Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Haïti

Un test pour l’ONU

En Haïti, l'ONU reprend la gestion de la crise au pire moment, après les inondations des 23 et 24 mai 2004. 

		(Photo: AFP)
En Haïti, l'ONU reprend la gestion de la crise au pire moment, après les inondations des 23 et 24 mai 2004.
(Photo: AFP)
Depuis le 1er juin, une nouvelle mission de l’ONU est en cours de déploiement en Haïti. A terme, cette Mission de stabilisation des Nations unies en Haïti (Minustha) déploiera 6700 Casques bleus et 1622 policier civils, issus d’une trentaine de pays. Mais, après l’échec de sa précédente mission, l’organisation internationale doit aujourd’hui donner des gages de sa volonté de mener à bien l’ambitieux mandat qu’elle s’est fixée.

«Tâchons cette fois de réussir!». Cet extrait du message d’encouragement du secrétaire général de l’ONU en dit long sur la difficulté de la tâche et l’incertitude de parvenir à un résultat acceptable. De l’aveu même du chef militaire de la Mission de stabilisation des Nations unies en Haïti (Minustha), la mission «sera très difficile». Car l’organisation internationale a déjà échoué en Haïti. Entre 1995 et 2000, après l’intervention militaire américaine et la chute de la dictature du général Cédras, l’ONU prend la relève des soldats venus réhabiliter, en 1994, le pouvoir légitime du président Aristide. Compte tenu de l’état de délabrement chronique dans lequel se trouve le pays, la mission est mal définie, sa durée est trop courte et ses moyens trop faibles. Au final, la démocratie n’est pas rétablie, la misère n’est pas jugulée, les droits de l’homme toujours malmenés.

Lorsque les forces de l’ONU débarquent en Haïti, malgré les efforts fournis au cours des premières semaines, rapidement la confusion s’installe sur l’objectif de ces forces étrangères dont la présence rappelle, historiquement, de mauvais souvenirs. Dotées de pouvoirs limités, elles n’interviennent pas dans la gestion quotidienne des conflits, accentuant la perplexité des Haïtiens. Des incidents regrettables attisent les malentendus. Des membres du contingent international commettent des viols qui resteront impunis. Enfin, avec l’arrivée de ces nouveaux expatriés en uniforme, le dollar s’installe et les prix montent.

Gagner la confiance des Haïtiens

Sur la plan politique, les Haïtiens s’interrogent également sur le comportement de cette armada de 20 000 hommes venue restaurer la démocratie, mais qui néglige, à l’instar du gotha international de passage à Port-au-Prince, le pouvoir légitime du chef de l’Etat René Préval (élu en 1995) et réserve ses faveurs à l’ex (et futur) président Jean-Bertrand Aristide, solidement protégé alors que certaines régions du pays ne disposent d’aucune force de maintien de l’ordre. Au sein de la population s’installe l’idée que la mission de l’ONU n’est pas d’accompagner le peuple haïtien vers une vie meilleure, mais de préparer la réélection de l’ancien président déchu qui, à partir de 1997, prépare son retour et recrute des miliciens.

Dans ce pays exsangue, et qui garde le souvenir de puissances étrangères malveillantes à son égard, l’ONU doit prouver sa bonne foi et ses bonnes intentions seront jugées sur pièces. Après l’intervention et l’occupation américaine des années 1915-1934, après l’intervention américaine et la première mission de l’ONU des années 1994-2000, cette étape apparaît a priori comme une nouvelle épreuve pour nombre d’Haïtiens. La première épreuve de l’ONU sera donc de gagner la confiance des Haïtiens.

«Assurer la viabilité» du pays

Pour mener à bien le mandat qu’elle s’est fixée, l’organisation internationale inscrit son action dans la durée. Selon le message du secrétaire général, elle s’engage à «assurer la viabilité» du pays. Première étape: conforter la stabilité politique dans la perspective des élections générales de 2005 en garantissant le désarmement, la démobilisation et la réinsertion des groupes armés. La délinquance, les gangs armés, les kidnappings et le trafic de drogue demeure encore en effet l’une des principales hypothèques à la normalisation de la vie publique. Tirant les leçons de l’échec de la précédente mission, cette fois-ci la résolution 1542 donne des moyens élargis aux Casques bleus en inscrivant leur mandat dans le cadre du chapitre VII de la Charte de l’ONU, qui autorise le recours à la force.

La seconde étape, capitale et qui conditionne tout le reste, sera de sortir Haïti du marasme socio-économique dans lequel le pays est durablement plongé. Une conférence des donateurs doit se réunir, à la mi-juillet à Bruxelles. La réunion permettra d’éprouver la générosité de la communauté internationale et sa volonté réelle d’engagement dans les domaines structurels que sont les questions socio-économiques, la santé, l’éducation. C’est là que les Haïtiens attendent leurs partenaires.

Au pire moment

Les premiers signaux envoyés par la communauté internationale sont diversement interprétés sur place. Si les autorités se félicitent de la contribution internationale à la restauration de la paix civile, il n’a échappé à personne que la première partie de l’intervention fut militaire et que l’initiative en est revenue à la France et aux Etats-Unis, deux pays occidentaux qui, du point de vue des Haïtiens, ont beaucoup à se faire pardonner. Pour nombre d’entre eux, la présence de ce corps expéditionnaire n’est ni plus ni moins qu’une nouvelle occupation étrangère, en dépit du fait qu’elle a mis un terme à une situation qui menaçait de dégénérer en chaos. Officielle depuis le 1er juin, la passation des pouvoirs à l’ONU, dont la légitimité est moins sujette à caution, prendra toutefois encore plusieurs semaines. Pour obtenir l’ensemble des forces préconisées par le Conseil de sécurité, il a quand même fallu réunir une trentaine de nations, dont un fort contingent de soldats originaires du Brésil (1200 hommes) qui prend le commandement de la force internationale.

Enfin l’ONU reprend la gestion de la crise au pire moment. L’île d’Hispaniola, que se partagent Haïti et Saint Domingue, vient d’être ravagée par des inondations dévastatrices qui ont fait de très nombreuses victimes, les 23 et 24 mai. Haïti déplore plus d’un millier de morts et 1600 disparus. Dans l’est du pays les destructions occasionnées par les torrents de boue sont considérables. La situation sanitaire est épouvantable. Un médecin cubain, exerçant sur place et rompu au climat et aux aléas, déclarait éprouver des craintes… pour sa propre santé! Les agences de l’organisation internationale, attendues en premier lieu sur ce terrain-là, vont être mises à rude épreuve. C’est un premier test pour l’organisation internationale qui va devoir affronter une situation inattendue alors que ces effectifs ne sont pas encore opérationnels.



par Georges  Abou

Article publié le 03/06/2004 Dernière mise à jour le 03/06/2004 à 13:52 TU