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Haïti

L’espérance dans les urnes

Même les arbres servent de support électoral.(Photo : Manu Pochez/RFI)
Même les arbres servent de support électoral.
(Photo : Manu Pochez/RFI)
Deux ans après la chute et le départ en exil de Jean-Bertrand Aristide, les Haïtiens s’apprêtent à élire un nouveau chef de l’Etat. Après quatre reports consécutifs, des élections présidentielle et législatives doivent enfin avoir lieu ce mardi. Les autorités du pays assurent avoir pris toutes les précautions pour que le scrutin se déroule sans fraude ni violence. La population hésite entre espoir et inquiétude.

De notre envoyée spéciale en Haïti

Sur le mur de la cité est écrit : «Vote Préval. Vive le retour d'Aristide».(Photo : Manu Pochez/RFI)
Sur le mur de la cité est écrit : «Vote Préval. Vive le retour d'Aristide».
(Photo : Manu Pochez/RFI)

«Votez Préval», «Préval président», les graffitis qui recouvrent les murs des bicoques de Cité-Soleil ne laissent aucun doute sur les intentions de vote des habitants du plus grand bidonville de la capitale haïtienne. Dans cette zone de non-droit où la Minustah, la force des Nations unies déployée en Haïti, ne fait que de très rares incursions et où les bandes armées font régner leur loi, l’ancien Premier ministre de Jean-Bertrand Aristide, qui lui a succédé à la tête de l’Etat en 1996, remporte tous les suffrages.

«Avec Préval comme président, Aristide pourra rentrer au pays en citoyen d’honneur», lance Moïse, vingt-huit ans, qui annonce fièrement avoir un poster de «Titid» au-dessus de son lit. «Seul Préval est du côté du peuple», renchérit son ami Maxence, une casquette aux couleurs de son candidat vissée sur le crâne. Mais, pour voter, les habitants de Cité-Soleil devront sortir de leur bidonville où, pour des raisons de sécurité, le Conseil électoral provisoire (CEP) a décidé de ne pas installer de bureau de vote. «Je ne peux pas rentrer à Cité-Soleil, je ne peux pas demander aux agents électoraux de le faire, c’est une question morale», explique Jacques Bernard, le directeur du CEP.

A l’approche du scrutin, l’atmosphère est relativement calme à Cité-Soleil. Dans la nuit de jeudi à vendredi, seules deux blessées par balles, victimes de violence conjugale, ont été accueillies à l’hôpital Sainte-Catherine, géré par l’association Médecins sans frontière au cœur du bidonville. En janvier, les affrontements entre la Minustah et les bandes armées avaient fait plus de 200 blessés. «C’est la trêve, nous attendons dans le calme le résultat des élections», explique Pierre-Auguste, qui porte un pistolet à la ceinture. Et il ajoute «Nous sommes sûrs que Préval sera élu. Si ce n’est pas le cas, nous mettrons le feu au pays

«Ici, tout peut basculer très vite»

Le commissariat de la cité Soleil.(Photo : Manu Pochez/RFI)
Le commissariat de Cité-Soleil.
(Photo : Manu Pochez/RFI)

Sur la place Saint-Pierre de Pétionville, le quartier le plus riche de Port-au-Prince, deux femmes assises à l’ombre d’un figuier partagent leurs inquiétudes. «Je crains des manifestations le jour des élections», dit l’une d’elle, en ajoutant, «ici, tout peut basculer dans la violence si rapidement.» «Nous devons faire des provisions, acheter de quoi nourrir nos familles pendant quelques jours au cas où …», renchérit son amie, «mais les prix ont beaucoup augmenté, et nous n’avons pas d’argent. Tout le monde vit au jour le jour en Haïti». Dans sa résidence située à non loin de là, Robert Labrousse, patron d’une entreprise qui fabrique des produits d’entretien confirme que «l’économie nationale est en ruine».

«Mon usine a été pillée la semaine dernière par des bandits armés. Ils ont même emporté les fenêtres et les cabinets de toilette. Ce qu’ils ne pouvaient pas emporter a été saccagé. Cela représente un demi-million d’euros de pertes. Et mes cinquante employés sont désormais au chômage», regrette Robert Labrousse. Mais il ne baisse pas les bras et se dit prêt à tout recommencer. «Ce n’est pas l’argent qui fait l’homme», dit il, «mais l’homme qui fait l’argent».

Devant le bureau électoral de Mirebalais, à quelques heures de route de Port-au- Prince, une file d’attente se forme dès les premières heures de la matinée. «C’est la sixième fois que je viens pour retirer ma carte d’identification nationale», soupire un paysan, «si je ne l’obtiens pas aujourd’hui, c’est décidé je renonce à voter. J’habite dans la montagne, cela me coûte cher de venir jusqu’ici !» A l’intérieur, un électeur brandit le précieux sésame. «Je suis content, mais le bureau de vote où je suis affecté se trouve à cinq heures de marche de chez moi. Il me faudra toute la journée pour aller voter !», explique-t-il. La fabrication de ces cartes informatisées, qui comportent la photo et l’empreinte digitale des titulaires, a coûté plus de vingt millions d’euros à la communauté internationale. «C’est cher, mais c’est un acquis important pour le pays. Ces cartes serviront désormais de carte d’identité pour 3,5 millions d’Haïtiens», précise le chef du bureau électoral de Mirebalais.

Sur le plateau central haïtien, des véhicules 4x4, bardés d’affiches électorales et équipés de hauts-parleurs, diffusent de la musique à plein volume et appellent les électeurs à voter pour leurs candidats. Le convoi soulève un nuage de poussière. Assise sur le bord de la piste, une femme cuisine sur un réchaud sommaire. Marie-Ange se dit prête à voter. Elle attend beaucoup de son futur député: «Nous avons besoin d’eau potable et d’un centre de santé. Nous sommes démunis de tout par ici». Marie Ange retourne ses beignets dans l’huile frémissante et conclut : «J’ignore ce que ces élections vont nous apporter: nous espérons le meilleur, mais nous récolterons peut être le pire. Dieu seul le sait».


par Anne  Corpet

Article publié le 06/02/2006 Dernière mise à jour le 07/02/2006 à 12:42 TU

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