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Haïti

Dépouillement sous haute-tension

Les supporters de René Préval revendiquent sa victoire au premier tour.(Photo : AFP)
Les supporters de René Préval revendiquent sa victoire au premier tour.
(Photo : AFP)

Une nouvelle aube s’est levée lundi sans apporter les résultats complets de la présidentielle du 7 février. A 6 heures 30 locales, sur son site internet, le Conseil électoral provisoire (CEP) affichait René Préval en tête avec 48, 73 % des suffrages, pour 89, 93% des «procès-verbaux traités». Avec ces 888 452 voix, pour quelque deux millions de votants, l’ancien président (1996-2001), René Préval, écrase ses 37 concurrents. Le deuxième sur la liste du CEP, l’autre ex-président, Leslie Manigat (1988), doit se contenter en effet de 11,84% des suffrages, soit 215 953 voix. Derrière lui, l’industriel Charles Baker est à 7, 93% des votes. A défaut de passer la barre des 50% des voix plus une, la majorité absolue, René Préval va devoir confirmer son score le 19 mars prochain. Mais ses partisans revendiquent déjà sa victoire.


Lundi, sitôt levés, des partisans de René Préval ont commencé à se rassembler à nouveau dans certains quartiers de la capitale autour de barricades enflammées, alimentant la très forte inquiétude de la Commission du dialogue national. Tout au long du week-end, ils ont revendiqué la victoire au premier tour de leur candidat, répandant la rumeur de manipulations destinées à donner une chance à Leslie Manigat, qui arrive en deuxième position sur la liste du CEP. «Les manifestations ne peuvent pas forcer le Conseil électoral à prendre une décision contraire à la vérité des urnes», explique un représentant de la Commission, Edouard Paultre, qui craint de voir «gâcher ce que nous avons commencé le 7 février».

Les Haïtiens ont en effet voté massivement au premier tour, 63% des 3,5 millions d'électeurs inscrits mettant entre parenthèses leur quotidien de violence et de misère pour faire la queue devant les urnes. «Vous avez dit non à l’intolérance et à la revanche, vous avez montré au monde que vous n'étiez pas un peuple violent», était venu leur dire, dimanche, l'ancien archevêque sud-africain, Mgr Desmond Tutu, héros de la lutte contre l’apartheid et prix Nobel de la paix. Lancée depuis la chaire épiscopale de la cathédrale de la Sainte-Trinité de Port-au-Prince, il n’est pas sûr que son exhorte ait été entendue par les partisans impatients de René Préval. La fièvre électorale a continué de monter avec l’effritement de son score, qui stagne en deçà de la majorité absolue.

Les partisans de Préval crient victoire

Dimanche, alors qu’un peu plus de 75% des bulletins avaient été dépouillés, le score officiel de René Préval était de 49,10%, suffisamment aux yeux de ses supporters pour célébrer sa victoire, sans plus attendre le verdict final du CEP. Ils ont donc négligé avec ostentation la recommandation de ne pas manifester avant la proclamation officielle des résultats finaux. Ceux-ci exigent que soit achevé le dépouillement des quelque 10% des bulletins de vote restants. De quoi hisser Préval au-dessus des 50%, si l’on s’en tient à la seule mécanique électorale. Pas assez pour inverser la tendance, mais suffisamment quand même pour changer la donne du second tour, le cas échéant.

Le suspense reste entier. La tension est à son comble du côté des électeurs de Préval. Brouillés avec les chiffres, ils se suffisent de la confortable avance de leur candidat pour revendiquer une victoire sans appel. Visiblement, l’idée même d’un second tour leur serait une déception. Dans le cas contraire, ce sont leurs adversaires qui risquent de s’échauffer en dénonçant un passage en force au premier tour. Entre les deux, le CEP est sous haute pression.

Lundi, la Commission du dialogue national a demandé à René Préval de rappeler ses partisans au bon ordre électoral. Les 5 000 policiers haïtiens et surtout les 9 500 casques bleus sont sur le pied de guerre. Ils avaient pourtant cru pouvoir souffler, en observant la décrue de la violence, très nette pendant le scrutin. Les bandes armées aussi retiennent leur souffle. Certaines des plus virulentes sont intéressées à la victoire de René Préval, lui-même membre de la Famille Lavalas du président déchu, Jean-Bertrand Aristide. René Préval entend se démarquer du personnage «Titid», dont il ne souhaite sans doute pas vraiment le retour au pays, espéré par ses partisans, puissants relais dans les quartiers qu’ils noyautent, à Cité-Soleil notamment. Mais pour l’heure, l’essentiel pour René Préval est de relever l’héritage électoral d’Aristide. La partie n’est pas finie.

Originaire des milieux aisés d’Artibonite et agronome de formation, René Préval s’est présenté à 63 ans, sous les couleurs mélangées d’une plate-forme, Lespwa. Dimanche, il définissait déjà les «objectifs principaux de [sa] présidence: Mettre en place les institutions constitutionnelles, créer un atmosphère de paix, de développement et de sécurité pour attirer des investissements privés». En même temps, il se réclamait lui-aussi déjà d’une victoire assurée. «Le peuple a l'espoir d'avoir un gouvernement qui ne volera pas son argent, qui leur donnera la vérité et qui ne va pas dire le contraire de ce qu'il doit dire», argumentait-il, avant de conclure : «Le peuple n'a pas voté pour moi, mais pour lui-même ». Vérité du peuple ou verdict du CEP, le résultat final s’annonce difficile à rendre.


par Monique  Mas

Article publié le 13/02/2006 Dernière mise à jour le 13/02/2006 à 17:08 TU

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Paul Béranger

Président de la mission de l'Organisation internationale de la Francophonie en Haïti

«Je serai étonné si René Préval n'est pas élu au premier tour, mais les élections c'est les élections»

[13/02/2006]

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