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Haïti

Les partisans d’Aristide tirent sur la foule

De très graves incidents ont marqué la manifestation de dimanche à Port-au-Prince où au moins six personnes ont été tuées par balles et plus de trente-quatre autres ont été blessées, dont certaines grièvement. Parmi les victimes, on compte un journaliste mort et quatre autres blessés. Selon de nombreux témoins, des partisans du président en exil, Jean-Bertrand Aristide, ont tiré dans la foule.


La manifestation avait été organisée à l’initiative des opposants du président déchu. Elle s’est déroulée sans incident et dans une ambiance plutôt festive jusqu’au déclenchement des violences, lors de la dislocation du cortège sur le Champ de Mars, face au palais présidentiel.
Ecouter le reportage de nos envoyés spéciaux Catherine Monnet et Manu Pochez, 08/03/2004, 1'22


Les violences ont éclaté à la fin de la manifestation, alors que le cortège rejoignait le Champ de Mars, près du palais présidentiel. Des témoins rapportent que des hommes liés au mouvement Lavalas, le parti d’Aristide, ont fait irruption dans la manifestation à bord de camionnettes et ont tiré dans la foule. Un étudiant qui participait à la manifestation affirme avoir vu une centaine de miliciens de l’ancien régime à quelques centaines de mètres du Champ de Mars. Selon ses déclarations à l’agence de presse Reuters, «ils tiraient sur la foule depuis les toits» environnants. Ce déclenchement de la violence a créé un mouvement de panique, chacun tentant de se mettre à l’abri. Selon le nouveau chef de la police haïtienne, Léonce Charles, «cela a été un massacre». Le Premier ministre Yvon Neptune a demandé à la police de traquer les «assassins» et à la force internationale de procéder au désarmement de la population.

Dans le contexte actuel de vide politique et d’insécurité, la police haïtienne, dernière institution du pays, a été mise en accusation et des membres de l’opposition se sont élevés contre «l’inaction» des forces étrangères. Le chef de la rébellion, dont les hommes ont précipité la chute du régime, a accusé ces forces étrangères de ne pas prendre leurs «responsabilités». Guy Philippe a notamment déclaré qu’il serait «très bientôt dans l’obligation de donner l’ordre à ses troupes de reprendre les armes qu’elles avaient déposées». Celui-ci a réclamé l’arrestation du Premier ministre d’Aristide, Yvon Neptune, qu’il a accusé d’avoir «planifié toutes les violences de dimanche». Ce dernier est toujours en exercice en attendant la désignation d’une nouvelle équipe de transition.

Les très graves incidents qui ont marqué la manifestation de dimanche constituent en tout cas un échec pour les soldats de la force intérimaire déployés en Haïti et se sont montrés incapables de prévenir le déchaînement de violence final. Au cours des premières heures de manifestation, une dispositif militaire terrestre et aérien avait été mis en place pour assurer une présence dissuasive contre tout dérapage. Des véhicules blindés américains et des gardes-mobiles français ouvraient la marche, tandis que des hélicoptères survolaient la foule. De fait, au cours des quatre premières heures, aucun incident n’a été déploré et la manifestation s’est poursuivie dans une ambiance de carnaval, les participants réclamant l’arrestation et le jugement du président en exil, avant le dénouement tragique de la fête.

Cette brusque détérioration de la situation a porté un coup supplémentaire à la crédibilité du contingent international dont les effectifs présents sur les lieux étaient censés «garantir la sécurité de la manifestation», selon un membre des marines. Les déclarations radiodiffusées d’un responsable français selon lesquelles «dans toute manifestation, il y a des dérapages», ont achevé de provoquer la colère des habitants de Port-au-Prince, soulevant de nombreuses protestations, certains réclamant des «excuses».

L’Union africaine rejoint le camp des protestataires

Sur le plan politique, le processus visant à combler le vide institutionnel créé par le départ du président, le 29 février, est sur le point d’aboutir à la désignation d’une nouvelle équipe. La semaine dernière, la communauté internationale, le parti présidentiel Lavalas et l’opposition ont nommé leurs délégués, conformément au plan suggéré par la communauté internationale. Ces derniers ont ensuite désigné un Conseil de sept sages qui devrait, apprend-on, rendre public mardi le nom du prochain Premier ministre appelé à remplacer Yvon Neptune. Parmi les noms qui circulent, les plus couramment cités sont ceux de l’ancien général à la retraite Hérard Abraham et du commerçant Smart Michel, ancien Premier ministre d’Aristide de 1994 à 1995, avant de prendre ses distances. Et selon l’une des membres du Conseil, la composition du nouveau gouvernement sera connue samedi.

Par ailleurs, la dimension africaine de cette crise demeure très présente avec, lundi, la première apparition publique du président à Bangui, première étape d’un exil qui pourrait le conduire ultérieurement en Afrique du Sud. Lors d’une conférence de presse organisée par le ministère centrafricain des Affaires étrangères, Jean-Bertrand Aristide, accompagné de son épouse, a désamorcé les rumeurs qui circulaient sur sa situation en indiquant qu’il n’était pas retenu prisonnier en République centrafricaine. Il a néanmoins réaffirmé qu’il avait bien été victime d’un «enlèvement politique (qui) a malheureusement ouvert la voie à une occupation». «Je suis le président élu et je reste le président élu», a-t-il dit en lançant «un appel à une résistance pacifique, je pèse mes mots, à une résistance pacifique», a-t-il souligné.

Enfin, dans un communiqué publié lundi à Addis Abeba, l’Union africaine a rejoint le groupe des demandeurs d’explications sur les circonstances du départ en exil de Jean-Bertrand Aristide. L’UA réclame une enquête sous les auspices de l’Onu et soutient dans ce dossier l’appel lancé par le groupe des pays de la région Caraïbes (Caricom). L’UA estime d’autre part que la procédure «inconstitutionnelle» utilisée pour écarter Aristide du pouvoir crée un dangereux précédent et elle exige qu’aucune mesure ne soit prise pour légitimer les forces rebelles. L’organisation panafricaine annonce qu’elle va engager des consultations avec la Caricom, puis l’Onu, sur les moyens de favoriser un retour rapide à la démocratie constitutionnelle en Haïti. Elle exhorte ses pays membres à accorder l’asile politique au président déchu, promettant son soutien à celui qui accepterait de l’accueillir.



par Georges  Abou

Article publié le 08/03/2004