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Haïti

Incertitudes politiques après l’épreuve de force

La démission-destitution du président haïtien élu va peut-être poser plus de problèmes qu’elle ne va en résoudre. En effet, après l’épreuve de force s’annonce à présent une incertitude politique directement liée à la nature des circonstances qui ont provoqué la chute de Jean-Bertrand Aristide et notamment à la présence, parmi les termes de l’équation politique, d’une incontournable force militaire insurgée.
Les événements ont finalement eu raison, sur le plan intérieur, de la légitimité d’un président malgré tout élu et, sur le plan extérieur, de la volonté de la communauté internationale a s’accrocher à un processus institutionnel. Le départ précipité, dimanche, du président Aristide évoque également l’incapacité de cette communauté internationale à anticiper les conséquences de l’exaspération des Haïtiens. Entre coup d’Etat militaire et insurrection populaire, l’habillage de la «destitution» du président en «démission», pour éviter un bain de sang, ne fait pas illusion : Jean-Bertrand Aristide a bien été chassé par les armes de son palais présidentiel. C’est aujourd’hui l’un des paramètres de l’équation haïtienne, parmi ceux qui pèseront les plus lourds dans la reconstruction d’une vie publique normale. Le président en exercice de la communauté régionale Caraïbes Caricom, appartenant au groupe de contact international chargé de trouver une solution négociée à la crise avant son dénouement militaire, a déploré ces conditions du règlement du conflit haïtien. «La destitution du président Aristide, dans ces circonstances, établit un précédent dangereux pour les gouvernements démocratiquement élus un peu partout, car elle va dans le sens d’un remplacement, sous l’action des forces rebelles, de personnes élues en bonne et due forme», déclare P.J. Patterson, également Premier ministre de la Jamaïque.

Le constat par la communauté internationale que la situation haïtienne était parvenue à un point de non-retour a été tardif. Après plusieurs mois de graves troubles politiques et plusieurs semaines d’insurrection armée, menée notamment par d’ex-miliciens du régime et d’anciens opposants de retour d’exil, ce n’est qu’au cours des derniers jours de règne du président que la communauté internationale s’est finalement résolue à lâcher Jean-Bertrand Aristide, et avec lui le principe d’une solution négociée entre le pouvoir et l’opposition dans le cadre des institutions.

Les événements se sont brusquement accélérés en fin de semaine lorsque Washington, peu après Paris, a publiquement admis à son tour que le président n’était pas la solution mais le problème. La menace du chaos, et d’une victoire militaire totale des rebelles en armes, a hâté le dénouement ainsi que le déploiement des premiers éléments d’une force internationale. Tandis que les forces spéciales canadiennes «sécurisaient» l’aéroport de la capitale, les premiers marines états-uniens organisaient l’exfiltration de Jean-Bertrand Aristide dimanche, à l’aube, peu après sa passation de pouvoir au président de la cour de cassation, Boniface Alexandre, héritier constitutionnel du président démissionnaire. Le premier acte accompli par le nouveau président par intérim a été de lancer un appel à l’aide à l’Onu. C’est ainsi que dans la nuit de dimanche à lundi, à New York, le conseil de sécurité procurait au corps expéditionnaire étranger en cours de déploiement la légitimité internationale requise en lui accordant le titre de «force intérimaire» en attendant, d’ici trois mois au plus tard, le déploiement d’une mission de casques bleus.

Dans les heures ou les jours qui viennent, près d’un millier de soldats en provenance des Etats-Unis, du Canada, de France, et du Brésil devraient prendre position en Haïti. Cette force intérimaire a pour mission de «contribuer au rétablissement d’un environnement sûr et stable» afin d’aider à la stabilisation politique et à l’acheminement de l’assistance humanitaire.

«Les insurgés doivent faire partie de la solution, car ce sont des Haïtiens»

Après cet épisode marqué par le désordre et la confusion institutionnelle la question de la stabilisation politique et du retour à une vie politique sereine soulève nombre de questions. A commencer par celle de la présence de rebelles en armes, toujours opérationnels, aux portes de la capitale. Cette présence fait toujours peser une très lourde hypothèque sur l’avenir du pays et la normalisation de la situation, avec la question de savoir quelles seront leurs exigences. Ces insurgés, qui se sont emparés de l’essentiel du territoire haïtien, qui campent à moins d’une heure du palais présidentiel et dont des éléments sont présents à Port-au-Prince, ont pesé d’un poids déterminant sur la chute du président élu et ont largement contribué à l’instauration de ce pouvoir de fait dont la constitutionnalité est contestable. En dépit de leurs proclamations initiales, ils n’ont pas désarmé, bien qu’ils aient appelé à l’intervention militaire étrangère et se félicitent de la présence du contingent international. Ils sont définitivement identifiés comme l’un des termes de l’équation. Et le resteront au cours de ces prochains mois. Ils ne rendront vraisemblablement pas leurs armes avant d’avoir obtenu des gages politiques, voire négocié leur propre DDR (désarmement, démobilisation, réinsertion), selon la terminologie onusienne. D’ores et déjà, parmi les opposants légalistes (non armés), André Apaid déclare que «les insurgés doivent faire partie de la solution, car ce sont des Haïtiens». De son côté Evans Paul, un autre dirigeant de l’opposition institutionnelle, a annoncé une réunion pour le 1er mars avec des représentants des insurgés. Une première, depuis le début de la crise.

Lundi 1er mars, un communiqué de la présidence centrafricaine indiquait que c’est à la demande du président gabonais Omar Bongo, réputé très proche de Paris, que Bangui avait «accepté de recevoir et d’accueillir l’ancien président de la toute première république noire du monde», à titre «purement humanitaire». Dans une courte allocution de remerciement diffusée sur les ondes de la radio centrafricaine, Jean-Bertrand Aristide a estimé qu’en le «renversant, on a abattu le tronc d’arbre de la Paix, mais il repoussera car ses racines sont ‘louverturiennes’», a-t-il dit, en référence au héros de l’indépendance d’Haïti, Toussaint Louverture. On prête à Jean-Bertrand Aristide le projet de poursuivre son exil en Afrique du Sud, dont les autorités l’ont soutenu jusqu’au bout et dont le président Thabo Mbeki a été parmi les seuls chefs d’Etat à faire le voyage de Port-au-Prince en début d’année pour participer aux cérémonies du bicentenaire de l’indépendance du pays. La diplomatie sud-africaine indique qu’aucune demande d’asile ne lui est encore parvenue.


Lire également:

Le portrait de Jean-Bernard Aristide, par Franck Weil-Rabaud.

Ecouter également:

L'historien Leslie Manigat, ancien président de la République haïtienne et chef du mouvement d'opposition, le «Rassemblement des démocrates nationaux progressistes», qui est en visite de travail aux Etats-Unis et répond aux questions de Noëlle Velly.

Lilas Desquiron, ancienne ministre de la Culture et de la Communication du gouvernement de Jean-Bertrand Aristide, au micro de Pierre Ganz.

Pallo Jordan, président de la commission des affaires étrangères au parlement sud-africain.



par Georges  Abou

Article publié le 01/03/2004