:  Les dirigeants sont convenus, après d’intenses consultations, que le Soudan assurera la présidence de l’Union en 2007». D’ailleurs , «une déclaration sera faite par la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement pour exprimer sa reconnaissance et sa gratitude au peuple et au gouvernement du Soudan pour les efforts déployés et pour leur présenter ses félicitations pour l’élection du Soudan comme président de l’Union africaine au titre de 2007».

La décision a-t-elle été assortie de conditions ou bien le Soudan prendra-t-il automatiquement la présidence, quoi qu’il arrive au Darfour ? Le président Sassou Nguesso assure qu’il n’y a pas de condition. «Nous n’aimons pas les conditionnalités, ici, en Afrique» lâche, rieur, un ministre. D’autres, comme le président Wade assurent que ce n’est pas un blanc-seing qui a été remis aux Soudanais et qu’il faudra, l’année prochaine faire les preuves que les problèmes intérieurs n’empêchent pas le Soudan d’accéder à la présidence.

La formule de sortie de crise mise au point dans la nuit du lundi 23 janvier permet de sauver les apparences. «L’unité du continent a été préservée, c’est une vraie victoire», estimait le lendemain matin un délégué au sommet. Mais cette formule de sortie de crise perpétue le principe du consensus appliqué depuis l’OUA. Satisfaire tout le monde. Eviter la confrontation. Masquer autant que faire se peut les divergences. L’UA a sans doute raté là une occasion de montrer qu’elle savait dire non à l’un de ses Etats membres. Le Soudan, pourtant très contesté en petit comité, obtient un demi-succès. Il aura la présidence en 2007, sans condition explicite. Refuser une fois encore son accession à la tête de l’organisation lors du sommet d’Addis Abeba en janvier 2007 sera très difficile, au vu de l’obstination dont ont déjà fait preuve les Soudanais lors de ce sommet de Khartoum.

Un comité pour clarifier la procédure

Les difficultés à donner un nouveau président à l’UA ont en tout cas mis en lumière la nécessité de clarifier la procédure de désignation. «Un comité sera créé pour examiner la question relative à l’application du principe de la rotation pour les années à venir, conformément aux dispositions de l’acte constitutif de l’Union africaine», précise une recommandation adoptée par le sommet. Ce début de formalisation juridique autour de la fonction présidentielle pourrait la renforcer. Il pourrait contribuer un peu plus au glissement de pouvoir de la Commission aux Etats membres, contrairement à l’esprit des textes fondateurs de l’UA. Cette évolution dépendra pour beaucoup des relations que Denis Sassous Nguesso, nouveau président de l’Union entretiendra avec Alpha Oumar Konaré, l’actuel président de la Commission, mais aussi de la façon dont les deux hommes se répartiront les dossiers.

Le bras de fer entre les institutions panafricaines et certains de leurs Etats membres a trouvé une illustration particulièrement forte ici, à Khartoum, lors du conseil exécutif, la réunion des ministres des Affaires étrangères. Plusieurs pays ont été agacés par les résolutions de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples les concernant. Parmi eux, l’Erythrée, l’Ethiopie, le Soudan, l’Ouganda et le Zimbabwe dont les représentants ont demandé que ces résolutions ne soient pas rendues publiques.   

Quasi-écrasé par la question de la présidence, ce sommet a toutefois pu adopter, au pas de charge, une série de résolutions. Dans une indifférence quasi générale, les chefs d’Etat ont tout d’abord validé la liste des juges de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples élus par le conseil exécutif. Une étape importante dans la mise en place concrète de cette cour, dans laquelle les organisations de défense des droits de l’Homme placent de nombreux espoirs. «A la différence de la Commission africaine des droits de l’Homme qui ne fait qu’émettre des recommandations, la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples pourra rendre des décisions immédiatement applicables par les Etats», explique notamment Ibrahima Kane, de l’ONG Interights.

«Six juges, sur les onze choisis, sont vraiment qualifiés en matière de défense des droits de l’Homme. La crainte était d’avoir des magistrats qui n’aient aucune compétence sur ces questions. Or, cette fournée de juges est, à-priori, capable de jeter les bases d’une vraie cour africaine», ajoute Ibrahima Kane. Il reste encore à trouver un siège à cette cour. Maurice est candidate.

L’UA refuse d’extrader Hissène Habré en Belgique

Les chefs d’Etat et de gouvernement africains ont aussi décidé de se donner du temps avant de trancher le cas d’Hissene Habré, l’ancien président tchadien. Ils ont décidé de mettre en place «un comité d’éminents juristes africains qui seront désignés par le président de l’Union africaine en consultation avec le président de la commission de l’Union africaine». Ce comité devra examiner tous les aspects et toutes les implications d’un procès d’Hissene Habré, ainsi que les options disponibles pour son jugement. Le sommet lui a fixé quelques directions de travail : rejet total de l’impunité, procès équitable, efficacité en termes de coûts et de temps. Les chefs d’Etat et de gouvernement demandent au comité de «privilégier un mécanisme africain». Sous-entendu: éviter l’extradition vers la Belgique. Ce comité devra soumettre un rapport lors du sommet de Banjul en juin 2006. 

La Libye avait, comme à son habitude avancé plusieurs propositions sur l’agenda : création d’un drapeau de l’UA différent de celui de l’OUA, création d’une bourse panafricaine des valeurs dont le siège serait en Egypte ou en Afrique du Sud, création d’un fonds pour alléger les effets de l’augmentation du prix du pétrole sur certains pays africains… Ces projets ont été examinés, mais aucune décision n’a été prise. Leur faisabilité doit encore être étudiée…

Au chapitre des questions d’actualité, le sommet «invite la communauté internationale et en particulier les institutions compétentes des Nations unies à apporter le maximum de soutien et d’assistance» aux pays de l’IGAD touchés par la sécheresse qui sévit dans l’Est africain. De leur côte, les ministres des Affaires étrangères se sont fendus d’une déclaration sur la situation en Côte d’Ivoire, «exhortant toutes les parties à apporter leur coopération pleine et entière à l’ONUCI, au GIT et au groupe chargé de la médiation au jour le jour» en vue de la mise en œuvre notamment de la résolution 1633 du conseil de sécurité.

Concernant la Somalie, les ministres ont décidé de créer un groupe d’évaluation de l’embargo sur les armes, chargé de faire des recommandations au conseil de sécurité des Nations unies… Le conseil exécutif souligne la nécessité de réagir, y compris en saisissant le Conseil de sécurité des Nations unies, la Cour pénale internationale ou la Cour internationale de justice «afin qu’ils prennent les mesures qui s’imposent contre ceux qui continuent à faire obstacle au processus de paix en Somalie». Enfin, le thème officiel du sommet étant «Education et culture», les chefs d’Etat ont décidé de proclamer la période 2006-2015 «la seconde décennie de l’éducation pour l’Afrique». Ils ont aussi proclamé 2007 année internationale du football africain. Tous les Etats membres sont invités à soutenir leurs associations nationales de football dans l’organisation du cinquantième anniversaire de la Coupe d’Afrique du football, l’an prochain.


par Laurent  Correau

Article publié le 25/01/2006 Dernière mise à jour le 25/01/2006 à 13:18 TU