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Népal

Au cœur de la crise

Malgré la répression des forces de l'ordre, le mouvement pro-démocratique continue de prendre de l'ampleur. Les manifestations se propagent à différentes villes du pays. (photo : AFP)
Malgré la répression des forces de l'ordre, le mouvement pro-démocratique continue de prendre de l'ampleur. Les manifestations se propagent à différentes villes du pays.
(photo : AFP)
Près d’un an après que le roi Gyanendra s’est emparé des pleins pouvoirs, le 1er février 2005, le petit royaume himalayen est le théâtre d’une confrontation sans précédent entre le Palais royal et les partis politiques. Une crise qui s’est accentuée, ces derniers jours, après l’interdiction d’une grande manifestation pro-démocratique à Katmandou. Retour sur une semaine de violences.

De notre envoyé spécial à Katmandou

Pour les sept principaux partis politiques népalais, le 20 janvier devait être la première grande journée de protestation concertée contre le «régime autocratique» du roi Gyanendra. Depuis qu’il a limogé le gouvernement, il y a près d’un an, le souverain se montre en effet particulièrement autoritaire, outrepassant sans cesse ses droits constitutionnels et ignorant les appels, de plus en plus nombreux, pour un retour à la démocratie parlementaire. A tel point qu’il a réussi à pousser l’un vers l’autre les partis politiques et la guérilla maoïste, qui ont signé en octobre dernier un accord appelant notamment à l’organisation d’élections en vue de former une assemblée constituante, sous supervision internationale. Une alliance jusqu’ici inimaginable puisque les partis avaient toujours refusé tout pourparler avec la rébellion tant que celle-ci n’abandonnerait pas la lutte armée, qui a déjà fait plus de 12 500 morts en dix ans.

« Quand il s’est emparé du pouvoir exécutif, Gyanendra avait le bénéfice du doute, car il promettait de ramener la démocratie, et de mettre un terme au conflit avec les maoïstes, résume Yubaraj Ghimre, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Samay. Mais, en l’espace d’un an, il a réussi à faire l’unanimité contre lui, car non seulement il n’a pas ramené la paix mais, en plus, il se comporte comme un monarque de droit divin », alors que le Népal est depuis 1991 une monarchie constitutionnelle.

Arrestations, résidence surveillée, couvre-feu

A la veille de la grande manifestation prévue à Katmandou, le pouvoir royal a ainsi arrêté des centaines de militants politiques, placé les leaders des principaux partis en détention ou en résidence surveillée, ordonné un couvre-feu et coupé les communications cellulaires. Motif avancé : la crainte que les maoïstes, qui avaient appelé les Népalais à rejoindre la manifestation, ne profitent de l’occasion pour s’infiltrer dans la capitale. « Il ne tolère tout simplement pas la moindre opposition, il n’entend pas le peuple », rétorque cependant Madhav Kumar Nepal, secrétaire général du parti communiste marxiste-léniniste unifié - l’un des deux plus grands partis de « l’alliance des sept » - qui est toujours maintenu en résidence surveillée.

Quoi qu’il en soit, cette répression préventive semble en tout cas avoir convaincu de nombreux Népalais que les grandes promesses de Gyanendra de ramener le pays à la démocratie n’étaient que de la poudre aux yeux. Dès que le couvre-feu a été levé, les manifestants sont donc sortis dans les rues aux cris de « Vive la République », « A bas la monarchie autocratique », ou même « Mort à la monarchie ». Et malgré la répression des forces de l’ordre, le mouvement pro-démocratique continue de prendre de l’ampleur. Les manifestations se propagent en effet à différentes villes du pays, et la grève générale de jeudi, organisée par les sept grands partis, a été largement suivie à travers le royaume. Partout, l’écrasante majorité des commerces ont en effet baissé le rideau de fer, les rues sont restées désertes, et des groupes de manifestants défilaient sous l’étroite surveillance de la police anti-émeutes. Pour la première fois depuis le « coup d’Etat royal » de l’an dernier, celle-ci a carrément tiré sur la foule dans la ville touristique de Pokhara, blessant un jeune homme à la jambe, tandis que des centaines de personnes étaient une nouvelle fois arrêtées aux quatre coins du pays.

« Le roi va droit à la confrontation »

Malgré le vent de protestation, le roi continue en effet de faire la sourde oreille. Pour preuve : son insistance à maintenir les élections municipales prévues le 8 février, pourtant vides de sens puisque tous les grands partis refusent d’y participer, réclamant à la place la tenue d’élections pour mettre sur pieds une assemblée constituante. Comme les maoïstes, qui ont abattu dimanche dernier l’un des candidats, ceux-ci considèrent en effet ce scrutin comme une farce destinée avant tout à légitimer le pouvoir royal. « Le roi va droit à la confrontation, explique Rajendra Dahal, du magazine Himal Khabarpatrika. Sa seule issue, désormais, est d’annuler ou au moins de repousser ce scrutin afin de renouer le dialogue avec les partis politiques ».

Malheureusement, rien ne prouve pour l’instant que Gyanendra soit prêt à faire un tel geste. Bien au contraire, il continue de compter sur ces élections pour prouver son attachement aux valeurs démocratiques, notamment aux yeux de la communauté internationale, de plus en plus critique envers son régime « extra constitutionnel », selon les termes d’un diplomate en poste à Katmandou.


par Pierre  Prakash

Article publié le 27/01/2006 Dernière mise à jour le 27/01/2006 à 15:05 TU