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Haïti

Prochaines heures décisives

Les protagonistes de la crise haïtienne vont prendre des décisions capitales au cours de ces prochaines heures. Soit ils s’engagent dans une lutte acharnée pour renverser ou conserver le pouvoir, soit ils acceptent de négocier un compromis. Aucune des solutions ne leur épargnera une transition difficile.
Face à la complexité de la situation, la communauté internationale a reculé l’échéance de 24 heures. C’est finalement mardi soir que l’opposition haïtienne devrait donner sa réponse sur le plan de normalisation proposé par les Etats-Unis, la France, le Canada, l’Organisation des Etats américains (OEA) et la communauté des pays de la Caraïbe (Caricom), dont l’objectif principal est d’envisager une sortie de crise dans un cadre politique afin d’éloigner le spectre d’une solution militaire propice à des débordements incontrôlables.

La journée de mardi devait être mise à profit pour mener des discussions avec les responsables de l’opposition légale haïtienne afin de l’amener à infléchir sa position sur la question cruciale du maintien à la tête de l’Etat du président Jean-Bertrand Aristide. Au cours de ces dernières 48 heures, toutefois, les médiateurs internationaux ont finalement envisagé que ce dernier puisse se retirer s’il ne respectait pas ses engagements et ne se conformait pas au plan international prévoyant de le priver de nombre de ses pouvoirs au profit d’un nouveau Premier ministre, à qui serait notamment confié le contrôle de la police. Le projet prévoit également le déploiement d’une «présence internationale» capable d’assurer la sécurité dans le pays afin d’accompagner la normalisation. Le ministre français des Affaires étrangères a notamment déclaré qu’il allait poursuivre ses discussions, mardi, avec l’opposition pour tenter de la convaincre de renoncer à exiger le départ du président.

Cependant, mardi encore, ni l’opposition légale, ni la rébellion armée ne voulait se résoudre au maintien au pouvoir du président haïtien et continuait d’exiger son départ comme condition préalable à toute normalisation. Selon elles, Jean-Bertrand Aristide est personnellement responsable des désordres qui affectent le pays depuis le mois de septembre 2003 et, en dépit des pressions internationales, elles n’envisageaient pas de revenir sur cette position de principe. La rébellion armée, composée de plusieurs groupes, dont certains éléments ont été jusqu’à ces derniers mois de fervents soutiens du régime, dispose d’un atout maître : elle domine la situation militaire et, depuis la chute dimanche de Cap-Haïtien, la deuxième ville du pays peuplée d’un million d’habitants, elle peut revendiquer le contrôle d’à peu près la moitié du territoire haïtien. Elle annonce à présent son intention de marcher sur la capitale, Port-au-Prince, et de «libérer» Haïti de «l’esclavage d’Aristide». Selon elle, c’est une affaire de quelques jours.

Ecarter la perspective d’un bain de sang

Face à cette offensive victorieuse de la rébellion, l’opposition politique légale, qui n’a pourtant pas vocation à l’action armée, n’a guère d’autres choix que de soutenir les insurgés avec lesquels elle partage la revendication du départ en exil de Jean-Bertrand Aristide. La police de ce dernier ne semble plus en mesure de reprendre l’avantage et le président recrute et arme des miliciens des quartiers populaires déshérités (les fameuses «chimères») pour tenter d’assurer la défense d’une capitale bientôt menacée.

Face à un mouvement insurrectionnel faiblement structuré politiquement, la communauté internationale en charge du dossier craint que la situation n’aboutisse à une incontrôlable plongée dans le chaos, notamment en cas de victoire de la rébellion armée. Selon un diplomate cité par l’agence britannique Reuters, «s’ils réussissent, ils ne seront pas capables de traduire leur victoire militaire en solution politique». D’ores et déjà la conquête de Cap-Haïtien, dont la chute a été relativement facile selon les témoignages, a malgré tout été accompagnée de pillages. Et les diplomates étrangers appréhendent un succès militaire de la rébellion sur Port-au-Prince qui livrerait la ville aux candidats aux pillages et aux exactions. D’ailleurs certains chefs rebelles eux-mêmes semblent parfaitement conscients des limites de leurs pouvoirs. C’est ainsi que le «commandant en chef militaire» Guy Philippe, alors qu’il annonçait la conquête prochaine de la capitale, ajoutait : «nous autres sommes des militaires. C’est aux hommes politiques de trouver une solution».

Toute la question est de savoir si ces rebelles capables de défaire les forces de l’ordre haïtiennes fidèles au président élu, accepteraient une solution de compromis qui ne leur conviendrait pas, qui les marginaliserait ou prévoirait le maintien du président Aristide dans le cadre d’un gouvernement de transition. C’est un jeu à trois (rébellion, opposition, régime), dans lequel chaque élément est par ailleurs lui-même confronté à ses propres forces centrifuges. La résolution de l’équation haïtienne paraît insoluble en l’état. Et pourtant elle l’est peut-être moins que la semaine dernière, lorsque la communauté internationale, Etats-Unis en tête, semblait surtout animée de la volonté de ne pas intervenir. Aujourd’hui au moins, son engagement le montre, elle ne s’en lavera pas les mains et cette manifestation d’intérêt est peut-être de nature à éloigner la perspective d’un bain de sang.

Une cinquantaine de soldats américains sont arrivés lundi pour protéger leur ambassade dans la capitale haïtienne, tandis que Washington, Paris, Bruxelles et l’Onu invitaient leurs ressortissants et personnels non essentiels à partir ou à se préparer à le faire.


A écouter également :

Cap-Haïtien, une ville aux mains des rebelles - reportage de Catherine Monnet (24/02/2004, 3'20")



par Georges  Abou

Article publié le 24/02/2004