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Haïti

Vers un départ d’Aristide

Face à la dégradation de la situation, la France a demandé au président Aristide de «tirer les conséquences» de sa «lourde responsabilité dans la situation actuelle». La question de son départ n’est donc plus taboue, ni à Paris, ni à Washington. Reste à trouver la formule qui, tout en prenant acte de la victoire politique de l’opposition et militaire de l’insurrection, sauverait les apparences institutionnelles. Paris propose un plan de sortie de crise.
«La voie est étroite car il nous faut à la fois prendre en compte le respect des principes démocratiques et constitutionnels, refusant que la force pure puisse avoir le dernier mot, et faire face à la réalité telle qu’elle est, un régime aujourd’hui dans l’impasse qui s’est déjà affranchi de la légalité constitutionnelle». En conséquence le «président Aristide, (…) porte une lourde responsabilité dans la situation actuelle. Il lui appartient d’en tirer les conséquences dans le respect du droit. C’est sa décision, c’est sa responsabilité. Chacun voit bien qu’il s’agit d’ouvrir une nouvelle page dans l’histoire d’Haïti». La déclaration du chef de la diplomatie française, Dominique de Villepin, publiée le 25 février par le ministère français des Affaires étrangères n’appelle certes pas explicitement à la démission de Jean-Bertrand Aristide, mais ressemble fort à une exhortation au réalisme et à une invitation à quitter le pouvoir.

La France lâche-t-elle Aristide ? Paris en tout cas fait le constat d’une situation inextricable. Après plusieurs mois de désordres et près de quatre semaines d’une insurrection qui a déjà fait une cinquantaine de morts, les autorités françaises redoutent un dénouement tragique à la crise haïtienne. Les insurgés ne cachent pas leur volonté de s’emparer aussitôt que possible de la capitale et les informations en provenance de Port-au-Prince font craindre de la part de ses défenseurs, des miliciens fraîchement recrutés et armés à la hâte, des dérives incontrôlables. La France exprime donc clairement sa volonté d’aller de l’avant, avant que des actions irréparables et préjudiciables à la reconstruction ne soient commises. Mais l’intervention de M. Villepin n’est ni surprenante ni décalée par rapport à ses précédentes prises de position. On observait en effet depuis l’accélération des événements en Haïti que la diplomatie française se distinguait de l’américaine par une approche plus volontariste, et plus interventionniste sur le plan militaire dans le conflit : le quai d’Orsay avait même évoqué la mise à disposition des moyens militaires français régionaux, guyanais et antillais. De son côté, en revanche, préoccupé par ses propres conflits extérieur et domestique, Washington semblait adopter une attitude plus suiviste, s’en remettant davantage au cadre fixé par la communauté internationale, et réaffirmant périodiquement son souci d’un règlement dans le cadre des institutions, prévoyant notamment le maintien au pouvoir du président Aristide, préalable à l’établissement d’une coopération policière technique.

Pourtant, ni à Washington, ni à Paris, on n’a manqué de souligner la permanence des contacts et il est vraisemblable que la déclaration française du 25 février, si elle marque un tournant en levant le tabou du maintien du président, n’a pas pu être prise sans concertation avec les autres membres de la communauté internationale embarqués dans cette aventure diplomatique qui réclame à la fois vivacité et sagesse. Car c’est davantage qu’une simple déclaration que formule la France. C’est un plan complet, en cinq points, qui prend en compte toute les phases de la crise, depuis le retour à la paix civile jusqu’au plan de reconstruction du pays : du très court terme au très long terme.

La distance Paris-Washington

En même temps que la mise en place d’un gouvernement d’union nationale, Dominique de Villepin propose en effet le déploiement d’une force internationale chargée d’assurer le retour à l’ordre public. Il préconise l’organisation dans de brefs délais, avant l’été, d’une élection présidentielle organisée avec l’aide de la communauté internationale. Il réclame l’acheminement sur place d’une aide humanitaire, l’envoi de missions d’observateurs des droits de l’homme et, enfin, un engagement à long terme pour une aide internationale à la reconstruction économique et sociale du pays. L’ensemble du dispositif, écrit-il, «devrait être légitimé et mis en place par la communauté internationale», l’Organisation des Etats américains (OEA) et la communauté régionale Caraïbes (CARICOM) travaillant sous mandat du conseil de sécurité de l’Onu, dont un représentant du secrétaire général serait chargé de la coordination des différents acteurs de terrain appelés à intervenir.

Le projet évoque également la tenue de discussions, vendredi 27 février à Paris, avec les autorités de Port-au-Prince et l’opposition légaliste. Mais cette dernière a décliné l’invitation la qualifiant «d’inopportune». «Ce qui se passe sur le terrain nous empêche d’y aller», a déclaré l’un des leaders d’opposition, ajoutant : «si nous y allons, il n’est pas question de rencontrer à Paris une quelconque délégation du gouvernement Lavalas (le parti au pouvoir, créé par Jean-Bertrand Aristide)».

Reste à mesurer la distance qui sépare encore les positions des membres de la communauté internationale en charge du dossier. Il semble que la distance entre Américains et Français s’est réduite au cours de ces derniers jours, à mesure que l’insurrection progressait et s’emparait des principales villes du pays, mettant en fuite les éléments de la police fidèles aux autorités. Bien que les chefs de la rébellion démentent toute ambition politique autre que la chute du régime leur victoire militaire totale ferait peser une lourde hypothèque sur l’avenir du pays, en leur accordant la place d’interlocuteurs privilégiés dont personne ne souhaite qu’il puisse s’en prévaloir, ni en Haïti, ni ailleurs. En attendant ils continuent de faire monter la pression en annonçant que la chute de la capitale n’est plus qu’une question de jours et qu’ils veulent «capturer le président pour le juger pour crime de haute trahison, assassinats, vols, etc.».

Dans ce contexte, Washington a pris ses distances vis à vis du régime et n’exclut plus le départ de Jean-Bertrand Aristide, à condition qu’il se fasse dans le cadre constitutionnel, avec un accord politique. En d’autres termes, Washington ne reste plus attaché qu’à l’aspect formel du départ du président.

Dans l’attente d’une réunion en urgence de l’Onu et d’un conseil permanent de l’OEA le 26 février, sur place le désordre a gagné la région de Port-au-Prince où des jeunes gens en armes érigent des barricades sur les grands axes menant à la capitale. La nervosité gagne les esprits. Le personnel expatrié non-indispensable toujours présent tente de quitter le pays. Les deux filles du président Aristide se sont déjà envolées à destination des Etats-Unis rejoindre leurs grands-parents. «Elles sont parties parce que la menace est réelle», a expliqué l’épouse du président, Mildred Trouillot.



par Georges  Abou

Article publié le 26/02/2004