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Somalie

Un habitant sur cinq au bord de la famine

Il n'a pas plu sur la région de Gedo depuis le mois de novembre.(Photo: Hilaire Avril/RFI)
Il n'a pas plu sur la région de Gedo depuis le mois de novembre.
(Photo: Hilaire Avril/RFI)
Les Nations unies estiment que 11 millions de personnes sont menacées par la faim dans la Corne de l’Afrique. Sur ce total, environ 1,7 million d'habitants, parmi les plus vulnérables, se trouvent au sud de la Somalie.

De notre envoyé spécial en Somalie

La ville de Garbahare, à moins de cent kilomètres de la frontière kenyane, est au cœur de la sécheresse la plus sévère qu’ait connu la Somalie depuis 10 ans. En temps normal, Garbahare compte près de 5 000 habitants. Aujourd'hui, c’est une ville fantôme.

Cette cité, d'où est originaire le président Siad Barre -qui a dirigé la Somalie d’une main de fer pendant 22 ans avant de fuir Mogadiscio en 1991- a été entièrement détruite. Désavouant l’emprise de sa politique anti-tribaliste de «socialisme scientifique», les clans des alentours ont systématiquement anéanti toute infrastructure : hôpitaux bombardés, mairie criblée d’obus, base militaire pillée, routes transformées en sentiers poussiéreux…

Sécheresse exceptionnelle

Pourtant, si Garbahare est aujourd'hui déserte, c’est pour une toute autre raison : il n’a pas plu sur cette région, Gedo, depuis le mois de novembre. Durant les deux dernières saisons annuelles de pluies –Gu d’avril et Deyr d’octobre, sensées irriguer les plaines arides de Somalie–, les précipitations ont été presque inexistantes. Du coup, les habitants sont partis avec bétail et familles en quête d’eau et de pâturages.

Mais il y a peu d’espoir pour ces tribus pastorales qui vivent essentiellement de l’élevage des vaches, chèvres et chameaux. Les cartes climatiques de la Cellule d’analyse de sécurité alimentaire des Nations Unies montrent une immense tache rouge, de prés de 1 000 kilomètres de diamètre, dont Gedo est l’épicentre. C’est la zone qui répond aux critères onusiens «d’urgence humanitaire».

Les sécheresses sont récurrentes dans la région. Mais de l’avis des experts, elles se font plus sévères, plus fréquentes, plus longues, et affectent des zones plus étendues qu’auparavant. La déforestation quasi-totale de la Somalie -dont les habitants abattent les rares arbres pour en faire du charbon (la deuxième exportation du pays)- est un facteur aggravant.

Crise alimentaire 

D’ordinaire, les «semi-nomades» de la région se sédentarisent au moins le temps d’une récolte de maïs, de sorgho ou de pois. Mais au terme d’une année sans pluie, les champs sont méconnaissables. Seule indication de leur emplacement, leur relief est plus plat et régulier que celui des anciens herbages. La terre rouge poussiéreuse ne laisse percer que quelques racines desséchées que même les chèvres n’ont pu ronger.

La dernière fois que les anciens du village voisin de Gobato ont vu le grand réservoir d’irrigation totalement vide, c’était il y a 14 ans. Les abords sont jonchés de charognes d’animaux, grillées par la fournaise. Dans certains villages, les habitants doivent maintenant se protéger contre les bandes de babouins affamés qui tentent d’attaquer les plus vulnérables -les enfants, qui ne se déplacent plus qu’en groupes.

A Gobato, le dispensaire médical est fermé faute de moyens, ses volets verts cloués à une façade blanchie par le soleil. Le premier médecin est à Wajid, à près de 25 kilomètres, soit une heure de route en véhicule tout-terrain.

Malnutrition avancée

Certains enfants sont déjà dans un état de malnutrition grave. A Garbahare, les dix matelas du dispensaire -posés à même le sol- sont occupés par de jeunes mères, bébé au bras. Les petits sont trop faibles pour gémir, et ne pleurent que lorsque l’infirmier insère une perfusion dans leur poignet. Les plus fragiles sont nourris à intervalles de trois heures, jusqu’à ce qu’ils regagnent assez de forces pour s’alimenter eux-mêmes.

L’assistance alimentaire s’organise lentement. Mais le sud de la Somalie est la région du pays la plus dangereuse : les convois alimentaires sont souvent arrêtés et «taxés» par les chefs de guerre locaux qui s’affrontent violemment. Dans un pays où l’on estime à 60 000  le nombre de «miliciens freelance», selon le jargon somalien, les humanitaires passent une partie substantielle de leur temps à négocier des droits de passage. Les palabres sont longues et coûteuses pour assurer à chaque clan qu’il y va de leur intérêt.

C’est pourtant la seule solution logistique. En 2005, trois navires affrétés par le Programme alimentaire mondial (PAM) ont été attaqués, puis retenus par des pirates somaliens. Une insécurité persistante qui explique pourquoi, malgré cette crise exceptionnelle, le niveau des réserves alimentaires du PAM pour la Somalie est au plus bas depuis cinq ans.


par Hilaire  Avril

Article publié le 28/01/2006 Dernière mise à jour le 28/01/2006 à 17:24 TU