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Religion

Des caricatures qui coûtent cher

Ce manifestant, posté devant l'ambassade du Danemark à Damas brandit une liste de produits danois à boycotter.(Photo: AFP)
Ce manifestant, posté devant l'ambassade du Danemark à Damas brandit une liste de produits danois à boycotter.
(Photo: AFP)
Dans les pays arabo-musulmans, les appels au boycott des produits danois, suite à la publication de 12 caricatures de Mahomet dans la presse danoise, se sont multipliés pendant une semaine. Les conséquences économiques commencent à se faire sentir. Parmi les premières victimes : le groupe laitier Arla Foods.

Les douze caricatures du prophète Mahomet publiées au Danemark risquent de coûter cher au pays. En effet, l’une des premières actions lancées dans les pays musulmans choqués par les dessins de presse a été l’appel au boycott des produits danois. Ce sont des groupes d’opposition, des associations musulmanes, des imams ou des personnalités influentes, comme le chef spirituel des Frères musulmans en Egypte, qui ont appelé au boycott. Non officiel mais bien réel, relayé par des campagnes de mails et de SMS, il a d’abord commencé en Arabie Saoudite puis s’est répandu comme une traînée de poudre dans d’autres pays, comme l’Egypte, le Qatar, le Yémen ou les Emirats. Le 30 janvier, le Conseil des hommes d’affaires libyens a déclaré avoir décidé de boycotter les produits danois et d’arrêter leur importation en Libye. Le même jour, au Koweït, Mohammed al-Mutairi, le président du plus important réseau de détaillants, l’Union of Cooperative Societies, annonçait qu’une cinquantaine de sociétés avaient arrêté l’importation de produits danois.

Les exportations danoises vers les cinquante-sept pays membres de l'Organisation de la conférence islamique (OCI) se sont élevées à 14 milliards de couronnes (1,9 milliard d'euros) en 2005. Dans un rapport publié le 31 janvier, la banque danoise Jyske Bank estime que si le boycott devait durer un an, il pourrait coûter au Danemark quelque 11 200 emplois et 1 milliard d'euros en manque à gagner. Parmi les sociétés visées par le boycott : le groupe pharmaceutique Novo Nordisk, le fabricant de pompes Grundfos et les jouets Lego. Jusqu'à présent, ce sont les produits alimentaires et les médicaments, qui ont été les plus touchés. Ils représentent respectivement 30 % et 10 % des exportations danoises vers le Moyen-Orient.

Arla Foods perd 1,34 million d’euros par jour

L’entreprise la plus touchée est Arla Foods qui, depuis 40 ans, est présente dans les pays moyen-orientaux sur le marché du beurre, du lait et de la crème. Elle a publié, samedi dernier, dans la presse arabe, une publicité rédigée par l'ambassadeur danois à Riyad assurant que le Danemark respectait l'islam. Mais cela n’a rien changé. « Nos ventes dans les pays arabes sont à l’arrêt complet depuis samedi et nous perdons 10 millions de couronnes danoises (1,34 million d’euros) par jour » , indique Astrid Nielsen, l’une des porte-parole du groupe laitier. « Nous allons licencier 125 personnes à partir de vendredi dans une laiterie à Bislev (Nord) et mettre 40 personnes au chômage technique dans une autre laiterie ». Le groupe emploie 1 200 personnes au Moyen-Orient. Aucun licenciement n’est encore prévu, notamment en Arabie Saoudite, dans l’usine de production de Riyad qui compte 800 personnes. Une usine qui devait être agrandie et bénéficier d’un investissement de 400 millions de couronnes.

Avec 3 milliards de couronnes d’exportations vers les pays arabes, soit 6% de son chiffre d’affaires total, Arla Foods représente le tiers des exportations danoises vers ces pays. Elle fait partie de trois joint venture au Liban, au Qatar et au Koweït. La firme entendait, d’ici 5 ans, doubler sa production en Arabie Saoudite, son marché le plus important dans la région, souhaitant passer de 60 000 à 120 000 tonnes. Mais, mardi dernier, le managing director Peder Tuborgh expliquait qu’il serait « très difficile » pour Arla de retrouver sa position au Moyen Orient. « Cela prendra des années mais nous souhaitons voir aboutir un dialogue qui règle le conflit et nous permette de travailler pour rétablir les bonnes relations que nous avons connues dans la région ces 30 dernières années. »

Contestation africaine et asiatique

« C’est la première fois dans l’histoire qu’un appel au boycott, émanant des pays musulmans, a un tel effet », note un journaliste d’Aujourd’hui le Maroc. Le gouvernement danois s’est dit très préoccupé. Selon lui, la multiplication des publications des caricatures dans les journaux européens pourraient aggraver la situation. Vendredi, le quotidien français Libération et l’important quotidien portugais Publico ont repris respectivement 2 et 3 dessins. Et la contestation  s’est étendue vendredi à l’Afrique et à l’Asie. Le président du Sénégal (à 95% musulman) Abdoulaye Wade a « condamné fermement » la publication des dessins, tout comme Pervez Musharraf, président du Pakistan, où des manifestations et des appels au boycott ont eu lieu à Lahore et Karachi. D’autres rassemblements ont eu lieu à Jakarta (Indonésie), à Dacca (Bangladesh) et Kuala Lumpur (Malaisie). Lors du prêche du vendredi, en Somalie et à Zanzibar, archipel au large de la Tanzanie, des imams ont également dénoncé l’attitude « insultante » des journaux européens.

Alors que le Premier ministre danois, qui avait précisé que son pays ne comptait pas présenter d’excuses, a rencontré l’ensemble du corps diplomatique à Copenhague pour évoquer la crise, le monde arabo-musulman était encore en ébullition vendredi. Après la grande prière, des milliers de fidèles musulmans ont manifesté sur l’Esplanade des mosquées à Jérusalem et des centaines d’Irakiens se sont rassemblés à Bassorah et Falloujah, où des produits danois ont été brûlés près de la mosquée al-Fourqane. En Jordanie, 2 000 personnes ont marché dans la ville de al-Zarqaa (Nord) et au Liban, des rassemblements ont eu lieu à Beyrouth et dans les camps de réfugiés palestiniens. Enfin, en Europe, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) a annoncé vendredi matin qu’elle allait porter plainte contre les journaux français qui ont publié les caricatures. « Nous voulons une condamnation symbolique pour que cela ne recommence pas », ont expliqué ses représentants.

par Olivia  Marsaud

Article publié le 03/02/2006 Dernière mise à jour le 03/02/2006 à 18:51 TU

Audio

Astrid Nielsen

Directrice de la communication d'Arla Foods

«Nos activités au Moyen-Orient se sont effondrées en cinq jours.»

[03/02/2006]

Martine Roure

Eurodéputée socialiste

«Il ne faut pas avoir peur de la caricature.»

[03/02/2006]

Soheib Bencheikh

Chercheur en science islamique, ancien mufti de Marseille

«Si les musulmans veulent vivre et cohabiter avec d’autres religions, d’autres philosophies, dans un espace areligieux qui accueille tout le monde, ils doivent s’apprêter à être choqués de temps en temps.»

[03/02/2006]

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