Union africaine
Question de présidence
(Photo : AFP)
De notre envoyé spécial à Khartoum
Les drapeaux africains flottent au vent sur la route bitumée qui longe le Nil, passe devant la présidence et arrive au hall de l’amitié, le Friendhsip hall. C’est ici que les ambassadeurs africains ont travaillé en début de semaine. C’est ici que se retrouvent à leur tour les ministres des Affaires étrangères. Les chefs d’Etat et de gouvernement sont attendus les 23 et 24 janvier, et, comme pour chaque rencontre, les ministres passent en revue les différents points a l’ordre du jour pour préparer leurs travaux.
Les véritables enjeux d’un sommet ne figurent pourtant pas forcément dans l’ordre du jour. C’est particulièrement le cas pour cette réunion de Khartoum, dont le thème officiel est «éducation et culture», mais qui restera certainement plus dans l’histoire de l’Union comme un sommet décisif pour la fonction de président de l’Union. Là aussi les préparatifs vont bon train. Mais ils se déroulent dans les couloirs du Friendship hall, dans de discrètes salles à l’étage ou bien encore en d’autres capitales.
Obasanjo a politisé la présidence
Officiellement, le poste de président de l’Union - différent de celui de président de la Commission, actuellement occupé par le Malien Alpha Oumar Konare - n’est que protocolaire. Ce président de l’Union est le chef d’Etat ou de gouvernement d’un Etat membre. Le règlement de la conférence de l’Union précise qu’il «convoque les sessions de la conférence, prononce l’ouverture et la clôture des sessions, présente pour approbation les procès verbaux des sessions», etc. Entre deux sessions, le président, «en consultation avec le président de la Commission, assure la représentation de l’Union». Le chef de l’Etat nigérian, Olusegun Obasanjo, a voulu faire de cette fonction un poste beaucoup plus politique, et, pendant son mandat, il s’est imposé, allant jusqu’à récuser une décision de la Commission sur le Togo.
Obasanjo a revêtu la présidence de l’UA de pouvoirs que les textes ne lui donnent pas. Il a transformé la fonction au point que, dans les couloirs du sommet de Khartoum, le principal sujet de préoccupation est désormais de savoir qui peut prendre sa succession. Tant que la fonction est restée protocolaire, elle n’a en effet pas posé de problèmes et un véritable flou juridique entoure le mode de désignation du président. Jusqu’ici, le consensus a toujours prévalu. Il était atteint avant même le début du sommet. Mais maintenant que la fonction devient un enjeu, ce flou ouvre la porte à des tensions entre pays ou régions.
Al-Bachir est candidat, Sassou Nguesso postule
Chacun affûte ses arguments. L’Afrique de l’Est rappelle que le système de la rotation entre régions lui attribue cette fois-ci le poste. Et elle est bien décidée à ne pas le laisser s’échapper. Elle soutient pour l’instant le seul candidat à s’être déclaré dans son groupe: le pays hôte, le Soudan. «La région d'Afrique de l’Est s’est réunie sur la question, et a exprimé son soutien entier à la candidature soudanaise», indique a RFI le ministre éthiopien des Affaires étrangères, Seyoum Mesfin, qui reconnaît pour autant, qu’en cas de blocage pendant la conférence des chefs d’Etat, d’autres candidatures au sein de la région ne sont pas exclues.
«Les ministres transmettent la question au sommet des chefs d’Etat. Nous avons eu des consultations par petits groupes, mais le sommet des chefs d’Etat peut décider autrement», module le chef de la diplomatie éthiopienne. L’Afrique centrale, elle aussi, se verrait bien à la tête de l’Union. «Nous pensons que notre tour est venu», estime un diplomate de la région, qui poursuit que «dans ce cadre là, l’Afrique centrale soutiendrait une candidature du président congolais Sassou Nguesso».
L’arrivée du Soudan à la présidence de l’Union africaine est un thème polémique, ici, à Khartoum. Les Soudanais se disent sûrs de leur droit. Des diplomates leur répondent qu’un Omar al-Bachir à la tête de l’UA «brouillerait le message», en raison de la crise au Darfour. Plusieurs ONG africaines, depuis Nairobi, ont appelé les chefs d’Etat à ne pas confier la présidence de l’UA au Soudan, estimant que cela «saperait la crédibilité» et l’autorité de l’institution. Face à la polémique, le Soudan a tenté de forcer la décision. Il a d’ores et déjà transmis une candidature officielle, qui rend plus difficile la définition d’un consensus. Des tractations sont en cours.
