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Union africaine

La Belgique ne renonce pas à juger Hissène Habré

L'ancien président du Tchad, Hissène Habré, au temps de son règne, en 1987.(Photo : diplomatie.gouv.fr)
L'ancien président du Tchad, Hissène Habré, au temps de son règne, en 1987.
(Photo : diplomatie.gouv.fr)
A Khartoum, les 53 chefs d’Etat et de gouvernement africains se sont refusés à extrader en Belgique l’ancien président tchadien, Hissène Habré. Ignorant le mandat d’arrêt international qui le poursuit à Dakar, où le président déchu est réfugié depuis sa chute en 1990, l’Union africaine (UA) a suivi les recommandations du président sénégalais Abdoulaye Wade. Elle renvoie le jugement des «crimes contre l’humanité» dont est accusé Hissène Habré à une juridiction africaine que devra identifier une «commission de juristes africains» dont la création est annoncée. Cette commission serait chargée de «proposer une solution» dont l’UA pourrait débattre à l’occasion de son sommet de Banjul (Gambie), en juillet prochain. Mais Bruxelles envisage un recours pour faire exécuter son mandat d’arrêt international.

«Je ne laisserai pas Hissène Habré être jugé ailleurs qu'en Afrique», tempête le président Wade. Tout en se défendant de vouloir avec ses pairs «consacrer le principe de l'impunité», Abdoulaye Wade a, de fait, obtenu que l’UA cautionne un nouveau sursis pour son hôte encombrant. Reste à «trouver une juridiction africaine pour le juger». C’est la mission qui sera impartie à la commission ad hoc que l’UA s’est promis de former avec des juristes africains. Ceux-ci devront en tout cas chercher ailleurs qu’au Sénégal où la justice s’est prononcée contre son jugement en 2001 malgré l’ouverture d’une information judiciaire pour crimes contre l'humanité, avant de se déclarer incompétente quatre années plus tard, concernant son extradition en Belgique.

L’UA revendique une souveraineté judiciaire

La question de l’extradition d’Hissène Habré était devenue pressante en septembre 2005, avec le mandat d’arrêt international lancé par Bruxelles sur la base de la plainte déposée en 2000 par trois Belges d’origine tchadienne. La justice belge s’intéresse en effet à des charges à caractère imprescriptible et pouvant donner lieu à des poursuites universelles, à des «arrestations collectives et arbitraires, des meurtres en masse et des actes systématiques de torture contre certaines victimes du pays», perpétrées pendant le règne d’Hissène Habré, de 1982 à 1990. Le 25 novembre dernier, après une brève arrestation d’Hissène Habré, la justice sénégalaise s’était refusée à statuer sur la requête belge et Dakar avait renvoyé la question à l’UA, invoquant en quelque sorte une souveraineté panafricaine face à la justice universelle.

Bruxelles n’a toujours pas reçu le refus d’extradition du Sénégal. Mais il devrait suivre la décision du sommet de l’UA. Quoi qu’il en soit, «des voies de recours existent et sont envisagées», explique d’ores et déjà la ministre belge de la Justice, Laurette Onkelinx. La demande d’extradition est juridiquement fondée sur la Convention des Nations unies contre la torture, que le Sénégal a ratifié, à l’instar de la Belgique, poursuit-elle. Cela implique qu’à défaut de juger lui-même Hissène Habré, le Sénégal doit le remettre à la Belgique. Sinon et «si après six mois, il n'est pas possible de mettre sur pied une procédure d'arbitrage, un des deux Etats peut saisir la Cour internationale de justice (CIJ) à La Haye», souligne Bruxelles.

Pour sa part, l'avocat belge des plaignants, Georges-Henri Beauthier, veut croire que la future commission de juristes africains «se prononcera en faveur d'un procès en Belgique», évitant ainsi à Dakar de «livrer» Habré de son propre chef. Ce n’est bien sûr pas l’avis de l’avocat d’Hissène Habré, Me El Hadj Moustapha Diouf. Après avoir tenté en vain de s’imposer au sommet franco-africain de Bamako, en décembre, il s’est démené dans les coulisses du sommet panafricain de Khartoum, pariant sur la sagesse des chefs d’Etat africains vis-à-vis d’une décision qui pourrait par la suite transformer certains d’entre eux en justiciables. D’ailleurs, a-t-il plaidé, le président Wade «ne peut passer outre le principe de l'autorité de la chose jugée» dans son propre pays. «L'affaire est close, classée sans suite», s’est-il félicité à l’issue du conclave, «la commission mise en place va forcément se heurter à l'impossibilité de le juger ou de l'extrader. Les juristes qui seront désignés vont se rendre compte que la procédure est épuisée».

Une décision politique, selon les plaignants

Pour les plaignants, la décision de l’UA n'est «pas conforme à l'esprit et à la lettre du droit international pénal, c'est une décision politique», estime Me Boucounta Diallo, membre du collectif des avocats des victimes. Au vu des obligations internationales qui lient le Sénégal au «respect scrupuleux de la convention sur la torture», Me Diallo, estime que Dakar s’est «dérobé à son engagement international en demandant en même temps la caution morale et politique de ses pairs». «Qu'on nous dise quel pays africain est prêt à juger Hissène Habré ? Aucun n'a accepté pour l'instant», ajoute le président de l'Association des victimes de crimes et répressions politiques au Tchad (AVCRT), Ismaël Hachim Abdallah, qui estime d’ailleurs que «les tribunaux africains ne fonctionnent pas, par manque de moyens et de volonté politique».

Parmi les tenants de l’extradition, les défenseurs des droits de l’Homme de Human Rights Watch (HRW) veulent, malgré tout, éviter de durcir la polémique et laisser une porte ouverte à la justice. «Si cette commission peut proposer une solution africaine réaliste et soutenable pour qu'il soit jugé en Afrique, nous ne pouvons être que favorables», déclare ainsi Reed Brody, qui suit le dossier Habré pour HRW. «Ce qu'on cherche c'est la justice», poursuit-il, si toutefois «elle peut encore être rendue en Afrique alors qu'elle ne l'a pas été en quinze ans».


par Monique  Mas

Article publié le 25/01/2006 Dernière mise à jour le 25/01/2006 à 17:18 TU