Nations unies
La réforme du Conseil de sécurité menacée
Après un long silence officiel, la position exprimée par Washington clarifie le débat, mais complique la recherche d’une solution. La position des Etats-Unis avait largement filtré au cours de ces derniers jours et on savait ses réticences à l’égard de l’ouverture du Conseil de sécurité au-delà de la limite des 20 membres.
Dés la semaine dernière, le responsable politique du département d’Etat, Nicholas Burns, s’était employé à tempérer les ardeurs des partisans d’une ouverture franche et massive à 24 ou 25 membres du Conseil, comme le préconisait le secrétariat général et le groupe des 4 (G4 : Allemagne, Brésil, Inde, Japon), auteur d’une formule visant à élargir le Conseil à 10 nouveaux membres, 6 permanents et 4 non permanents. Les 6 permanents étant composés des 4 cités et de deux Africains dont il appartiendrait au prochain sommet de l’Union africaine de les désigner, début juillet en Libye.
Prenant le contre-pied d’un environnement international résolu à ouvrir largement la table du Conseil à une dizaine de nouveaux-venus, les Etats-Unis proposent au contraire d’accueillir 2 nouveaux permanents, et 3 non-permanents, portant le total à 20 membres. Selon la formule américaine, les nouveaux membres permanents ne seraient pas dotés du droit de veto exercés par les anciens membres et, selon les vœux de Washington, les candidatures seraient soumises à examen selon des critères incluant le respect des droits de l’Homme et la démocratie. Dans ce débat, les Etats-Unis soutiennent franchement la Japon pour accéder au statut de membre permanent, ainsi qu’un pays en développement qui reste à déterminer. Ils s’opposent en revanche farouchement à la candidature de l’Allemagne, coupable de ne pas les avoir accompagnés dans l’aventure irakienne. Quant au Brésil de l’ancien syndicaliste Lula, il n’est actuellement pas en odeur de sainteté à Washington.
Pékin, puissance diplomatique émergeante
Mais Washington n’est pas la seule capitale a faire entendre une voix franchement discordante aux positions du G4. La position chinoise, réaffirmée le 21 juin, n’est pas de nature non plus à faciliter le débat. La Chine a des priorités et des ambitions à la mesure de la grande puissance émergeante qu’elle devient et elle affiche désormais une diplomatie active pour faire respecter son nouveau statut. Et si Pékin soutient le projet d’élargissement des membres permanents du Conseil aux pays du sud, notamment africains, ses autorités ne veulent en revanche pas du Japon parmi les nouveaux entrants au club, contrairement à la volonté américaine. Officiellement le contentieux entre les deux pays, potentiellement rivaux sur le plan économique, est historique et diplomatique. Pékin estime que la vivacité du nationalisme japonais, exprimé par la timidité de la reconnaissance par Tokyo des crimes commis lors de la seconde guerre mondiale, demeurent un obstacle indépassable à la normalisation de leurs relations, de nature à activer son droit de veto.
Mais les réticences chinoises s’étendent également à l’Inde, son plus gros concurrent régional à terme. Avec l’Inde, le Japon, le Brésil et l’Allemagne dans le collimateur des uns ou des autres, l’initiative du G4 va avoir du mal à recueillir le consensus indispensable à l’adoption de la réforme proposée. D’autant que divers autres pays manifestent leur opposition à la présence de tel ou tel. L’Italie voit dans cette candidature allemande une concurrence européenne malvenue. Le Pakistan ne conçoit pas, pour sa part, la perspective d’une entrée de New Delhi au club très fermé des membres permanents. Quant au Mexique, il s’interroge sur le bien-fondé d’un choix brésilien à son détriment. Le groupe des 4 propose donc, en signe d’apaisement, que les nouveaux membres permanents renoncent à leur droit de veto pendant une période de 15 ans.
De son côté Pékin défend une série de candidatures alternatives au G4, prévoyant un élargissement à 25 du Conseil, mais sans nouveaux sièges permanents. La proposition est soutenue par Rome, Islamabad et Mexico.
Difficile consensus africain
Les dissensions qui règnent autour de cette affaire peuvent compter sur la contribution des Africains. Si l’option du G4 peut globalement satisfaire les aspirations du continent, avec deux nouveaux entrants parmi les membres permanents, le débat fait rage sur la désignation des représentants. Trois principaux candidats se disputent cet honneur : l’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Egypte qui menace de faire cavalier seul, en sollicitant l’appui des pays arabes.
Ajoutant au désordre, le président sénégalais vient d’introduire un nouveau critère de choix : celui de la langue. Dans une tribune publiée mardi par le quotidien français Le Figaro, Abdoulaye Wade estime «qu’il serait regrettable que les deux représentants permanents de l’Afrique soient tous d’une même aire linguistique. Si d’aventure c’était le cas, les problèmes de l’autre moitié de l’Afrique seraient exprimés (…) non directement, mais à travers une interprétation. Ce ne serait pas juste. Tout simplement». En conséquence, le président sénégalais déclare la disposition de son pays à contribuer à un rééquilibrage des positions. Selon lui, «la présence du Sénégal au Conseil de sécurité serait non seulement celle de l’Afrique plurielle, mais, au-delà, elle montrerait que la paix n’est pas seulement l’affaire des grands mais de tous, sans considération de taille, les critères étant autres».
La France, elle, s’est tardivement ralliée à la perspective d’une dilution de son influence dans un Conseil de sécurité élargi. Mais le travail a semble-t-il été accompli et elle fait finalement de nécessité vertu. Paris a co-parrainé l’initiative du G4, soutenue également par Londres, estimant que les positions françaises seraient certainement mieux défendues dans une perspective multilatérale que dans le maintien coûte que coûte d’un statu quo d’un autre temps, et de toute façon condamné à terme. Paris a donc opté pour un Conseil élargi «de façon substantielle dans les deux catégories» (membres permanents et non permanents) et non pas à la manière «très limitative» proposée par les Américains.
Kofi Annan en fin de mandat
Les arbitrages à venir risquent d’être extrêmement complexes, donc de traîner en longueur et l’été n’y suffira probablement pas. Pourtant le temps presse en raison du fait que l’évolution du monde justifie une meilleure représentation des forces internationales en présence dans les prises de décision collégiales, que le principe en est acquis depuis fort longtemps et que le chantier a connu une brusque accélération au cours des deux dernières années. D’autre part, le secrétaire général Kofi Annan a l’ambition d’être l’artisan de cette évolution qu’il porte à bout de bras. Et son mandat s’achève à la fin de l’année prochaine. Autant dire qu’il reste très peu de temps pour conclure une affaire dans laquelle personne n’est d’accord, mais pour des raisons divergentes et souvent inavouables.
Enfin, et c’est peut être un atout pour la réforme, cette affaire place, paradoxalement, l’administration américaine dans une position singulière à l’égard de sa propre majorité et de son opinion publique. En effet si Washington veut conserver une véritable influence dans ce dossier, il doit montrer sa vocation à soutenir une vision multilatérale des relations internationales sous peine de perdre toute crédibilité dans le débat.
par Georges Abou
Article publié le 23/06/2005 Dernière mise à jour le 23/06/2005 à 11:44 TU