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Union Africaine

La guerre de Syrte n’aura pas lieu

Mouammar Kadhafi, le guide libyen, lors de son discours-fleuve devant les chefs d’État. Le décor grandiose de la salle dans laquelle ont lieu les débats est à l’image du complexe de Ouagadougou.(Photo:Jean Duffas/RFI)
Mouammar Kadhafi, le guide libyen, lors de son discours-fleuve devant les chefs d’État. Le décor grandiose de la salle dans laquelle ont lieu les débats est à l’image du complexe de Ouagadougou.
(Photo:Jean Duffas/RFI)
Les chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine sont réunis ces 4 et 5 juillet à Syrte, en Libye, pour leur 5e sommet ordinaire. La rencontre est placée sous le signe de deux dossiers internationaux importants : la revue des objectifs du millénaire pour le développement, et la réforme des Nations unies. Ce deuxième thème était potentiellement explosif, en raison du grand nombre de candidatures africaines à un siège de membre permanent du Conseil de sécurité. Deux textes soumis aux chefs d’État et de gouvernement lors de ce sommet ouvrent la voie à une position africaine unie.

De l’un de nos envoyés spéciaux à Syrte

Les drapeaux de l’Union africaine et de la Libye qui ont été hissés en longue enfilade devant le bâtiment du «complexe de Ouagadougou» claquent au vent. En façade, une photo du guide de la révolution libyenne affiche le V de la victoire. Elle vient rappeler la date du 9 septembre1999. C’était ici, à Syrte. Et c’était la fondation de l’Union africaine. Mouammar Kadhafi s’est beaucoup investi pour que naisse l’organisation panafricaine. Dans les couloirs du complexe de Ouagadougou, ses pensées sur l’Afrique sont affichées en gros caractères. «Un passeport africain unique, une monnaie africaine unique, une identité africaine unique, un marché africain unique» demande l’une de ces affiches. «Bienvenue aux constructeurs de l’Afrique» dit un panneau en arabe, français et anglais installé au bord du tapis qui mène à la salle de réunion des chefs d’État.

Ce lundi matin, en accueillant ses hôtes, le guide libyen a réaffirmé sa foi dans une intégration africaine forte. En partant de l’héritage du Ghanéen Kwame Nkrumah, l’un des pères du panafricanisme, il a rappelé la nécessité de «super-ministres» de l’Union africaine qui seraient en charge notamment de la défense, des affaires étrangères, des transports, et du commerce extérieur. Il a tourné en dérision les conditionnalités imposées par les pays occidentaux : «c’est comme si vous rencontriez un mendiant qui demande l’aumône. Et avant de l’aider, alors qu’il est musulman avec quatre femmes, vous exigez de lui qu’il change de religion, devienne bouddhiste, et divorce de trois de ses épouses. C’est inacceptable. Quand on fait l’aumône, c’est sans condition».

Une partie du sommet se joue dans les couloirs. Ici, un aparté entre Saïd Djinnit, le commissaire chargé de la Paix et de la Sécurité de l’UA et Nkosazana Dlamini-Zuma, la ministre sud-africaine des Affaires étrangères.
(Photo: Laurent Correau/RFI)
Le président de la commission de l’Union africaine, Alpha Oumar Konaré, et celui de la Commission européenne, José Manuel Durão Baroso se sont pour leur part livrés à un dialogue par discours interposé. Les deux hommes s’étaient rencontrés avant l’ouverture du sommet. Dans son allocution, Konaré a appelé à une annulation de la dette pour tous les pays africains («Libérer les pays dits les plus pauvres sans les autres n’est pas libérateur de l’énergie du continent car le rôle moteur des autres s’en trouve bloqué»), il a également appelé les pays occidentaux à aller au-delà, et à ouvrir leurs marchés («Il nous faut poser le problème de la rémunération correcte de nos matières premières, le traitement correct et urgent de la question des subventions et de l’ouverture du marché agricole mondial est une exigence à la fois politique et morale»). Alpha Oumar Konaré a d’ailleurs appelé tous les chefs d’État à rejoindre le combat des pays producteurs de coton, «symbole des inégalités du système mondial du commerce». Il faut par ailleurs, selon lui, que les ressources mobilisées permettent «sans tarder» d’importants travaux d’infrastructures dans le cadre du NEPAD : route ou chemin de fer Dakar-Djibouti, transmaghrébin, gazoduc Alger-Lagos, pont sur le fleuve Gambie, etc.

