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Haïti

La direction du gouvernement confiée à un «expert»

Le Comité des Sages haïtien a choisi de confier la gestion de la sortie de crise à un expert. Dans les circonstances présentes, Gérard Latortue semble en effet avoir les atouts nécessaires pour remplir la fonction de Premier ministre de transition. Outre une solide formation universitaire, acquise à Port-au-Prince et à l’étranger, c’est un fonctionnaire international de haut rang et il dispose d’un solide carnet d’adresses.
Le nouveau Premier ministre haïtien était injoignable dans la journée de mercredi, vraisemblablement en route vers son pays, de retour d’un long exil aux Etats-Unis, en Floride, d’où il poursuivait une carrière d’opposant politique et d’universitaire. A 69 ans, Gérard Latortue a parcouru toutes les étapes d’un intellectuel engagé et rompu aux exercices d’une vie publique auxquels il a consacré l’essentiel de son activité professionnelle. Economiste et juriste de formation, après des études poursuivies à Port-au-Prince et à Paris, il s’inscrit au barreau de la capitale haïtienne à son retour en 1960 avant de devenir professeur de droit et d’économie.

Menacé par la dictature de Papa Doc (François Duvalier), il est contraint à un premier exil en 1963 et poursuit sa carrière d’enseignant à l’université inter-américaine de Porto-Rico. Il rejoint enfin le système de l’Onu en 1972, dans lequel il gravira tous les échelons au sein de l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi). A l’exception toutefois d’un intermède, en 1988, au cours duquel il rejoint son pays pour occuper la fonction de ministre des Affaires étrangères, de la Coopération internationale et des Cultes dans le gouvernement du président Leslie Manigat, peu après la chute de Baby Doc, le fils Duvalier (1986).

L’expérience ne dure que quelques mois. Manigat est renversé par un coup d’Etat militaire le 20 juin 1988, contraignant Gérard Latortue à un nouvel exil. Il retourne à l’Onudi, jusqu’en 1994, avant de devenir, l’année suivante, secrétaire général de l’association des universités et centres de recherches de la Caraïbe, dont le siège est à Porto-Rico. Mais c’est en Floride, à Boca Raton, qu’il s’installe, où, parmi ses activités, il a notamment animé des émissions de télévision destinées à la communauté haïtienne en exil.

Le nom de Gérard Latortue n’est donc pas sorti au hasard, comme tiré d’un chapeau. Le comité des Sages qui l’a désigné a soigneusement pesé ses qualités personnelles et politiques, ainsi que sa capacité à fédérer sur son nom les bonnes dispositions internationales qui ne manqueront pas d’être sollicitées pour inverser le cours de l’histoire haïtienne. Le nouveau Premier ministre doit affronter au cours de ces prochains mois un très lourd cahier des charges, entre problèmes matériels, questions politiques et insécurité. Si, en raison des événements, Port-au-Prince peut compter à court et moyen termes sur un effort soutenu de la communauté internationale, les Haïtiens peuvent redouter qu’une autre crise ne vienne distraire les meilleures volontés du monde et les orienter vers d’autres urgences.

«Dix ans ou plus»

Or, en choisissant une personnalité aussi introduite dans les rouages de la diplomatie internationale, du système de l’Onu et des usages américains, le comité des Sages a parié sur la capacité d’un drainage à long terme de l’aide internationale. Le secrétaire général de l’Onu soutient cette hypothèse. Selon Kofi Annan, il faudra «dix ans ou plus» pour parvenir à relever le pays. D’ores et déjà il a lancé un appel à une aide d’urgence de 35 millions de dollars pour ces six prochains mois, alors que les premiers membres de l’équipe d’évaluation de l’Onu étaient attendus mercredi sur place.

De son exil américain, Gérard Latortue avait anticipé ce scénario. Il y a quelques mois déjà, alors que la situation laissait présager des heures difficiles pour Haïti, il estimait que le moment était propice à l’installation d’une autorité intérimaire de consensus. Et il se déclarait disposé à assumer ses responsabilités.

Tandis qu’Haïti tente de se reconstruire une vie institutionnelle, d’autres épisodes se poursuivent hors du pays, et notamment en Centrafrique ou, mercredi, à Bangui, une délégation sud-africaine rencontrait le président en exil, Jean-Bertrand Aristide. A l’issue de l’entretien, le vice-ministre sud-africain des Affaires étrangères a déclarait qu’il n'est «pas sûr» que son pays accueille le président haïtien déchu.

Ecouter également : Gérard Latortue, avant son départ pour Haïti, interrogé par Frank Weil-Rabaud.



par Georges  Abou

Article publié le 10/03/2004