France
Le contrat première embauche face à la rue
(Photo: AFP)
Au son de « CPE, Contrat Première Exclusion », « Contrat Précaire d'Exploitation » ou bien encore « Contrat Poubelle Embauche », ils étaient entre 105 000 manifestants selon la police et 225 000 à travers la France, selon les organisateurs (d’après un décompte partiel de l'AFP en milieu d’après-midi), à battre le pavé dans toutes les grandes villes universitaires de France pour demander le « Retrait du CPE ! ». Certains étudiants ont parfois bénéficié du soutien des conseils d’administration des universités. A Paris, de jeunes stagiaires en entreprise ont grossi les rangs des quelque 45 000 manifestants -selon une évaluation du PC. Sous leur désormais traditionnel masque blanc, ils tenaient des cannes à pêche, auxquelles étaient suspendues des carottes, et portaient des dossards, avec l'inscription : « un CDI parce que je le vaux bien, un stage, parce que je ne vaux rien ». De leur côté, les jeunes Verts scandaient : « Nous ne sommes pas de la chair à patron, c'est le retrait que nous voulons ! ».
A Paris encore, dans le cortège conduit par les dirigeants des organisations syndicales et des mouvements étudiants et lycéens, Bernard Thibault (CGT), Bruno Julliard (Unef), Jean-Claude Mailly (FO), Karlk Stoeckler (UNL), François Chérèque (CFDT), Jacques Voisin (CFTC) marchaient au coude à coude. Derrière le carré de tête, les étudiants et lycéens de l’Unef brandissaient des pancartes proclamant « CNE-CPE, emplois précaires, on ne se laissera pas faire ». Vent debout contre le dispositif, les partis de gauche devaient se mêler aux manifestants : Marie-George Buffet (PCF), Yann Wehrling (Verts) et Olivier Besancenot (LCR). Sous couvert de ne pas vouloir « donner le sentiment que le PS manipule derrière », le Parti socialiste, quant à lui, a observé une attitude plus ambiguë. Il a incité à participer massivement mais sans bannière et en ordre dispersé. Dominique Strauss-Kahn, Bertrand Delanoë, Laurent Fabius (PS) ont défilé à Paris, « à titre individuel ».
Les sondages et la rue
Le nombre de manifestants n’a pas donné raison aux sondages, lesquels permettaient d’attendre un mouvement de plus grande ampleur. D’après un premier sondage réalisé par BVA pour BFM et Les Echos, 60% des Français jugeaient que le CPE allait augmenter la précarité et une nette majorité (67%) considérait la mobilisation « justifiée ». Un autre sondage, réalisé par l'Ifop pour Paris-Match indiquait dimanche que 55% des Français, dont 64% des 18-24 ans, donnaient raison aux syndicats de s'opposer au CPE. Où étaient aujourd’hui les quelque 60% de Français sceptiques voire résolument hostiles ? « Ce n'est pas un raz-de-marée mais on s'y attendait car il n'est pas facile de mobiliser les jeunes en période de congés », a déclaré le secrétaire général de la CFDT, François Chérèque, peu avant le départ de la manifestation parisienne -qui a démarré à 14h30.
Les syndicats, -qui avaient réuni entre 500 000 et 1 million de manifestants lors de la dernière mobilisation interprofessionnelle du 4 octobre 2005 (avec appels à la grève, contrairement à ce mardi), avaient eu la prudence de ne pas afficher un quelconque objectif de participation. Ils ont préféré inscrire la mobilisation dans la durée, aussi déterminés à ne pas baisser la garde que le gouvernement est décidé à faire passer le dispositif. « Nous voulons que le gouvernement revienne à plus de raison et ne cherche pas à imposer une mesure qui n'est pas soutenue par la population. (…) Tout l'enjeu est de mettre le gouvernement à la table des négociations plutôt que le voir s'enfermer dans sa logique. Si le Premier ministre accélère la cadence, nous accélérerons la mobilisation », a affirmé pour sa part Bernard Thibault (CGT).
« La question de la suite du mouvement se pose désormais avec légitimité »
Parallèlement à cette mobilisation, gouvernement et opposition débattaient à l’Assemblée nationale en vue de l’adoption du CPE. Dominique de Villepin a réaffirmé que la sécurité dans l'emploi passe « par des changements » et s'est dit à l'écoute de « ceux qui manifestent » contre le CPE mais aussi de « ceux qui ne manifestent pas ». Maintenant, mardi, son intention d’aller « jusqu'au bout » de l'examen du projet de loi, il a laissé planer le doute sur la possibilité d’un recours à l’article 49-3 qui interromprait immédiatement le débat à l’Assemblée. François Hollande (premier secrétaire du PS) a immédiatement réagi en faisant valoir que si tel était le cas il déposerait « bien sûr » une motion de censure –le texte ne pouvant alors être adopté qu’après rejet de cette motion. Le 49-3 est « inacceptable », ce serait « la plus mauvaise des réponses à apporter à cette demande de débat », a affirmé le porte-parole du PS Julien Dray.
Si le succès de la mobilisation n’est pas à la mesure des attente des opposants au CPE, rien ne semble définitivement joué. « La question de la suite du mouvement se pose désormais avec légitimité », a estimé le leader de la FSU, Gérard Aschieri selon lequel les organisations syndicales devraient se réunir avant la fin de la semaine pour évoquer les suites à donner à cette journée de mobilisation afin d’envisager de nouvelles actions sous quinze jours. Jean-Claude Mailly (FO) mobilise l’opinion sur la guerre des procédures : « Si le gouvernement est si sûr de lui, pourquoi n'a-t-il pas pratiqué la concertation avant ? Il a fait ça à la hussarde. Il faudrait dans ce pays qu'on s'habitue à engager des discussions entre gouvernement et syndicats et arrêter d'imposer des mesures », déclare-t-il au moment où le gouvernement ouvre les chantiers de la négociation collective et de la représentativité des syndicats.
par Dominique Raizon
Article publié le 07/02/2006 Dernière mise à jour le 09/02/2006 à 15:37 TU