Dans un discours passant du portugais, à l’anglais puis au français, le président de la Commission européenne a indiqué qu’il fallait «un solide partenariat euro-africain pour les infrastructures». José Manuel Durão Baroso a annoncé que la Commission européenne proposerait prochainement la création d’un plan pluriannuel pour les infrastructures en Afrique. «Il sera fondé, a-t-il dit, sur des réseaux transafricains ambitieux. Il devrait couvrir les routes, les chemins de fer, les aéroports, l’énergie et l’eau ainsi que les technologies de l’information et les communications». Il a également annoncé la tenue d’un prochain sommet euro-africain à Lisbonne, au Portugal. «Nos deux continents devraient se rencontrer pour élaborer un nouveau pacte euro-africain. Un pacte capable de canaliser l’énergie positive qui s’exprime actuellement en Afrique. Un pacte qui fera en sorte que le partenariat entre l’Afrique et l’Europe, entre le Nord et le Sud devienne une coalition solide pour un monde multilatéral plus fort, plus stable, plus équitable. Le moment est venu de transformer notre dialogue en action. Nous sommes avec vous dans votre lutte pour transformer l’espoir en réalité».

Dans les couloirs du complexe de Ouagadougou, la demande d’une extension de l’annulation de la dette à tous les pays africains est saluée par les ministres concernés. «Je crois que le G8 devrait s’intéresser à des pays à revenus intermédiaires comme le Botswana, la Namibie et d’autres, explique par exemple Mompati Merafhe, le ministre botswanais des Affaires étrangères et de la coopération internationale. Il n’est pas possible de parler des pays les moins développés et d’oublier ceux qui sont au milieu. Certains d’entre nous ont fait des sacrifices incroyables pour en arriver là où ils sont aujourd’hui en terme de développement. Nous devrions être récompensés pour cela, au lieu d’être punis. Si vous effacez la dette, effacez-la pour tout le monde».

Un plan de l’Afrique pour la réforme des Nations unies

Le président ivoirien Laurent Gbagbo lors de la cérémonie d’ouverture du sommet.
(Photo: Jean Duffas/RFI)
Pour autant, la vedette de ce 5e sommet des chefs d’État et de gouvernement a été volée par la réforme des Nations unies. Les ministres des Affaires étrangères proposent deux textes très symboliques aux chefs d’État et de gouvernement : une déclaration, et une résolution qui constituent un «plan» de l’Afrique sur cette réforme… Un plan que le continent est bien décidé à défendre en son nom propre, en allant si nécessaire jusqu’à déposer un texte africain devant l’assemblée générale de l’ONU. «En 1945, la plus grande partie de l’Afrique n’était pas représentée et en conséquence l’Afrique est restée jusqu’à ce jour le seul continent qui n’a pas de siège permanent au Conseil de sécurité» explique la résolution qui doit être soumise aux chefs d’État et de gouvernement. «L’Afrique est maintenant en mesure d’assurer sa représentation effective au sein du Conseil de sécurité».

Les ministres proposent que le nombre de sièges du Conseil de sécurité soit porté de 15 à 26, et que (conformément aux demandes formulées lors de précédent sommet) l’Afrique obtienne 2 sièges de membres permanents avec droit de veto, 5 de membres non-permanents. «Les nouveaux membres permanents devraient avoir les mêmes prérogatives et privilèges que les membres permanents actuels» indique la proposition de résolution. Le deuxième texte soumis aux chefs d’État et de gouvernement vient rappeler que la réforme du Conseil de sécurité n’est qu’une partie de ce plan africain. Ce projet de déclaration demande le renforcement du rôle de l’Assemblée générale des Nations unies qui est le «parlement du monde», le renforcement du secrétariat des Nations unies «dans le sens d’une plus grande efficacité et d’une représentation accrue de l’Afrique», et un plus grand rôle pour l’ECOSOC (le Conseil économique et social). «Nous réaffirmons, dit ce projet, notre ferme détermination à faire triompher dans l’unité et la solidarité notre position commune afin que l’Afrique puisse choisir ses représentants au conseil de sécurité pour agir en son nom et pour son compte».

Ces deux textes rédigés à l’initiative du Burkina-Faso, s’ils sont adoptés par les chefs d’État et de gouvernement, permettront au continent d’affirmer un peu plus sa présence sur la scène internationale. Ils sont aussi une façon habile de maintenir l’unité alors que ce sommet s’annonçait comme celui de la division, en raison du nombre de candidatures déclarées ou implicites à un fauteuil de membre permanent du Conseil de sécurité.

Au-delà de ces deux dossiers, les chefs d’État auront aussi à se prononcer sur des questions très diverses : la mise en œuvre de la déclaration solennelle sur l’égalité hommes-femmes, la mise en oeuvre de la déclaration de Syrte sur l’eau, le projet de création d’un indicatif téléphonique unique en Afrique, la situation des réfugiés, déplacés et rapatriés, l’AGOA (Africa Growth and Opportunity Act)…


par Laurent  Correau

Article publié le 05/07/2005 Dernière mise à jour le 05/07/2005 à 12:18 TU