Eviter une crise
«Il faut éviter une crise sur cette question. Il faut éviter une candidature de certains pays», estime le secrétaire exécutif de la Cedeao, Mohamed Ibn Chambas. «L’Union africaine a toujours choisi le président en exercice par consensus. Il faut trouver le moyen de le choisir par consensus.» Si le choix du président de l’UA devait se faire au vote, ce serait une première dans l’histoire de l’organisation, y compris quand elle n’était encore que l’OUA. Un tel cas extrême, synonyme d’un blocage de la conférence des chefs d’Etat aurait aussi des conséquences institutionnelles. Il risquerait de modifier le poids politique de la présidence de l’UA, en lui donnant une légitimité plus forte que celle qu’elle avait jusqu’ici.
Derrière cette question du choix de l’homme qui va présider et de la façon dont il va être choisi, se trouve une question institutionnelle essentielle pour l’UA: quel équilibre des pouvoirs la nouvelle présidence va-t-elle installer avec la Commission et avec le président de cette dernière, Alpha Oumar Konare ? Obasanjo avait réaffirmé l’autorité des chefs d’Etat. Une présidence modeste ou affaiblie redonnerait sans doute un peu plus de marge de manœuvre à la Commission. «La Commission de l’UA est l’institution qui est la plus porteuse d’innovation actuellement en matière d’intégration du continent… C’est elle qui prend des positions courageuse sur les conflits et les crises qui affectent l’Afrique», estime Alioune Tine, le secrétaire général de la RADDHO, la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme. Un président de l’UA plus effacé permettrait à la Commission de jouer son rôle plus facilement.
Trancher l’affaire Hissène Habré
Plusieurs projets sont à l’ordre du jour de ce 6e sommet ordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement sur cette question de l’intégration africaine. La Libye propose la création d’un marché boursier panafricain ou d’un fonds chargé d’atténuer les conséquences du prix du baril sur les économies les moins favorisées. Le Soudan propose l’instauration d’une «Unesco à l’africaine», une organisation africaine de l’éducation, des sciences et de la culture. Le Nigeria appelle les autres pays du continent à ratifier le traité de Pelindaba, qui fait de l’Afrique une zone dénucléarisée. Signé en 1996, ce texte n’est toujours pas entré en vigueur, faute d’avoir été ratifié par les 28 Etats membres nécessaires.
Les ministres doivent également élire les juges de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples, donnant ainsi de la chair à une institution de l’UA qui pourrait faire avancer la question des droits de l’Homme. L’actualité africaine devrait s’inviter à ce sommet, avec les récentes violences en Côte d’Ivoire et les tensions Tchad-Soudan. Le ministre tchadien des Affaires étrangères, Ahmat Allami, était attendu samedi à Khartoum où les chefs d’Etat auront également à se prononcer sur l’affaire Hissène Habré, à la demande du Sénégal. Ils devront dire quelle juridiction est compétente pour juger l’ancien président tchadien.
Faut-il extrader Hissène Habré vers la Belgique ou vers un autre Etat, créer un tribunal ad-hoc , ou mettre en place une nouvelle institution de l’UA chargée de juger ce genre de crimes ? Pour les victimes, une seule option est acceptable. «Nous attendons des chefs d’Etat qu’ils acceptent l’extradition d’Hissène Habré vers la Belgique, en dépit des questions de souveraineté. C’est la seule proposition qui puisse sauver l’Afrique de la honte», explique Ismail Hachim Abdallah, le président de l’association des victimes de crimes et des répressions politiques au Tchad, venu a Khartoum.
Ce sommet permettra-t-il à l’Union de progresser ? Quelle que soit la façon dont les questions politiques vont se régler, une partie de la messe est déjà dite. Ce jeudi, les ministres ont adopté le budget de l’Union: 129 millions de dollars. Trop peu, selon certains militants de la société civile africaine, pour réaliser concrètement les ambitions de l’organisation. La Cedeao, à elle seule, a voté un budget de 150 millions de dollars. Elle est quasiment sûre que l’argent entrera dans les caisses. Alors que les Etats membres de l’UA se font encore prier pour régler leurs dettes.
par Laurent Correau
Article publié le 22/01/2006 Dernière mise à jour le 25/01/2006 à 16:57 TU